En Algérie, les étudiants d’Afrique subsaharienne « coincés » dans les universités s’organisent
« Je n’ai pas encore perçu ma bourse car le versement se fait tous les trois mois. C’est comme ça pour ceux qui sont en master, il faudra attendre juin. » Yahaya, un jeune Nigérien en première année de master en génie-chimie à l’université de Guelma, dans l’est de l’Algérie, soupire.
« Avec le confinement, la situation est devenue très compliquée. »
Vidées de leurs étudiants algériens retournés dans leur famille, les cités universitaires du pays ne comptent plus que les étudiants étrangers maintenus en confinement dans ces structures. Ces derniers, dont beaucoup sont originaires d’Afrique subsaharienne, s’organisent pour faire face à l’isolement et aux difficultés financières.
Et selon Yahaya, ils seraient nombreux à avoir du mal à joindre les deux bouts après avoir perdu un emploi.
« On essaie d’être solidaires entre nous »
Une réalité confirmée par Souleymane*, un autre ressortissant nigérien qui étudie dans la wilaya (préfecture) de Blida, à 50 km à l’ouest d’Alger, épicentre de la pandémie de COVID-19 dans le pays.
« Bien que ce soit interdit, il y a des étudiants qui travaillent de manière clandestine sur les chantiers pour s’en sortir. Mais avec la pandémie, beaucoup ont arrêté pour respecter les restrictions imposées par l’État », précise le jeune homme à Middle East Eye.
« On nous a avertis avant le confinement. Il y en a qui ont des parents bien placés au Niger et qui ont reçu un maximum d’argent de leur part. Mais ce n’est pas le cas de la majorité des étudiants, donc on essaie d’être solidaires entre nous », poursuit Souleymane.
« Bien que ce soit interdit, il y a des étudiants qui travaillent de manière clandestine sur les chantiers pour s’en sortir »
- Souleymane, étudiant nigérien à l’université de Guelma
Regroupés dans les cités universitaires de Blida et d’El Affroun, où se situent les deux campus de la wilaya, les étudiants sont maintenus dans un confinement plus ou moins strict. Pour les aider, un important réseau de solidarité s’est rapidement mis en place dans la région.
« Nous essayons de nous occuper de toute les personnes qui nous sollicitent : les familles défavorisées, les travailleurs journaliers qui ont perdu un emploi, les étudiants des cités universitaires, les hôpitaux également… », égrène Nedjib Ouzaghla, responsable des opérations de distribution du projet 3awen (aide en arabe), une plateforme en ligne créée pour cartographier les donateurs, les bénévoles et les personnes nécessiteuses afin de mieux coordonner les actions de solidarité.
Ce chef d’entreprise de 34 ans, qui vit à Blida, explique avoir été sollicité par quelques étudiants, à qui les bénévoles ont pu livrer des produits de première nécessité.
« J’étais en contact avec le représentant des étudiants zimbabwéens à Blida. C’est comme ça que nous avons pu leur remettre des denrées alimentaires. Comme il a le droit de sortir, il a aussi été chargé d’approvisionner les filles [qui vivent dans des résidences indépendantes] en produits d’hygiène féminine. Mais il y en a d’autres, toutes nationalités confondues, qui sont en difficulté », reconnaît Nedjib Ouzaghla.
« Au début du confinement, en mars, c’était un peu catastrophique. On ne pouvait pas sortir et le restaurant universitaire était fermé », se souvient Souleymane.
Depuis, les campagnes de sensibilisation et de désinfection se sont multipliées dans les différentes résidences et un approvisionnement régulier en eau, fruits, légumes et produits frais et secs a été mis en place par la Direction des œuvres universitaires (DOU) de Blida.
Traduction : Préparation par la Direction des œuvres universitaires (DOU) de Blida de repas au profit des étudiants africains et arabes.
Ramadan, qui a débuté le 24 avril, ils bénéficient désormais d’un repas chaud que chacun peut consommer dans sa chambre.
Avec le« Je les remercie, ainsi que les associations, pour leurs efforts et leur aide. On se sent à l’aise et accueillis », souligne Dálio Simone Massingue, étudiant originaire du Mozambique et président de la Communauté des étudiants étrangers africains de Blida (CEEAB).
Contacté par MEE, Réda Amrani, directeur de la résidence Hebbache Cherif à Guelma, explique que des mesures similaires sont en place.
