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Dubaï, capitale commerciale de l’Afrique

Un nombre croissant de sociétés tournées vers le marché africain s’établissent dans l’émirat
Les réseaux aériens, les infrastructures et les politiques du laissez-faire ont aidé Dubaï à devenir le centre commercial du Moyen-Orient et de l’Afrique (Karim Sahib/AFP)
Les réseaux aériens, les infrastructures et les politiques du laissez-faire ont aidé Dubaï à devenir le centre commercial du Moyen-Orient et de l’Afrique (Karim Sahib/AFP)

Pendant des centaines d’années, les capitales commerciales de l’Afrique se trouvaient en Europe – à Londres, Paris, Berlin et Lisbonne.

Malgré la décolonisation, l’argent sort toujours d’Afrique vers les centres financiers européens, mais ces dix dernières années, les sièges commerciaux se sont déplacés. Ils ne sont pas retournés en Afrique mais sont partis dans une autre ancienne colonie britannique : Dubaï.

Désormais, plus de 21 000 entreprises africaines sont implantées à Dubaï, émirat qui appartient aux Émirats arabes unis (EAU). Ce nombre a augmenté de plus d’un quart depuis 2017, selon les chiffres de la Chambre de commerce et d’industrie de Dubaï.     

L’émirat a également attiré 45 sièges de multinationales pour le Moyen-Orient et l’Afrique – contre seulement 26 en Afrique, selon un article publié en 2018 par Infomineo, un fournisseur de données et de services de recherche spécialisé dans l’Afrique et le Moyen-Orient.

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Le montant de capital et le nombre d’entreprises en affaires avec l’Afrique ont commencé à croître à peu près au même moment que les soulèvements du Printemps arabe il y a dix ans.

« Il y a eu un grand afflux d’Africains à Dubaï à compter de 2011. Le Printemps arabe a en fait aidé Dubaï et les Émirats arabes unis à susciter un intérêt plus marqué de la part des pays africains », explique à MEE Theodore Karasik, conseiller principal chez Gulf State Analytics, un cabinet de consultants de Washington.

Le réseau aérien, un atout

Le nombre de touristes africains s’est accru, passant de seulement 6 954 en 1984 à 600 000 en 2016, atteignant même 810 000 en 2019, soit 6 % de l’ensemble des visiteurs, selon les chiffres du ministère du Tourisme de Dubaï.

Les échanges globaux avec l’Afrique ont également augmenté, de 3 % des échanges totaux de Dubaï à l’aube du XXIe siècle à 10 % en 2018.

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Le continent africain est devenu la troisième plus importante région d’échanges pour Dubaï après l’Asie et l’Europe, selon les douanes de Dubaï.

« Il y a plusieurs années, il y a eu l’arrivée des Russes, puis des Chinois, et alors que ces flux déclinaient, nous avons vu les Africains, avec une explosion de la richesse en ce sens », indique à MEE Scott Cairns, directeur général de Creation Business Consultants à Dubaï.

« Cela s’est ralenti un peu [l’année dernière en raison de la pandémie] mais dès que les voyages seront à nouveau autorisés, nous verrons l’Afrique réémerger car elle est très proche pour implanter des entreprises et faire l’aller-retour [depuis Dubaï] pour certains projets. »

Cette ville du Golfe, de l’autre côté de la péninsule arabique vu d’Afrique, n’a pas cherché à devenir un centre d’affaires pour les entreprises africaines.

« Ce n’est pas le gouvernement de Dubaï, mais les gens au pouvoir en Afrique qui ont choisi de faire des affaires à Dubaï », relève pour MEE Martin Tronquit, directeur associé d’Infomineo, entreprise spécialisée dans la recherche de données.

« Lorsqu’on regarde où sont situés les décideurs des entreprises du classement Fortune 500, près de la moitié des sièges couvrant le Moyen-Orient et l’Afrique étaient à Dubaï »

- Martin Tronquit, directeur associé d’Infomineo

En misant sur sa position géographique, cette ville du Golfe s’est transformée en centre d’affaires pour le Moyen-Orient et l’Afrique grâce à ses politiques de laissez-faire, ses infrastructures et ses réseaux aériens.

L’essor des sociétés moyen-orientales et africaines s’établissant à Dubaï a partiellement contribué à la diversification fructueuse de l’émirat, qui a atténué sa dépendance vis-à-vis de ses recettes pétrolières. Le commerce hors pétrole avec l’Afrique a augmenté de 700 % ces quinze dernières années, passant de 33 milliards de dollars en 2015 à 50 milliards en 2019, selon la Chambre de commerce et d’industrie de Dubaï.

