Égypte : l’EI exécute deux civils accusés d’avoir coopéré avec l’armée dans le Sinaï Nord
Deux membres d’une tribu bédouine du Sinaï Nord ont été exécutés par des combattants du groupe État islamique (EI) après avoir été accusés d’avoir coopéré avec l’armée, dans le cadre de la dernière série d’opérations de représailles menées par l’organisation contre des informateurs secrets civils, ont déclaré lundi des sources locales à Middle East Eye.
La semaine dernière, MEE a signalé l’enlèvement de quatorze hommes de la tribu des Dawaghra, connue pour ses liens étroits avec les forces de sécurité dans le Sinaï Nord.
Selon des sources tribales, douze hommes ont été libérés jeudi 8 avril, tandis que Mohamed Ibrahim Hamdan, 23 ans, et Swilam Ahmed Swilam, 44 ans, ont été tués par des combattants de l’EI.
Les deux hommes étaient vendeurs de poissons sur le marché local de Bir el-Abd.
Les douze hommes libérés ont été interrogés et relâchés après avoir été sommés de cesser de coopérer ou de travailler pour l’armée ou le gouvernement égyptien.
Samedi, une vidéo a été publiée sur un compte Telegram affilié à l’EI, intitulée « Neutralisation de deux espions de l’armée égyptienne ».
Dans cette vidéo, Mohamed Ibrahim Hamdan et Swilam Ahmed Swilam avouent avoir été recrutés par les forces armées égyptiennes en tant qu’informateurs, avant d’être abattus.
« Voilà ce qui attend les apostats ! »
Dans la vidéo, on peut entendre Swilam Ahmed Swilam affirmer qu’il était guide et qu’il travaillait avec un major du renseignement militaire nommé Gaber, qui l’a chargé de signaler les déplacements des combattants de l’EI. « Une fois, l’armée a attendu les soldats de l’État islamique et leur a tendu une embuscade. Trois [membres de l’EI] ont été tués. »
Swilam Ahmed Swilam a également déclaré qu’il conduisait des officiers opérant dans le Sinaï qui partaient en vacances ou en revenaient. La manière dont Mohamed Ibrahim Hamdan a coopéré avec l’armée n’est pas clairement décrite.
Dans la vidéo, on peut voir Swilam Ahmed Swilam creuser sa tombe dans un lieu inconnu. Puis, le combattant lui tire dans le dos
Dans la vidéo, on peut voir Swilam Ahmed Swilam creuser sa tombe dans un lieu inconnu.
Au-dessus de lui, un combattant de l’EI déclare : « Aujourd’hui, nous vengeons le sang de nos frères djihadistes qui ont été tués à cause des agissements de cet espion pendant plus d’un an. »
L’EI cible non seulement les informateurs travaillant avec les services de sécurité, mais aussi les ouvriers, les chauffeurs et les vendeurs qui aident le gouvernement.
« Ce message s’adresse aux espions et aux sahawat [milices pro-armée]. Ils doivent savoir que nous les attendons […] et que, si Dieu le veut, nous les traquerons jusque dans leur foyer. Nous les avons avertis à maintes reprises, mais ils ne se repentent pas », lance le combattant de l’EI avant de tirer dans le dos de Swilam Ahmed Swilam.
Al-Sahawat (« réveil ») est un terme employé par les islamistes extrémistes sunnites pour désigner les milices pro-gouvernementales. Il a été utilisé pendant la guerre en Irak pour désigner les tribus et les miliciens qui ont pris les armes contre les groupes armés à al-Anbar (Irak) après avoir reçu le soutien des Américains.
Dans le Sinaï Nord, il sert à désigner les tribus et milices pro-armée, principalement l’Union des tribus du Sinaï.
Dans la vidéo, un combattant de l’EI crie également : « Voilà ce qui attend les apostats ! » avant de tirer sur Mohamed Ibrahim Hamdan, assis au sol et menotté.
Des « martyrs de la nation »
La vidéo a choqué les Dawaghra, qui attendaient des nouvelles de leurs proches enlevés.
La Dawaghra sont l’une des nombreuses tribus du Sinaï Nord qui aident les forces militaires et policières dans la péninsule en proie à l’agitation depuis 2014.
Plusieurs tribus du Sinaï ont publié des communiqués pour partager leurs condoléances et condamner les faits ; Mohamed Ibrahim Hamdan et Swilam Ahmed Swilam y sont décrits comme des « martyrs de la nation ».
Maghnam, membre de la tribu, confie à MEE que son village est en deuil depuis que la nouvelle a été apprise. « Nous espérions qu’ils seraient libérés avec les autres. »
« Nous n’arrivons pas à dormir depuis que nous avons appris la nouvelle. La pire chose imaginable est arrivée », ajoute-t-il.
La tribu est dévastée alors que les corps des deux hommes ont été enterrés dans des endroits inconnus.
« Nous n’avons même pas pu leur rendre hommage », déplore un homme de la tribu.
Maghnam affirme qu’ils n’ont reçu aucune communication de l’armée et qu’ils ont uniquement été contactés par des membres de l’Union des tribus du Sinaï. « Les anciens de la tribu disent que nous n’accepterons pas de condoléances tant qu’il n’y aura pas de représailles, mais ils ont déjà dit cela auparavant », précise-t-il.
En mars 2020, des extrémistes armés avaient également exécuté deux hommes de la tribu des Dawaghra pour avoir coopéré avec l’armée.
Alors que les institutions officielles et les médias égyptiens ont gardé le silence, l’Union des tribus du Sinaï a publié un communiqué décrivant ces assassinats comme « un nouveau crime commis par les éléments takfiri [extrémistes] sous forme de mise en scène dans laquelle [Mohamed Ibrahim Hamdan et Swilam Ahmed Swilam] sont sous la menace d’armes et accusés de coopérer avec l’armée et la police. »
Contrecoup
L’union, qui soutient ouvertement l’armée et les milices de l’État égyptien dans le Sinaï Nord, a accusé les organisations de défense des droits de l’homme de ne pas avoir rendu compte des assassinats perpétrés par des groupes affiliés à l’EI contre des centaines de civils.
Dans le cadre de la lutte contre l’EI, les forces de sécurité égyptiennes ont sollicité l’aide des tribus locales, soit en tant qu’informateurs secrets, soit en tant que paramilitaires.
Comme de nombreux incidents et détails concernant la guerre menée par l’Égypte contre les combattants de l’EI dans le Sinaï Nord, peu de choses ont été écrites ou relayées au sujet de cette collaboration, à l’exception d’articles hypernationalistes célébrant un rôle indéfini des tribus dans la contre-insurrection.
Mais depuis 2013, après l’intensification de l’insurrection consécutive à la dispersion violente du sit-in de la place Rabia el-Adaouïa, les hommes de la communauté tribale qui ont coopéré – volontairement ou à la suite de pressions – avec l’armée pour contrer les combattants de l’EI disent être livrés à eux-mêmes face au contrecoup de leur mobilisation.
Nombre d’entre eux ont été exécutés – souvent par décapitation – ou enlevés par l’EI sans qu’il en soit fait mention dans les journaux locaux ou dans des communiqués de l’armée, et sans que leur famille soit reconnue ou honorée.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation
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