Aller au contenu principal

Étranglés par les frais d’inscription, les étudiants du Maghreb renoncent à la France

Le premier syndicat étudiant de France appelle à une mobilisation ce 22 janvier à Paris contre l’augmentation des frais d’inscription universitaires pour les étudiants non européens. Reportage parmi les premiers concernés, en Algérie, en Tunisie et au Maroc
Des étudiants accrochent des pancartes sur lesquelles est écrit « Solidarité avec les étudiants étrangers » devant le campus Tolbiac de la Sorbonne, à Paris 1, le site étant bloqué par des étudiants, le 5 décembre 2018 à Paris (AFP)

CASABLANCA (Maroc), TUNIS et ALGER – « Voilà deux ans que j’économise. J’avais enfin réuni l’argent et même prévu de faire un prêt de 1 000 euros pour assurer mes frais au quotidien là-bas. Et là, j’apprends que je vais devoir payer 2 770 euros de frais de scolarité ? Impossible ! » 

Hamza, 21 ans, originaire d’El Jadida (au sud de Casablanca), a dû renoncer à l’idée de partir étudier en France. Cet étudiant en informatique industrielle avait commencé les démarches administratives auprès de Campus France (établissement français par lequel passe tout étudiant étranger souhaitant poursuivre des études en France) pour intégrer une troisième année de licence en ingénierie électrique de l’autre côté de la Méditerranée.

Comme le veut la procédure, il avait déjà bloqué 8 500 euros sur un compte en banque et passé le Test de connaissance du français (TCF), qui coûte 160 euros.

Après l’annonce controversée par le gouvernement français, en novembre, de la hausse des frais d’inscription universitaires pour les jeunes non Européens, la ministre française de l’Enseignement supérieur a annoncé le 10 janvier qu’elle allait charger cinq personnalités de réfléchir, via une concertation, aux « engagements » qui accompagneront cette hausse prévue pour la rentrée 2019.

Ce groupe de travail, qui rendra ses conclusions mi-février, abordera par exemple les procédures de délivrance des visas et titres de séjour, la place des enseignements en langue étrangère, les conditions d’accès au logement, la mise en place d’un référent unique et personnalisé pour tout étudiant international, selon une lettre de mission envoyée par Frédérique Vidal.

À partir de la rentrée 2019, les étudiants non européens devront s’acquitter de 2 770 euros en licence et 3 770 euros en master et doctorat

Cette mesure du gouvernement est vivement critiquée par les syndicats étudiants et d’enseignants du supérieur, et laisse circonspects des présidents d’université. 

La Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), premier syndicat étudiant, a d’ailleurs appelé à une nouvelle mobilisation ce 22 janvier à Paris, après plusieurs rassemblements en décembre, organisés également par l’UNEF, l’autre principal syndicat étudiant.

La Conférence des présidents d’université (CPU) avait demandé en décembre la suspension de cette décision. Mais la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers hors Union européenne (UE) « n’a pas vocation à être remise en cause dans son principe comme dans son calendrier » car « c’est elle qui nous donnera les moyens d’une amélioration durable des conditions d’accueil des étudiants internationaux », a ajouté la ministre.

« Il faut être riche pour aller étudier en France »

Actuellement, les étudiants non européens, soit une centaine de milliers, paient les mêmes droits que les étudiants français ou européens : 170 euros pour une année en licence, 243 euros en master et 380 euros en doctorat. 

À partir de la rentrée 2019, ils devront s’acquitter de 2 770 euros en licence et 3 770 euros en master et doctorat, soit « un tiers du coût réel » d’un étudiant étranger pour les finances publiques selon le gouvernement. 

Hamza, lui, a décidé de rester au Maroc encore deux ans puis de partir faire ses études doctorales ailleurs en Europe, même s’il ne parle pas d’autres langues que le français. « Les riches Maghrébins font leurs études en Amérique, au Canada ou en Angleterre alors que nous, la classe moyenne, on choisit la France. Mais maintenant, il faut être riche pour aller y étudier », s’agace l'étudiant.

À LIRE ► La descente aux enfers de l’université algérienne

C’est la même chose pour Meryem, 20 ans, originaire de Kenitra (au nord de Casablanca). Cette étudiante en troisième année à l’école Nationale de commerce et de gestion au Maroc, travaille depuis maintenant trois ans sur son profil Campus France. 

Elle rêve d’intégrer l’IAE France (Écoles universitaires de management), option audit ou expertise comptable. « Vous ne pouvez même pas imaginer mon état lorsque j’ai appris que les frais de scolarité seraient multipliés par dix », témoigne-t-elle à Middle East Eye. « J’ai économisé pendant trois ans pour rassembler les frais de la procédure, d’inscription, des déplacements… Maintenant, je ne peux plus partir ». 

La famille de Meryem n’a pas beaucoup de moyens. Son père est fonctionnaire et sa mère est femme au foyer. « Je suis l’aînée de ma famille et mon petit frère passe son bac cette année. Cela signifie davantage de frais pour mes parents [logement dans une autre ville, argent de poche...]. Alors je préfère renoncer à mon rêve pour que mon frère puisse à son tour trouver sa voie », conclut la jeune étudiante, déçue mais sûre de son choix.

Une déception que partage Mouad, 23 ans, originaire de Casablanca. Actuellement en deuxième année de master énergies renouvelables et matériaux à la faculté des sciences de Ben M’sik à Casablanca, l'étudiant souhaitait compléter son master à l’université de Nantes. 

