En Algérie, la liberté de conscience sur le banc des accusés
Accusé notamment de « profanation » du Coran et d’« offense à l’islam », le militant algérien Yacine Mebarki a vu sa peine réduite en appel à un an de prison ferme ce mercredi après avoir été condamné en première instance à dix ans de prison ferme en octobre. Ses soutiens fustigent un procès politique.
« Je suis musulman laïc », s’est défendu Yacine Mebarki, 52 ans, lors de son procès en première instance le 8 octobre à Khenchela (nord-est). Face au juge, il a expliqué lutter contre le radicalisme religieux et non dénigrer l’islam.
Engagé localement dans le mouvement de protestation populaire du hirak, le militant berbère a été reconnu coupable d’« offense aux préceptes de l’islam ».
À cela s’ajoutent les accusations de « profanation du Livre sacré », d’« incitation à la discrimination », d’« incitation à convertir un musulman à une autre religion » et de « distribution de documents qui visent à ébranler la foi d’un musulman », sans oublier la « possession sans autorisation de matériel de guerre ».
La peine en première instance, de « dix ans de prison ferme et de dix millions de dinars d’amende [66 000 euros] », était la plus lourde prononcée jusqu’ici, « contre un militant du hirak », selon le Comité national de libération des détenus (CNLD), une association de soutien aux prisonniers d’opinion.
« Rien dans les écrits de Yacine, ni son parcours, ni ses propos ne justifient cette lourde condamnation », a plaidé sur Facebook le professeur d’économie et militant Abderezak Adel.
Il a dénoncé un « verdict inquisitoire » contre l’activiste berbériste, qui milite pour la pleine reconnaissance de la culture et de l’identité amazigh (berbère) en Afrique du Nord.
« Halte aux interdits idéologiques », « Halte à la répression », « Non à la justice sélective », affichaient une vingtaine de militants venus réclamer la libération de Yacine Mebarki, devant la mairie de Khenchela le 15 octobre.
« Tu parles, tu vas en prison, tu penses, tu vas en prison ! »
Pour Oussama Azizi, un de ses amis, cette peine « est destinée à susciter la peur et à anéantir toute mobilisation au niveau local ».
« Le plus dur est de lui coller cette étiquette d’athéisme. Dans une région conservatrice comme Khenchela, cela résonne comme une double condamnation, du côté de la justice et de la société », a-t-il déclaré à l’AFP.
Un autre partisan du hirak, Walid Kechida, 25 ans, en détention depuis le 27 avril à Sétif (nord-est), est également poursuivi pour « offense aux préceptes de l’islam », en plus de deux autres chefs d’inculpation.
Il lui est notamment reproché d’avoir publié sur les réseaux sociaux des memes – images virales comiques ou satiriques – touchant à la religion, a expliqué à l’AFP son avocat, Moumen Chadi.
En juin, la militante féministe Amira Bouraoui avait été reconnue coupable de six chefs d’accusation, dont « offense à l’islam », et condamnée à un an de prison ferme.
Elle est en liberté provisoire depuis juillet et son procès en appel est prévu le 17 décembre.
La loi punit de trois à cinq ans d’emprisonnement et/ou d’une amende « quiconque offense le prophète ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen ».
La profanation « volontaire et publique » du Livre sacré est quant à elle passible de cinq à dix ans de prison.
Les autorités « veulent gagner en crédibilité avec la force et la répression. Tu parles, tu vas en prison, tu penses, tu vas en prison ! », s’indigne Oussama Azizi.
Près de 90 personnes sont actuellement emprisonnées en Algérie pour des faits liés à la contestation et/ou aux libertés individuelles. Des charges basées souvent sur des publications sur Facebook, d’après le CNLD.
« La condamnation de M. Mebarki est extrêmement grave. Elle montre à quel point les autorités judiciaires sont en train de réprimer les activistes », a réagi Amna Guellali, responsable d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, après sa condamnation en première instance.
La nouvelle Constitution, approuvée lors d’un référendum très largement ignoré par la population le 1er novembre, ne mentionne plus la liberté de conscience comme dans la précédente version.
Pour Amna Guellali, cette suppression « consacre les limites de la liberté de conscience qui existent déjà dans la loi algérienne ».
Par Salsabil Chellali.
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