« Je me sens encore plus isolée » : en France, la pandémie exacerbe la détresse des étudiants algériens
Randa Belaidi ne veut pas que son témoignage soit anonyme. Elle tient à faire connaître sa vie, ses déboires et tous ces passages à vide qui lui donnent des idées de suicide, la nuit, dans son 18 m2dépourvu de toilettes et de cuisine, à Drancy, au nord-est de Paris.
Sans titre de séjour – il a expiré –, sans travail et loin de sa famille, l’étudiante algérienne de 28 ans est prisonnière de ses pires cauchemars : finir à la rue, tomber définitivement dans la clandestinité ou retourner en Algérie avec le sentiment d’avoir raté sa vie.
« Cela fait presqu’un mois que je ne dors pas. Depuis le reconfinement, je me sens encore plus isolée », témoigne la jeune fille à Middle East Eye par téléphone.
D’une voix tremblante, elle dresse la liste de toutes les dépenses qui risquent de vider son compte en banque. D’abord, le loyer à 450 euros par mois, les courses, puis cette inscription de 2 600 euros dans une école privée de langue anglaise qu’elle vient de payer dans l’espoir d’obtenir le droit de rester en France.
« Je passe mes journées à chercher du travail adapté à mon profil. Mais il n’y a rien »
- Randa, étudiante
« Comme les préfectures se méfient souvent des formations en établissement privé, j’ai dû accompagner mon dossier d’un courrier dans lequel j’explique que cet enseignement est nécessaire pour compléter mon master en management des entreprises », fait savoir la jeune femme.
En France depuis trois ans, d’abord étudiante à Toulouse, elle a ensuite déménagé à Paris pour un stage. Croyant trouver rapidement un emploi qui corresponde à ses qualifications, Randa patiente puis finit par accepter un poste d’éducatrice dans un établissement privé.
Le salaire, de 1 300 euros, lui permet de survivre mais pas de basculer vers le statut de salarié.
En cause, une législation discriminatoire qui entrave spécifiquement le passage des étudiants algériens à la vie active. Le règlement s’inspire de l’accord franco-algérien sur la libre circulation des personnes, conclu après l’indépendance, en 1968.
Pour éviter la déperdition de compétences, l’Algérie a fait en sorte que les étudiants soient entravés dans leur souhait de se maintenir sur le territoire français par l’accès à l’emploi.
« Même les emplois au noir sont devenus très rares »
Parmi les obstacles, figure le montant du salaire. Celui-ci doit correspondre à la valeur du diplôme universitaire. Une sorte de cercle vicieux complique aussi les perspectives professionnelles des diplômés algériens : les recruteurs leur demandent souvent de fournir des permis de travail que les préfectures délivrent uniquement sur présentation d’une promesse d’embauche.
« Comme je ne suis pas arrivée à obtenir un changement de statut, mon employeur a fini, au bout de dix mois, par résilier mon contrat. C’était en avril dernier », déplore Randa.
« Depuis, je passe mes journées à chercher du travail adapté à mon profil. Mais il n’y a rien. Avec la crise sanitaire, même les emplois au noir sont devenus très rares. »
En 2017, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a publié un rapport très critique sur l’accord de 1968, exhortant les États algérien et français à le revoir pour faciliter l’insertion professionnelle des diplômés algériens.
Des associations d’étudiants algériens en France militent également pour l’évolution de la législation. Mais rien ne change.
Par exemple, en mai 2020, le gouvernement français a mis en place un dispositif dérogatoire autorisant les étudiants étrangers à exercer exceptionnellement durant les vacances estivales, une activité professionnelle salariée dans la limite de 80 % du temps de travail annuel.
Cette mesure, destinée à compenser les pertes de revenus induites par le premier confinement, n’a toutefois pas profité aux Algériens, car comme pour le changement de statut, leur temps de travail pendant la scolarité (pas plus de 50 %) est régi par l’accord de 1968.
Alertés par la précarisation de leurs compatriotes, des responsables associatifs algériens ont interpellé les autorités de leur pays.
L’association des étudiants et cadres algériens de France (ECAF) a envoyé un courrier à l’ambassadeur d’Algérie en France. Mais celui-ci n’a pas répondu.
Fouad Miloudi, président de l’association, déplore l’abandon des étudiants par les responsables de l’État algérien, tout comme Mohamed Bouzid, délégué de l’Union des étudiants algériens de France (UEAF) de l’université de Paris 13 (Seine-Saint-Denis).
« Le gouvernement préfère prendre en charge gratuitement le rapatriement des dépouilles mortuaires que d’aider financièrement ses étudiants à l’étranger », se désole Mohamed Bouzid auprès de MEE.
Le syndicaliste connaît très bien la misère pour l’avoir vécue quand il est arrivé en France il y a quelques années.
Il devait se réveiller à l’aube pour aller quémander du travail sur les marchés, endurer des conditions de colocation abominables et, en même temps, prouver son assiduité aux cours afin de ne pas compromettre son droit de séjour en France.
Campus France (établissement public de promotion de l’enseignement supérieur français à l’étranger) a recensé 31 196 étudiants algériens en France entre 2018 et 2019. Même en constituant un des effectifs les plus importants (avec les Marocains et les Chinois), ces jeunes expatriés ne sont pas parvenus à faire valoir leurs droits.
« Plusieurs pays étrangers ont mis à disposition de leurs étudiants des sites d’hébergement. Pas nous », dénonce Jugurta Ayad, président de l’Association des Algériens des deux rives et de leurs amis (ADDRA), une ONG d’assistance communautaire.
