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Recyclage des déchets : Essaouira se rêve pionnière « verte » au Maroc et en Afrique

Fin juillet, la province d’Essaouira devrait devenir pilote en matière de tri sélectif. Le projet – Mogagreen – repose sur la sensibilisation, l’inclusion sociale et la création de valeur à l’échelle du territoire. Mais pour l’heure, il faut mobiliser les investisseurs
Visite d’Essaouira pour les financeurs pressentis de Mogagreen. En un an, quatre des principales multinationales de l’agro-alimentaire produisent à elles seules près de 6 millions de tonnes d’emballages plastiques (MEE/Abdessamad)
Visite d’Essaouira pour les financeurs pressentis de Mogagreen. En un an, quatre des principales multinationales de l’agro-alimentaire produisent à elles seules près de 6 millions de tonnes d’emballages plastiques (MEE/Abdessamad)
Par Tiphaine Ruppert-Abbadi à ESSAOUIRA, Maroc

Essaouira deviendra-t-elle la championne du tri sélectif en Afrique ? C’est en tout cas l’ambition affichée par les instigateurs du programme Mogagreen d’ici la prochaine décennie.

Réunis au sein de l’association Be Green, ces derniers se sont en effet fixé comme objectif d’ouvrir la voie à une meilleure gestion des déchets recyclables au Maroc et, pourquoi pas, à l’échelle du continent.

« Mogagreen n’est que le début, c’est le pilote à l’échelle 1. Nous croyons que l’industrie de la gestion des déchets n’a pas encore été [bousculée]. Grâce à la technologie et à la digitalisation, nous [voulons] créer un modèle alternatif qui puisse avoir un impact important sur l’économie circulaire et la durabilité des villes », explique à Middle East Eye Youssef Chaqor, fondateur d’Inveko-Environnement, l’une des entreprises à l’origine de l’aventure, déjà spécialisée dans la valorisation des huiles alimentaire usagées.

Lancé officiellement fin mai et prévu pour rentrer en phase opérationnelle fin juillet, le projet agrège d’autres entités privées, la province et des acteurs de la société civile.

« Nous voulons créer une véritable communauté et lui donner envie de construire un programme qui dure dans le temps »

- Youssef Chaqor, cofondateur de Mogagreen

Actuellement, le modèle classique prévaut : collecte puis enfouissement sur des sites dédiés… mais saturés.

En incluant toute la filière et en digitalisant les process, les porteurs du projet espèrent réduire la quantité de détritus recyclables déposés en décharge. D’autant que ceux qui y arrivent se révèlent parfois irrécupérables car souillés dans les bennes par les déchets organiques. L’association marocaine Zéro Zbel, experte en la matière, estime le volume de ces ordures sans valeur à 18 000 tonnes quotidiennes.

Statut et reconnaissance pour les chiffonniers

Premier maillon de la chaîne : 20 000 ménages, mais aussi 300 entreprises et 20 écoles d’Essaouira pourront télécharger une application ou passer par WhatsApp pour se signaler auprès des collecteurs, ou encore apporter eux-mêmes leurs rebus dans des points identifiés.

Mogagreen compte sur cette approche multicanal et sur une importante campagne de sensibilisation pour convaincre. « Les actions de sensibilisation et d’éducation représentent 1,7 million de dirhams [presque 160 000 euros] sur un budget global de 5,5 millions [plus de 500 000 euros] », indique Marouane Malek, chargé de projet pour Inveko-Environnement.

Autre levier : la récompense. En fonction de la quantité de déchets triés, les usagers recevront des points qu’ils pourront convertir, par exemple, en recharges téléphoniques.

L’objectif est de créer une véritable communauté et de « lui donner envie de se connecter avec nous et de construire un programme qui dure dans le temps », poursuit Youssef Chaqor.

Deuxième maillon, les collecteurs. Ramasser et opérer un premier tri reposent encore sur le labeur de petites mains de l’informel : des chiffonniers, surnommés bouâara en arabe dialectal marocain. Le ministère de l’Environnement en recense près de 10 000 dans tout le pays. Selon Zéro Zbel, ils seraient en réalité environ trois fois plus.

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En plus de la cinquantaine d’emplois verts escomptés, Mogagreen souhaite « convertir » localement les bouâara à travers l’acquisition du statut d’auto-entrepreneur et d’avantages associés (assurance santé, bancarisation, téléphonie…).

Un aspect qui tient particulièrement à cœur à Tarek Ouamira. Cet ancien technicien supérieur en transport et logistique, arrivé il y a six ans au Maroc, a créé dans la « cité des alizées » sa propre activité de collecte et de pré-traitement des déchets de restaurants et de riads (hôtels). Son expérimentation à taille très humaine et autofinancée fait figure de galop d’essai pour Mogagreen.