« Le restaurant a été rouvert avec la mise en place d’ajustements liés au coronavirus » et dans cette résidence pour hommes, qui compte 138 étudiants de seize nationalités différentes, un iftar (repas de rupture du jeûne) est également distribué aux résidents.
Traduction : Au deuxième jour du Ramadan, menu du repas de l’iftar à la résidence universitaire Hebbache Ahmed Cherif à Guelma.
« Nous fournissons le nécessaire. Tout le monde a reçu un couffin avec les produits de base et de l’argent. Une ambulance est disponible pour les urgences et l’infirmerie est ouverte de 8 h à 16 h », assure le directeur, qui ajoute toutefois que certaines demandes dépassent les capacités de la résidence.
Pour Souleymane comme pour d’autres, le confinement a engendré des problèmes administratifs.
« Mon titre de séjour a expiré. J’ai pris le risque d’aller au commissariat pour déposer mon dossier afin d’avoir un récépissé qui prouve que je suis toujours résident. Mais on m’a répondu que le service étranger ne travaillait plus », indique le jeune étudiant nigérien.
« Sans ce titre de séjour, je n’ai pas le droit de retirer mon argent à la Poste, même si je présente mon passeport. »
Cinq ans en Algérie sans retour au pays
Dálio Simone Massingue confirme que quelques étudiants étrangers sont dans le même cas.
« Je leur ai conseillé de ne pas sortir et d’attendre la fin du confinement. Je pense que la police pourra comprendre le retard dans le renouvellement, surtout qu’il faudrait aller à Blida et Boufarik [un des foyers de l’épidémie dans la wilaya] », précise le président du CEEAB.
Pour Vanessa, originaire du Mozambique, il faudra attendre la fin du confinement pour finaliser la validation de son diplôme de médecine, obtenu à l’université de Blida.
« À l’heure actuelle, je devrais être chez moi. Mais à cause de la pandémie, j’ai arrêté toutes les formalités que je devais accomplir auprès de l’université, du ministère des Affaires étrangères et de mon ambassade », explique-t-elle à Middle East Eye.
En attendant, elle met à profit ses compétences pour conseiller la soixantaine d’étudiantes étrangères qui vivent dans sa résidence.
« Comme je suis médecin, elles me demandent des conseils et je surveille si elles n’ont pas de symptômes. Un médecin est également venu nous voir plusieurs fois ces deux dernières semaines. Il m’a laissé des médicaments de premiers soins », indique la jeune femme de 29 ans.
« Nous sommes aussi en contact avec une pharmacie qui nous livre si on a besoin de médicaments et une association nous apporte des produits d’hygiène. »
« Pour l’instant, personne n’a vraiment pensé à rentrer au pays car, même là-bas, la situation devient de plus en plus difficile. Les cas ne font qu’augmenter. Il vaut mieux rester ici et attendre que tout cela finisse », estime Yahaya.
S’il n’a pas de contact avec les services consulaires de son pays, il précise qu’un Comité d’étudiants nigériens en Algérie a pris attache avec leur ambassade dès le début du confinement pour demander un soutien.
« Les billets d’avion sont chers. Tous les étudiants n’ont pas les moyens de rentrer »
- Souleymane, étudiant nigérien à Blida
« Ils ont dit qu’ils allaient étudier la situation mais pour l’instant, il n’y a pas de nouvelles. »
À Blida, les services consulaires de certains États ont contacté et visité leurs ressortissants « au début du confinement », indique Dálio Simone Massingue. « Mais aucune ambassade ne s’est prononcée sur le rapatriement. »
En l’absence de vols de rapatriement, et même avant la fermeture des lignes aériennes et maritimes décidée le 17 mars, l’option du retour n’est pas envisageable pour beaucoup d’étudiants étrangers dont les moyens financiers ne permettent pas une telle dépense.
« Les billets d’avion sont chers. Tous les étudiants n’ont pas les moyens de rentrer, ne serait-ce que pour les vacances d’été. Il y en a qui passent parfois cinq ans en Algérie et ne repartent dans leur pays qu’à la fin de leurs études avec un billet de rapatriement », témoignage Souleymane.
À l’angoisse de contracter la maladie, s’ajoute désormais le stress des études. « On reçoit des cours en ligne et on les télécharge », explique Yahaya, avant de conclure : « Mais oui, on a vraiment peur pour notre année scolaire. »
* Le prénom a été changé.
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