La reprise chaotique des liaisons aériennes internationales suscite l’exaspération des Algériens
Le 17 mars 2020, face à la première vague de l’épidémie de COVID-19, le gouvernement algérien prenait la décision de fermer les frontières terrestres, maritimes et aériennes du pays.
L’Algérie n’est alors pas le seul État à établir des restrictions à ses frontières pour endiguer la propagation du virus, mais elle va se distinguer par la durée et l’hermétisme de cette fermeture.
Si des vols de rapatriement de ressortissants algériens étaient organisés jusqu’à l’été 2020, seuls des avions dits « spéciaux » (opérés par Air France et Transavia), réservés aux seuls diplomates, détenteurs de passeports de service et hommes d’affaires étrangers, ont eu par la suite l’autorisation de décoller de l’aéroport Houari Boumédiène d’Alger avec la certitude de pouvoir revenir en Algérie.
Ainsi, des milliers de membres de la communauté algérienne attendaient la réouverture des frontières de leur pays, qui leur est resté portes closes pendant près de quinze mois.
C’est donc peu dire que l’impatience était forte lors de l’annonce par le gouvernement algérien de la reprise des liaisons aériennes à partir du premier juin 2021. Cette impatience a toutefois été rapidement remplacée par l’inquiétude et l’incompréhension, voire la colère, face à une mise en pratique confuse.
L’Algérie, par l’intermédiaire de son désormais ancien Premier ministre Abdelaziz Djerad (remplacé depuis le 30 juin par Aïmene Benabderrahmane, nomination faisant suite aux élections législatives du 12 juin), avait alors arrêté un programme de six vols hebdomadaires en direction de Paris, Marseille, Tunis, Barcelone et Istanbul, et ce pour le mois de juin. Seule la compagnie nationale Air Algérie était habilitée à opérer ces vols.
À cela s’ajoutaient des conditions sanitaires strictes pour pénétrer sur le territoire algérien, consistant en la présentation d’un test PCR négatif et une quarantaine obligatoire de cinq jours dans un hôtel imposé, aux frais du voyageur (41 000 dinars, soit environ 250 euros). Si ce confinement obligatoire n’est plus en vigueur depuis le 26 juillet, le nombre de vols est toujours réduit.
Cette offre s’adresse à tous les Algériens qui souhaitent voyager, mais elle concerne pour l’instant principalement la diaspora : les ressortissants algériens résidant en Algérie sont plus à même d’être dissuadés de voyager par la difficulté de se procurer des billets retour vers leur pays, et doivent surmonter des barrières administratives plus conséquentes.
En effet, même si le consulat de France en Algérie, principal pourvoyeur de visas Schengen, a rouvert ses services pour les demandes de visas, toutes catégories confondues, compte tenu de la raréfaction des vols et des contraintes sanitaires, il ne traite pas autant de dossiers qu’avant.
À cela, s’ajoutaient des conditions sanitaires inhérentes aux pays classés « orange » par les autorités françaises, qui ont établi une liste de motifs impérieux justifiant l’entrée sur le territoire hexagonal (être ressortissant français, bénéficier d’un titre de séjour, être étudiant en France, etc.). Ces conditions sont en passe de se durcir alors que la France a intégré l’Algérie parmi sa liste de pays placés en liste « rouge » depuis le 21 août.
Peu de places, envolée des prix
Logiquement, face au nombre limité de vols proposés, les prix des billets s’avèrent très élevés, à partir de 570 euros l’aller-retour Paris-Alger.
Le député algérien pour l’émigration de la zone France Mohamed Benkhadra a alerté sur ce montant considérable, lui-même ayant payé 700 euros son ticket pour l’Algérie, tandis que son homologue député de la zone 4 (États-Unis, Europe-hors France, Grande-Bretagne, Turquie et Russie) Farès Rahmani a dû s’acquitter de la somme de 1 000 euros et a dénoncé cette grille tarifaire.
En réalité, ils s’en sont sortis relativement à bon compte. Rym, étudiante algérienne en France, souhaitait rendre visite à ses parents cet été après cette longue séparation. Elle raconte à Middle East Eye : « Les prix m’ont vite dissuadée d’entreprendre ce voyage. Il faut compter près de 2 000 euros pour les billets, bien trop pour mon budget d’étudiante. Quand pourrai-je voir mes parents ? Je ne sais pas, peut-être à l’automne, quand la demande sera moins forte. En réalité, le plus dur est déjà de trouver un billet. »
L’augmentation estivale de la demande et le manque de visibilité sur les décisions officielles donnent ainsi lieu depuis début juillet à des abus dans les processus de vente de billets, aux dépens des usagers
En effet, les potentiels acheteurs se sont également retrouvés confrontés à la difficulté d’obtenir les précieux sésames, tant le nombre de places est limité. Si l’offre de vols s’est depuis légèrement enrichie, elle reste près de 30 fois inférieure à ce qui se pratiquait avant la crise du COVID-19.