Tarek Ouamira collabore actuellement avec trois collecteurs légalement à leur compte. « Ces personnes sont très engagées. Il y a une vraie envie, du côté des chineurs, d’accéder au statut d’auto-entrepreneur », constate-t-il lors d’un entretien avec MEE.

Et de reprendre : « C’est un peu plus compliqué sur les aspects techniques. Il y a besoin de formation, par exemple pour apprendre les différentes classifications de plastique. À la base, pour eux, cette activité, c’est de la survie. »

Cette future communauté de « Happy collectors » aux couleurs de Mogagreen sera, elle aussi, dotée d’une application mobile permettant d’organiser et faciliter les collectes.

Enfin, les entreprises ou groupements professionnels qui, en bout de chaîne, s’occupent de redonner une valeur marchande, sinon énergétique, aux détritus, constituent le troisième maillon.

« Nous espérons réunir un très large écosystème. Les parties prenantes pourront soit être des co-investisseurs de la plateforme [de tri secondaire], soit récupérer les matériaux », explique encore Youssef Chaqor.

Au départ, seuls le plastique, le carton, le verre et les huiles de fritures seront valorisés. À terme, les textiles et le pain perdu pourraient pénétrer le circuit, tout comme les déchets fermentescibles afin de transformer ces derniers en biomasse.

S’appuyer sur l’intelligence collective

Outre l’aspect technologique, pour les initiateurs de Mogagreen, l’innovation se trouve aussi dans la méthode : l’intelligence collective.

Les discussions préliminaires se sont en effet déroulées dans le cadre du dispositif Essaouira Territory Innovation Lab, porté par l’association O’TED.

Le « lab » souiri existe depuis fin 2018. L’expérience a essaimé à Sidi Ifni et Rahmna. Fès devrait très prochainement lancer le sien.

Dans sa petite entreprise souirie, Tarik Ouamira collecte et prétraite les déchets pour les envoyer sur les différentes filières de valorisation existantes, à l’export (vers l’Asie ou l’Europe) ou sur le marché marocain (MEE/Tarik Ouamira)
Dans sa petite entreprise souirie, Tarik Ouamira collecte et prétraite les déchets pour les envoyer vers les différentes filières de valorisation existantes (MEE/Tarik Ouamira)

« Ces laboratoires d’innovation territoriale ont pour objectif de mettre l’intelligence collective au service du bien commun. Nous aidons les acteurs à l’échelle des provinces (associations, pouvoirs publics, entreprises, particuliers...) à identifier des problématiques communes et à coconstruire des solutions. Nous avons un rôle de catalyseur », détaille Zineb Belaabid, volontaire et membre fondatrice de O’TED.

À Essaouira, la gestion des déchets, entre autres sujets environnementaux, s’est vite retrouvée sur la table et a suscité l’intérêt de plus de 70 volontaires, parmi lesquels Tarek Ouamira et Youssef Chaqor.

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Une connexion décisive pour l’émergence de Mogagreen. « L’intérêt de l’intelligence collective est que tout le monde ait les yeux ouverts ensemble pour contribuer à un meilleur cadre de vie », souligne Tarek Ouamira.

Également incluse au processus de réflexion, la province a su trouver des synergies avec son propre projet territorial.

Et Adil El Maliki, le gouverneur, n’a pas manqué de rappeler le projet d’implantation de bacs permettant le recyclage dans le cadre de la réhabilitation de l’ancienne médina d’Essaouira ou encore la création d’un écovillage à Sidi Kaouki.

« Mogagreen jouit de toutes les chances et des atouts pour réussir, être partagé et dupliqué dans d’autres régions du royaume », s’est-il exprimé lors du lancement officiel.

Malgré la bonne volonté et les efforts déployés, le défi qui attend Mogagreen n’est pas mince.

Il faut d’abord clôturer la recherche de financements, qui devraient reposer principalement sur la participation de grandes marques de l’agro-alimentaire, mais aussi faire face à une stratégie nationale actuellement en deçà des espérances.

Le Maroc produit annuellement 6,9 millions de tonnes de déchets. Si le Programme national de gestion des déchets ménagers (PND) prévoit d’en recycler 20 % à horizon 2022, l’an dernier, seuls 7 % l’ont effectivement été. Le plastique serait recyclé à hauteur de 11 %. Le reste se retrouve très souvent dans la nature.

L’enjeu est donc de maintenir intacte l’implication de tous afin d’aboutir à un modèle efficient et pérenne.

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