L’étrange association entre Israël et la Turquie dans le conflit du Haut-Karabakh
La guerre du Caucase entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie à propos de la région contestée du Haut-Karabakh crée de curieuses associations, au-delà des considérations sectaires.
Même si l’Azerbaïdjan est majoritairement chiite, l’Arménie chrétienne est préférée par l’Iran, dont un tiers de la population est pourtant d’origine azérie, à commencer par le guide suprême Ali Khamenei.
Encore plus inhabituel est l’étrange couple formé par la Turquie et Israël, qui habituellement se témoignent de l’hostilité à la fois sur le plan diplomatique et sécuritaire. Les deux États, dominés par leurs communautés sunnite et juive respectives, soutiennent et arment l’Azerbaïdjan.
La Russie, qui dispose d’une base aérienne en Arménie, rejoue sa politique syrienne en travaillant avec plusieurs parties à la fois.
La guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui a éclaté le 27 septembre, connaît les affrontements les plus intenses depuis le conflit de 1988-1994. Les deux côtés s’accusent mutuellement d’avoir violé le cessez-le-feu précaire.
Depuis le début de l’actuel conflit dans le Haut-Karabakh, qui a déjà tué 300 soldats et civils dans les deux camps, Israël accroît son assistance militaire à l’Azerbaïdjan.
Au moins quatre avions Ilyushin II-76, opérés par la société azérie de fret aérien Silk Way, laquelle travaille pour le ministère de la Défense du pays, ont atterri et décollé depuis la base militaire aérienne israélienne d’Uvda, dans le sud d’Israël. Selon les autorités aériennes, les avions chargés d’explosifs sont autorisés à décoller uniquement depuis cet aéroport.
La flotte Silk Way a fait un aller-retour direct entre Bakou et Uvda, selon les plans de vols documentés par différents sites web qui surveillent le trafic aérien. Certains de ces avions ont également fait le trajet entre Bakou et Ankara et Istanbul au cours des deux dernières semaines.
La coopération entre Israël et la Turquie
À partir de 1957, Israël et la Turquie ont développé des relations secrètes mais étroites, devenant des alliés stratégiques travaillant en harmonie avec les intérêts américains et britanniques dans la région. Leurs ennemis communs étaient d’abord l’Égypte (jusqu’au traité de paix israélo-égyptien de 1979), la Syrie, puis la République islamique d’Iran.
Pendant cette période, la communauté israélienne des renseignements (le Mossad et les renseignements militaires) a développé des relations très étroites avec l’agence de renseignements turque (le MİT) et l’armée d’Ankara. Israël disposait d’un poste d’écoute en Turquie et les deux pays travaillaient main dans la main pour espionner leur ennemi commun, la Syrie. La Turquie a parfois reçu l’assistance du Mossad dans sa bataille contre les Kurdes turcs.
Au fil des ans, surtout dans les années 1980-1990, les entreprises israéliennes du secteur de la défense ont vendu des armes à la Turquie, notamment du matériel de renseignement, des missiles, de l’avionique ainsi que des chars et avions de pointe. Le volume total de ces contrats de vente avoisine les 10 milliards de dollars.
Ironiquement, parmi les systèmes vendus à la Turquie figuraient des drones et technologies conçus par Israel Aerospace Industries (IAI), qui ont aidé Ankara à développer son propre secteur. Les drones turcs Bayraktar sont désormais utilisés sur les champs de bataille du Haut-Karabakh ainsi qu’en Irak, en Syrie et en Libye.
La Turquie, qui entretenait autrefois une politique « zéro conflit » avec ses voisins, est actuellement en conflit avec plusieurs d’entre eux : la Syrie, la Russie, l’Irak, Israël et la Grèce. Le début du XXIe siècle et l’émergence de Recep Tayyip Erdoğan comme homme fort de la Turquie ont vu Ankara s’éloigner progressivement de cette stratégie.
Erdoğan a réduit les relations de la Turquie avec l’Occident et renforcé ses liens avec le Qatar, le Hamas et les Frères musulmans à travers la région. Ainsi, le pays s’est impliqué dans les guerres civiles en Syrie, en Irak, en Libye, au Yémen et en Somalie, où l’armée et/ou les renseignements turcs sont intervenus.