On dénombre six sièges régionaux dans le secteur de l’énergie, huit dans les services financiers, sept dans les véhicules motorisés et les pièces détachées et cinq dans la technologie. Viennent ensuite les grossistes, les sociétés de l’aérospatiale et de la défense, de la santé et enfin du transport, selon Infomineo.

« Lorsqu’on regarde où sont situés les décideurs des entreprises du classement Fortune 500, près de la moitié des sièges couvrant le Moyen-Orient et l’Afrique étaient à Dubaï, qui en compte plus de trois fois plus que Johannesbourg [en Afrique du Sud] qui se classe deuxième. Suivent Nairobi [au Kenya], Casablanca [au Maroc] et Lagos [au Nigeria] », énumère Martin Tronquit en citant des données d’Infomineo.

« Cela peut sembler contre-intuitif car Dubaï n’est techniquement pas en Afrique. »

Le réseau aérien de Dubaï, ses infrastructures touristiques et sa facilité d’accès sont autant d’autres facteurs ayant fait de l’émirat un centre aussi important pour les entreprises africaines, estime Scott Cairns.

Pour beaucoup d’entre elles, affirme Isaac Kwaku Fokuo Jr, fondateur de Botho Emerging Markets Group, une société de conseil en investissement établie à Dubaï, « il est plus facile de se rendre de Dubaï en Afrique que de prendre l’avion à travers l’Afrique. Et la capacité de laisser les gens voyager librement est essentiel par rapport à Londres ou New York, où il y a de nombreuses barrières inutiles : il faut par exemple présenter des relevés bancaires pour obtenir un visa rien que pour assister à une réunion d’affaires. »

« De même, sur le continent africain, certains pays comme l’Afrique du Sud, autre centre d’affaires, ont des règles strictes pour l’obtention de visas », indique-t-il à MEE. « Cela signifie qu’un voyage peut s’avérer onéreux. À l’inverse, l’hospitalité affichée par Dubaï montre que les Africains de tout le continent sont les bienvenus. »

Capitale par défaut ?

Pour Martin Tronquit d’Infomineo, Dubaï a été aidé par le fait que si « les environnements commerciaux africains se sont grandement améliorés ces vingt dernières années, [ils] ne sont pas encore au niveau des attentes des sociétés internationales, en particulier en ce qui concerne les échanges internationaux, comme les accords de double imposition, les visas de travail pour les expatriés, le droit des sociétés et les droits de douane. »

Lagos devrait logiquement être la capitale des affaires d’Afrique, selon lui. Le Nigeria possède la plus grande économie du continent. L’Afrique du Sud arrive deuxième. Cependant, « Lagos se classe comme l’une des pires villes où vivre au monde, et la sécurité personnelle constitue un gros problème, de même pour Johannesbourg.

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« Par ailleurs, il est difficile d’attirer des cadres supérieurs et leurs familles dans des pays où, majoritairement, l’éducation, la santé et la sécurité ne sont pas au niveau des normes mondiales », explique Martin Tronquit, d’après des critères d’un rapport d’Infomineo. « Dubaï est la capitale commerciale de l’Afrique par défaut. »

Si « les habitants de Dubaï considèrent l’émirat comme la capitale commerciale de l’Afrique depuis plus de dix ans », relève Theodore Karasik de Gulf State Analytics, pour les Africains, ce qualificatif ne convient pas toujours. 

« Dubaï est un centre qui joue un rôle essentiel pour le commerce en Afrique, mais il serait injuste d’affirmer que c’est la capitale commerciale de l’ensemble du continent », nuance Isaac Kwaku Fokuo Jr. « Les villes telles que Nairobi, Johannesbourg, le Caire et Accra jouent également des rôles essentiels en tant que centres d’affaires. »

Il a déménagé de Nairobi à Dubaï il y a quatre ans, et a depuis été témoin d’une multiplication des échanges commerciaux, nouant des partenariats avec des sociétés établies en Arabie saoudite, au Koweït, à Bahreïn et en Égypte pour les aider à s’étendre en Afrique. « Je plaisante en disant qu’il y a désormais plus de sociétés africaines qui veulent travailler avec nous à Dubaï que lorsque nous étions présents uniquement au Kenya. »

Relation à double sens

Les échanges et le commerce entre l’Afrique et les Émirats arabes unis devraient augmenter car les Émirats cherchent à multiplier leurs liens avec les marchés émergents. Les EAU sont le deuxième plus grand investisseur en Afrique après la Chine, selon UNCTAD. Ils ont investi 25,3 milliards de dollars entre 2014 et 2018, tandis que le Fonds d’Abou Dabi pour le développement (l’agence d’aide des Émirats) est le principal investisseur, avec 16,6 milliards de dollars, dans 28 pays africains, selon le fDI Intelligence, une division du groupe Financial Times.

