Seuls survivants d’une frappe aérienne meurtrière, un Palestinien et sa fille symbolisent la tragédie de Gaza
Riad Eshkuntana a passé sept heures piégé sous les ruines de sa maison, à entendre les voix de sa femme et de ses enfants se taire progressivement avant qu’il ne soit secouru.
La famille Eshkuntana vivait dans l’un des nombreux bâtiments de la bande de Gaza qui ont été visés par l’armée israélienne depuis le 10 mai.
« J’étais en sécurité à la maison avec ma femme. Il était environ 1 h du matin et les enfants étaient partis dormir dans leur chambre. Nous avons été secoués par un missile israélien qui a frappé notre maison », raconte à Middle East Eye, le père de famille de 46 ans, décrivant les événements qui se sont produits aux premières heures dimanche rue al-Wahda, une artère commerciale et résidentielle densément peuplée du centre de Gaza qui a été prise pour cible par l’aviation israélienne.
« Ma femme s’est précipitée au chevet des enfants pour les protéger, mais l’une de mes filles s’était réfugiée dans une autre pièce. Avec le second missile, la maison a été coupée en deux… Il y avait trois étages au-dessus de notre appartement, le bâtiment s’est effondré et nous étions sous les décombres. »
Selon le ministère gazaoui de la Santé, au moins 230 Palestiniens ont été tués par les attaques israéliennes sur la petite enclave côtière depuis le 10 mai – dont 65 enfants et 39 femmes.
Parmi eux figurent l’épouse de Riad et quatre de leurs enfants âgés de 7, 5, 3 et 2 ans.
« J’ai voulu mourir, j’ai prié Dieu de prendre mon âme aussi vite que possible parce que je me suis rendu compte que ma femme et mes enfants étaient en train de mourir », rapporte Eshkuntana. « Au début, leurs voix étaient fortes, m’appelant au secours. Mais elles ont progressivement faibli et j’étais impuissant sous les ruines. »
Onze heures après la frappe aérienne qui a tué le reste de sa famille, sa fille de 5 ans a finalement été extraite des décombres.
« Dieu l’a épargnée pour s’excuser auprès de moi »
Selon Riad Eshkuntana, une trentaine de personnes se trouvaient dans ce bâtiment de quatre étages lors du bombardement dimanche.
Au moins 42 Palestiniens, dont une dizaine d’enfants et 16 femmes, ont été tués par les frappes aériennes sur la rue al-Wahda dans la nuit de samedi à dimanche, a annoncé le ministère de la Santé de Gaza.
Selon les informations locales, il n’y a pas eu d’alerte au préalable indiquant que ce bâtiment serait visé.
Mai Rajab, une voisine, raconte à MEE qu’après la frappe aérienne qui a touché l’immeuble des Eshkuntana, sa maison, située à un mètre à peine, a pris feu.
« Lorsque j’ai entendu une explosion tout à coup, je me suis dit que c’était peut-être loin, comme d’habitude, mais le bruit se rapprochait », explique-t-elle.
« Soudain, des flammes et des cendres étaient dans ma chambre », indique-t-elle. « Je ne savais pas quoi faire, je me suis précipitée dans ma chambre où j’avais déjà préparé mes affaires. J’ai pris mes habits et mon foulard pour me couvrir et je me suis précipitée dehors.
« J’ai couru les pieds nus depuis le 5e étage et on a finalement atteint la rue par miracle. Mais on était choqués par le massacre dans la maison juste à côté de la nôtre. »
Quatre heures après son transfert à l’hôpital, Eshkuntana a appris que sa fille Suzi avait survécu elle aussi.
« J’étais persuadé qu’ils étaient tous morts. Je n’ai pas cru qu’elle avait survécu jusqu’à ce que je la voie », raconte le père. « Je n’y croyais pas lorsque j’ai été sauvé, c’était un miracle. J’ai su que Dieu m’avait sauvé pour que je puisse prendre soin de ma fille qui a survécu.
« Lorsqu’ils me l’ont amenée, j’ai senti que ma famille était complète. Dieu l’a épargnée pour s’excuser auprès de moi. »
Quatre jours après l’attaque, Suzi est toujours hospitalisée à al-Shifa, tâchant de récupérer de diverses blessures et d’un grave traumatisme.
« Pouvez-vous imaginer qu’une enfant de 5 ans soit restée coincée sous les décombres la tête en bas pendant onze heures ? »
- Riad Eshkuntana, à propos de sa fille
« Pouvez-vous imaginer qu’une enfant de 5 ans soit restée coincée sous les décombres la tête en bas pendant onze heures ? », interroge Eshkuntana. « Pour l’instant, elle est totalement choquée et ne peut pas parler après ce qu’elle a enduré. »
Lui-même a subi de graves fractures de la colonne vertébrale et de la cage thoracique et a perdu 70 % de vision à un œil. Pourtant, il insiste sur le fait que ses souffrances ne sont qu’une fraction de ce qu’ont souffert les Palestiniens à Gaza en presque quatorze années de blocus israélien et trois guerres.
« Qu’est-ce que je pourrais dire ? Ce que j’ai perdu n’est rien par rapport à ce que mon peuple perd », assure le père de famille. « Le gouvernement israélien tente de maximiser autant que possible le nombre de tués à Gaza. »
Mai Rajab évoque certains de ses derniers souvenirs des enfants morts dans le bombardement.
« La mère de Riad vit dans un appartement de notre bâtiment. Pendant le Ramadan, ils se rendaient visite et restaient debout tard, les enfants aimaient rester chez leur grand-mère. Aujourd’hui, leur vie n’est plus que cendres, comme leur maison. »
Riad Eshkuntana rejette résolument les allégations israéliennes selon lesquelles les frappes aériennes sur Gaza visent le mouvement du Hamas, qui dirige l’enclave palestinienne.
« Je ne suis qu’un travailleur et je n’ai aucun lien que ce soit avec le Hamas ou le Fatah. Je vais seulement travailler et je rentre chez moi à la fin de la journée pour retrouver ma femme et mes enfants », dit-il.
« Est-ce que ces enfants ont fait quelque chose de mal ? Qu’est-ce qu’ils ont fait pour que les Israéliens détruisent les quatre étages au-dessus de leurs têtes ? »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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