Avec ce changement de stratégie, la coopération militaire et en matière de renseignements entre la Turquie et Israël a pris fin, bien que les relations touristiques et commerciales continuent à prospérer.
Profiter des occasions
À la recherche d’un nouveau marché pour ses armements militaires et d’un nouvel allié musulman dans la région, Israël est tombé sur l’Azerbaïdjan. Depuis 2010 en particulier, les deux pays ont formé une alliance stratégique, soutenus par les États-Unis, contre leur ennemi mutuel l’Iran.
Les responsables du Mossad, les hauts-gradés de l’armée et les ministres israéliens se rendent fréquemment à Bakou et leurs homologues azéris leur rendent la pareille à Tel Aviv. Il y a quatre ans, le Premier ministre Benyamin Netanyahou, en route pour le Kazakhstan, a fait escale pendant sept heures dans la capitale azérie.
Cela a suffi pour que le président d’Azerbaïdjan Ilham Aliyev, autocrate connu pour ses violations des droits de l’homme et sa répression brutale de toute opposition, révèle ouvertement pour la première fois que son pays avait acheté des armes à Israël pour un montant de 5 milliards de dollars. Depuis lors, ce volume s’est accru et est estimé aujourd’hui à 7 milliards de dollars.
Toutes les grandes entreprises de sécurité et militaires israéliennes tirent profit de la volonté de l’Azerbaïdjan de s’armer jusqu’aux dents. Selon certaines informations, IAI, Elbit, Rafael et d’autres petites sociétés de défense israéliennes vendent tout et n’importe quoi à Bakou. Cela comprend de l’artillerie, des missiles, des navires, du matériel de renseignement et bien plus encore.
La quasi-totalité des sociétés israéliennes qui produisent des drones, y compris les drones d’attaque ou les « drones suicide » qui s’autodétruisent, ont vendu leur matériel à l’armée azérie. Des porte-paroles arméniens ont déclaré dans le passé que certains d’entre eux, notamment ceux fabriqués par Aeronautics Ltd., avaient été abattus lors d’incidents le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan.
Toutes les grandes entreprises de sécurité et militaires israéliennes tirent profit de la volonté de l’Azerbaïdjan de s’armer jusqu’aux dents
D’autres informations indiquent que le Dôme de fer, le système antimissiles et antiroquettes d’Israël, a été vendu à l’Azerbaïdjan et qu’il pourrait très bien être déjà utilisé sur les champs de bataille du Haut-Karabakh pour intercepter les roquettes de fabrication russe tirées par l’Arménie.
Pour couvrir et équilibrer le coût en hausse des armements, Israël achète du pétrole à l’Azerbaïdjan.
En outre, selon des sources étrangères, le Mossad a établi une base en Azerbaïdjan, décrite comme « les yeux, les oreilles et un tremplin » pour surveiller l’Iran. Selon ces informations, l’Azerbaïdjan a préparé une base aérienne qui aiderait Israël en cas d’attaque sur l’Iran. Selon d’autres informations, les archives nucléaires iraniennes qui ont été volées par les agents du Mossad à Téhéran il y a deux ans et demi ont été introduites en Israël via l’Azerbaïdjan.
Des porte-paroles des ministères israéliens des Affaires étrangères et de la Défense ont refusé de commenter ces rapports, tandis que la porte-parole du ministère des Affaires étrangères de l’Arménie a demandé à Israël de cesser ses ventes militaires à l’Azerbaïdjan.
Comme d’habitude en ce qui concerne ses intérêts sécuritaires, Israël ne laisse pas la place à d’autres considérations telles que les droits de l’homme, les valeurs universelles et la moralité. Depuis des années, Israël – qui se considère comme la patrie du peuple juif et le rempart contre un nouvel Holocauste – refuse de reconnaître le génocide des Arméniens lors de la Première Guerre mondiale sous prétexte de ne pas contrarier la Turquie.
Le prétexte d’Israël était qu’il ne fallait pas irriter la Turquie. Même aujourd’hui, alors qu’Erdoğan s’en prend à Israël presque quotidiennement, le besoin de l’apaiser subsiste et Israël refuse toujours en utilisant une nouvelle excuse : les Azéris sont les amis de la Turquie, alors pas de vagues.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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