D’autres pays de la région lorgnent également sur ces occasions. « L’Afrique est un point de mire pour les États du Golfe en raison du COVID-19 et la nécessité d’un rétablissement économique, avec une focalisation sur les projets miniers et liés aux énergies renouvelables », indique Théodore Karasik. Ils sont en concurrence sur le continent. »

Les Israéliens tentent eux aussi de trouver des débouchés en Afrique via Dubaï : des sociétés de conseil de l’émirat observent une recrudescence de prises de contact depuis Israël depuis la signature des récents accords d’Abraham, ces accords de normalisation entre Israël et plusieurs États arabes.

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Cet intérêt renouvelé pour l’Afrique a été encouragé par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) entrée en vigueur en janvier. Il regroupe 1,3 milliard de personnes dans un bloc économique de 3 400 milliards de dollars constitué par 54 pays africains.

Les Émirats arabes unis sont un fervent partisan de ce projet.

« Comme les marchés africains sont très fragmentés, les projets consolidés [comme la ZLECA] rendent plus facile le fait de s’y lancer. Dubaï identifie des occasions », note Isaac Kwaku Fokuo Jr.

L’un des inconvénients d’être implanté à Dubaï, c’est que les sociétés sont loin de leurs marchés cibles. 

« Il y a de nombreux sièges “africains” à Dubaï, mais cela ne vous permet pas de saisir ce qui se passe sur le terrain car vous n’êtes pas à Nairobi ou au Ghana », explique le spécialiste en investissements.

Avec cela en tête, la Chambre de commerce et d’industrie de Dubaï à établi quatre antennes internationales en Afrique ces sept dernières années : en Éthiopie, au Ghana, au Mozambique et au Kenya.

« Ce serait super si davantage d’événements entre Dubaï et l’Afrique avaient lieu en Afrique plutôt qu’à Dubaï », poursuit Isaac Kwaku Fokuo Jr.

« Dubaï est un centre clé pour tout type de crime ou presque, ce qui le rend un peu unique »

- Lakshmi Kumar, directeur des politiques chez Global Financial Integrity

Autre sujet d’inquiétude, le rôle croissant de Dubaï en tant que paradis fiscal qui nuit aux nations africaines. Selon Tax Justice Network, un lobby basé au Royaume-Uni, « Dubaï est indubitablement l’une des juridictions les plus opaques au monde, bâtie sur un tissu complexe d’infrastructures offshore qui incluent des zones de libre-échange, un environnement à faible imposition, de multiples infrastructures opaques et une application laxiste des lois ». De telles politiques permettent au flux de capitaux illicites de sortir d’Afrique en direction de Dubaï.

Lakshmi Kumar, directeur des politiques chez Global Financial Integrity à Washington DC, affirme à MEE : « Le continent africain perd de précieuses recettes dont il a besoin à travers des sociétés qui évitent de payer les impôts sur les bénéfices. C’est un vrai problème. »

L’expert note que Dubaï joue un rôle clé en tant que paradis fiscal, le Dubai International Financial Centre constitue le plus imposant groupe d’institutions financières où que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie du Sud.

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Dubaï a également été critiqué pour son rôle dans le commerce mondial de l’« or des conflits », qui passe en contrebande de l’Afrique à l’émirat.

Selon les analystes, Dubaï a gagné en importance ces dernières années pour les exportations d’or depuis l’Afrique, car le faible taux d’imposition de l’émirat le rend toujours attrayant pour lancer des entreprises, autant pour les sociétés africaines qu’européennes qui cherchent à échapper à des taux d’imposition plus élevés.

Le marché immobilier de la ville a également été pointé du doigt comme un débouché idéal pour les biens mal acquis, notamment pour l’élite du Nigeria.

« Dubaï est un centre clé pour tout type de crime ou presque, ce qui le rend un peu unique », estime Kumar.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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