Aujourd’hui, sept compagnies aériennes se sont vu délivrer des autorisations de vol vers l’Algérie, à raison d’un total d’une quinzaine de vols hebdomadaires : Air Algérie, Air France, Transavia, ASL Airlines, Vueling, Alitalia, Lufthansa, Turkish Airlines et Tunisair.
Sept pays sont désormais desservis : l’Italie, l’Allemagne et la Russie s’étant ajoutés à la France, l’Espagne, la Turquie et la Tunisie.
En raison notamment de l’évolution incertaine de la situation sanitaire et de la montée du variant Delta, le gouvernement annonçait en juillet le programme des vols autorisés chaque semaine pour la suivante à l’issue de sa réunion hebdomadaire.
Puis, début août, il a révélé le programme mensuel, sans donner plus d’informations à propos de la rentrée de septembre. L’augmentation estivale de la demande et le manque de visibilité sur les décisions officielles donnent ainsi lieu depuis début juillet à des abus dans les processus de vente de billets, aux dépens des usagers.
Au-delà de la difficulté chronique à se procurer des billets (qui se vendent en quelques minutes sitôt mis en vente, selon les compagnies aérienne), leur rareté amène des intermédiaires à profiter de cette situation.
Amina, interne en médecine à Alger âgée de 27 ans, souhaitait rendre visite à une tante malade en Tunisie en août, et témoigne de son dépit à MEE : « J’ai pu me procurer un billet aller de la compagnie Tunis Air sur un site de voyagiste en ligne, mais en consultant des pages Instagram renseignées comme Algerian Aviation Information, j’ai alors réalisé que ces billets étaient vendus par anticipation, sans certitude que le vol ne soit autorisé par les autorités algériennes. J’ai alors démarché diverses agences de voyage d’Alger, qui m’ont proposé des billets à des tarifs prohibitifs : 2 500 euros pour un aller ! »
L’alternative ? « Acheter un ticket via des ‘’packages’’ imposés par l’agence, comprenant l’achat obligatoire de séjours all-inclusive qui ne m’intéressaient pas… »
Seules quelques agences reconnaissaient être dans l’incapacité de garantir l’obtention de billets pour août, le programme de vols étant décidé d’une semaine à l’autre.
Ventes parallèles
Comment alors ces intermédiaires peuvent-ils s’avancer à vendre des produits dont ils ne sont pas censés encore disposer ? Les agences anticiperaient l’obtention des billets par les canaux de vente normaux pour les revendre plus cher.
Concrètement, dès que les places sont mises en ligne, les professionnels ayant accès aux plateformes achètent, par le biais de robots, des centaines de billets qu’ils revendent autour d’eux en réseau fermé. Si bien que selon certains témoignages, la disponibilité réelle des billets pour les usagers lambda n’excèderait pas une dizaine de secondes après leur mise en ligne.
Sur les réseaux sociaux, comme les pages Facebook « Les Algériens bloqués dans le monde » qui réunit 80 000 internautes ou « Ouvrez les frontières » (107 000 likes), on pointe du doigt des ventes parallèles des billets au prix fort, ou la captation de ces billets par des personnes introduites, une pratique qui aurait été également observée directement aux aéroports de départ.
En effet, les témoignages se sont multipliés au cours de la saison estivale. La tension est même montée d’un cran au guichet d’Air Algérie à l’aéroport de Barcelone ou à celui de Paris-Orly.
À chaque fois, des voyageurs inquiets se pressent devant les guichets, parfois plusieurs jours d’affilée pour certains d’entre eux, et constatent que des personnes arrivant en dernière minutes obtiennent le droit d’embarquer, ou encore que des avions décollent avec des sièges vides, qui seraient un des symptômes de ce manque de transparence.
À Paris-Orly, une polémique a même éclaté lorsque la chanteuse star de raï Cheba Zahouania a embarqué sous les huées des passagers, convaincus qu’elle aurait obtenu son ticket grâce à ses accointances.