Sous l’ancien chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, l’Algérie avait annoncé la construction d’une « Maison de l’Algérie » dans le prolongement de la Cité universitaire internationale de Paris, pour héberger les étudiants. Mais le projet est tombé à l’eau, faute de subventions.
Résultat, les étudiants algériens doivent se débrouiller. Les plus chanceux arrivent à louer des chambres dans les résidences des Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS). Tous les autres se tournent vers des bailleurs privés et se retrouvent quelquefois à deux ou trois dans une chambre, par souci d’économies.
Lorsqu’elle est arrivée à Paris, Randa a accepté elle aussi de partager le studio d’une copine. Sauf qu’il n’y avait pas de place pour un autre lit. « J’ai dormi pendant plusieurs mois sur le sol avant de me décider à partir », raconte à MEE celle qui utilise aujourd’hui les mêmes toilettes que ses voisins de palier.
Très peu tenté par l’aventure, Hichem, 24 ans, étudiant en pharmacie, pensait pour sa part avoir rigoureusement planifié ses premiers mois de vie en France. Arrivé à Paris en septembre 2020, il a emménagé directement dans une chambre du CROUS réservée quand il était en Algérie.
Couché sous un porche d’immeuble
Le jeune homme a ensuite très rapidement introduit une demande de titre de séjour. Mais son dossier n’est pas encore à l’étude. À cause du confinement, les services préfectoraux ont ralenti la cadence et dématérialisé toutes les démarches.
Quand il les relance par email, Hichem reçoit une réponse automatique et désarmante qui lui fait voir l’avenir en noir. Sans titre de séjour, il ne pourra pas travailler ni demander une aide au logement pour l’aider à payer le loyer de sa chambre CROUS.
« J’ai encore de l’argent pour tenir jusqu’en janvier. Après, je ne sais pas comment je vais me débrouiller pour survivre », confie-t-il à MEE.
Légalement, les étudiants algériens doivent justifier de la possession d’un minimum de 6 500 euros pour bénéficier d’un visa pour la France. Or la plupart, de condition modeste, ne font qu’emprunter cette somme à des connaissances.
Certains se débrouillent aussi pour avoir des attestations d’hébergement de complaisance, quelquefois payantes. Après des séjours coûteux à l’hôtel ou harassants chez des copains, ils se mettent à chercher éperdument du travail afin de louer un logement.
Avec le COVID, cette quête devient désespérée. Au cours d’une distribution de colis alimentaires à Paris, tout récemment, des militants de l’Union des étudiants algériens de France (UEAF) sont tombés sur un étudiant algérien couché sous un porche d’immeuble. Diplômé de la Sorbonne, celui-ci n’avait plus les moyens de régler son loyer. Il est aussi menacé d’expulsion car il n’a pas réussi à trouver un emploi et à réaliser un changement de statut.
« Nos étudiants sont en souffrance. Les emplois et les offres de stage ont diminué car beaucoup d’entreprises ont été impactées par la crise sanitaire »
- Jugurta Ayad, de l’ADDRA
En août 2020, un autre Algérien s’est suicidé en se jetant de la fenêtre d’un logement du CROUS à Nantes, dans l’ouest de la France. Décrit comme un étudiant sérieux par ses professeurs, il ne parvenait pas à trouver un stage pour valider son master en informatique et renouveler par conséquent son titre de séjour.
« Nos étudiants sont en souffrance. Les emplois et les offres de stage ont diminué car beaucoup d’entreprises ont été impactées par la crise sanitaire », constate Jugurta Ayad.
Son association, l’ADDRA, a mis en place une cellule d’écoute psychologique pour assister les étudiants fragilisés : 30 personnes sont actuellement suivies et la plupart sont des filles.
Selon Nedjma, la psychologue qui dirige la cellule, la fermeture des frontières entre la France et l’Algérie depuis le mois de mars a exacerbé le sentiment d’isolement des étudiants. « Loin de leurs familles, ils sont confrontés à un tas de problèmes et se sentent submergés », relève-t-elle pour MEE.
En perdant sa grand-mère il y a trois mois, Randa a subi un choc émotionnel à l’origine d’une éruption cutanée sur son visage. « Ma grand-mère était ma vie. Je n’ai même pas pu assister à ses funérailles », raconte-t-elle à MEE.
Lundi 30 novembre, Air Algérie a annoncé que les vols de rapatriement allaient reprendre pour les Algériens bloqués à l’étranger « sous certaines conditions ».
Pour se donner du courage, Hichem appelle ses parents tous les jours. Il leur parle des examens qu’il prépare assidûment mais évite de s’étendre sur ses problèmes d’argent. Il y a une semaine, il a reçu, comme des dizaines d’autres étudiants algériens, un chèque alimentaire de 50 euros de la part de l’ECAF.
L’association a lancé un appel aux dons qui lui permet de financer l’opération. En quelques jours, 5 000 euros ont pu être récoltés.
Mohamed Bouzid et ses camarades de l’UEAF ont fait mieux en obtenant de l’université l’équivalent de 60 000 euros de carnets de chèques alimentaires.
Très engagée auprès de diverses catégories d’expatriés comme les sans-papiers, les chibanis et les mères célibataires, l’ADDRA se démène également pour apporter une assistance financière aux étudiants précaires.
Depuis le début de la pandémie de coronavirus, ses bénévoles sont sollicités de toutes parts. « Nous sommes passés de 30 appels par mois à plus de 300 », recense Jugurta Ayad.
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