Pendant ce temps-là, l’agence Air Algérie de Paris Opéra a fermé ses portes, officiellement pour raisons sanitaires. L’ambassade d’Algérie à Paris et les consulats d’Algérie renvoient vers la compagnie, la déclarant seule en charge de la mise en place opérationnelle des programmes de vols.
Les appels au call-center sonnent désespérément dans le vide. Pour éviter des abus, Air Algérie a décidé que la vente de billets ne se ferait que dans les pays de départ.
À l’agence Air Algérie de Tunis, les responsables indiquent aux clients patientant dans la chaleur estivale que des sièges sont disponibles dans les prochains avions hebdomadaires reliant les deux pays du Maghreb, mais qu’ils ne sont pas ouverts à la vente, et qu’il est impossible de dire quand ils le seront et pour quel laps de temps.
Face à ces difficultés et au manque de clarté qui accompagne la réouverture des frontières aériennes de l’Algérie, ses ressortissants et sa diaspora disposent comme sources d’information principales les pages Instagram ou Facebook des lanceurs d’alertes El Fayçal ou Algerian Aviation Information.
Air Algérie n’est toutefois pas le seul transporteur dont les pratiques sont critiquables. D’autres compagnies continuent de vendre des billets pour les mois d’août ou septembre, selon leur programme habituel de vols, sans même attendre une autorisation officielle du Premier ministre pour ces vols.
Charge à l’acheteur de prendre le risque de voir son billet annulé à la dernière minute, et de devoir entamer des démarches pour son remboursement, dans le meilleur des cas. Le plus souvent, les compagnies proposent seulement un échange ou un avoir.
Le site de Vueling proposait par exemple dès juillet des allers-retours en août sans indiquer à aucune étape du processus d’achat que cela reste caution à une validation officielle.
Dernièrement, c’est Royal Air Maroc qui proposait des billets reliant Casablanca à Alger pour le mois de septembre, alors qu’à ce jour aucune autorisation n’a été donnée par les autorités algériennes.
De plus, les logiques de pricing (stratégie commerciale visant à maximiser les prix auxquels les billets pourront se vendre grâce à des algorithmes) amènent les transporteurs aériens à pratiquer des prix très élevés : près de 2 000 euros pour des Orly-Alger sur Air France ou des Tunis-Alger opérés par Tunis Air (pour un vol de moins d’une heure…).
La réouverture reléguée au second plan
La reprise progressive des vols en direction de l’Algérie, qui accompagnent sa réouverture partielle des frontières, se révèle donc pour l’instant au mieux difficilement lisible pour les Algériens, au pire chaotique.
Ces difficultés pourraient aller en s’accroissant, alors que les variants Alpha et Delta viennent augmenter les contaminations des pays de destination des liaisons aériennes, particulièrement en Tunisie, où le système hospitalier est en souffrance face à une recrudescence inédite des cas.
Ces mêmes variants sévissent également en Algérie, où la barre des contaminations journalières est passée de moins de 400 début juillet à plus de 900, dans un pays où le nombre de victimes atteindrait 4 730 selon les chiffres officiels (dont la fiabilité est questionnée), et où la campagne de vaccination (au moyen des vaccins SinoPharm, Sinovac et AstraZeneca) ne brille pas par son efficacité. Si officiellement 3,5 millions de personnes sont vaccinées, ce qui représente environ 8% de la population, la publication scientifique en ligne OurWorldInData estime qu’en réalité moins de 2 % des Algériens auraient reçu à ce jour les deux injections nécessaires au schéma vaccinal complet (les chiffres de OurWorldinData, affilié à l’université d’Oxford, estime à 725 000 le nombre de vaccinés en Algérie alors que les autorités algériennes évoquent 3,5 millions de vaccinés.)
Le nouveau Premier ministre lui-même a été déclaré positif le 10 juillet. Alors que le pays est en proie à une pénurie d’oxygène pour faire face à cette nouvelle vague, les voyageurs d’Air Algérie ont été autorisés à importer individuellement des concentrateurs d’oxygène.
La collecte de fonds par la diaspora a amené Air Algérie à adopter des « mesures d’urgence pour faciliter l’entrée des concentrateurs d’oxygène en Algérie sur [les] vols réguliers habituels ». Toutefois, la réouverture complète ou l’augmentation des fréquences de vols ne se profilent toujours pas à l’horizon.
Ce contexte difficile ajoute une incertitude supplémentaire au manque de visibilité dont souffrent la diaspora et les habitants de l’Algérie, exaspérés par un verrouillage des frontières qui semble n’en jamais finir malgré les récentes mesures d’ouverture.
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