« J’étais choqué. C’est beaucoup trop pour mes parents. Ce sont eux qui devaient m’aider à payer mon année en France » 

- Mouad, étudiant marocain

« J’ai travaillé dur pour avoir un dossier béton. J’ai obtenu ma licence en sciences de la matière avec six mentions, et ma première année de master avec deux mentions », lance-t-il fièrement. Lorsqu’il a appris que les frais de scolarité allaient passer de 243 euros à 3 770 euros pour les masters, Mouad venait tout juste de passer le TCF. 

« J’étais choqué. C’est beaucoup trop pour mes parents. Ce sont eux qui devaient m’aider à payer mon année en France. Mon père est à la retraite et ma mère est femme au foyer », explique-t-il. 

Pour lui, ce projet dessert les intérêts de la francophonie. « J’ai plusieurs amis dans le même cas que moi qui commencent à se renseigner pour partir en Chine, par exemple, car c’est moins cher », conclut Mouad. 

« On les connaît, nous, ceux qui vont partir… »  

« Cela faisait trois ans que je pensais partir en France et j’attendais de finir mon diplôme pour partir faire mon master, mais là, honnêtement, je dois faire une croix dessus », explique encore à MEE Malek Bouallegue, 23 ans. 

Cette étudiante en biologie industrielle dans une école d’ingénieurs à Tunis considère qu’elle ne peut pas demander à ses parents, retraités, d’investir autant dans ses études surtout avec le dinar qui continue de chuter face à l’euro. 

« L’année d’études revient presque à 13 000 dinars [3 770 euros]. Avec l’augmentation des frais, ça représente beaucoup pour des parents tunisiens, sans compter qu’on doit déjà mettre 8 000 euros sur un compte bloqué dès que l’on part en France pour étudier », explique l’étudiante.

À LIRE ► « Laissez-nous faire ! », demandent cinq ans après les jeunes de la révolution tunisienne

L’objectif était avant tout de décrocher un master dans une matière qui n’existe pas en Tunisie, l’innovation en formulation cosmétique. « Ce master m’aurait permis permet d’avoir une plus-value à l’étranger mais aussi en Tunisie », regrette Malek.

À Alger aussi, la chute du dinar face à l’euro inquiète les étudiants qui en l’espace de dix ans, ont perdu presque la moitié de leur pouvoir d’achat. Le coût de l’inscription en licence revient aujourd'hui à plus de vingt fois le salaire minimum.

« En gros, il nous faut 200 000 dinars pour avoir 1 500 euros. C’est énorme », souligne Lydia, qui avait un temps envisagé de partir suivre des études littérature à Montpellier. « Pour ma famille, c’est un coût trop lourd à supporter. » 

Sur le marché parallèle, un euro s'échange contre 212 dinars (MEE/Bachir)

Maya, enseignante en biologie, se pose la question : « Qui la France cherche-t-elle à récupérer ? Les gens qui vont envoyer leurs enfants en France sont les plus riches. Dans nos pays, ça veut dire les plus corrompus. Parmi mes étudiants, j’ai une fille de ministre et un fil de haut fonctionnaire à qui le ministre me demande de donner des bonnes notes. On les connaît, nous, ceux qui vont partir… »  

À Tunis, Ikram ben Romdhane compte sur ses deux frères en France pour l’aider, au moins pour le logement. « Je termine mes cinq ans d’études d’ingénieur et je voulais aller faire mon doctorat en France car ce n’est pas facile de faire de la recherche en Tunisie », confie-t-elle à MEE. Depuis l’annonce du gouvernement français, elle a commencé à discuter avec ses parents du budget pour son départ. 

« Qui la France cherche-t-elle à récupérer ? Les gens qui vont envoyer leurs enfants en France sont les plus riches. Dans nos pays, ça veut dire les plus corrompus » 

- Maya, enseignante universitaire à Alger

« On ne peut pas vraiment se mobiliser ici, car au final cela reste moins cher que d’aller dans un autre pays, même avec cette augmentation. On doit se résigner. Mais je trouve ça dommage, surtout quand on voit les liens de proximité que nous avons avec la France, dont nous avons pratiquement copié le système éducatif. Ces nouvelles mesures risquent de détruire les projections dans l’avenir de certains étudiants », avance-t-elle. 

Du côté de Campus France Tunisie, l’administration fait face de nombreuses questions par email ou sur Facebook. Sur 10 000 dossiers déposés, près de 4000 personnes partent chaque année étudier en France. 

Propositions de « sources alternatives »

« C’est un peu tôt pour mesurer l’impact de cette annonce. Ce sont généralement les derniers mois avant la clôture des dépôts de dossiers que les gens se manifestent », explique à MEE le chargé de l’accueil et du traitement des dossiers à Campus France en Tunisie. 

« Et puis il y a eu une mauvaise communication sur ce sujet : les étudiants africains et maghrébins se sont sentis directement ciblés alors que cela va concerner tous les étudiants étrangers. »

Il temporise en précisant qu’il y aura sans doute des propositions de sources alternatives pour aider les étudiants, des bourses, par exemple.

À LIRE ► En Turquie, la pauvreté et la tradition empêchent les réfugiées syriennes d’étudier

Pour les Tunisiens, l’augmentation des frais survient surtout dans un contexte de crise économique. Les parents de Tunisiens qui partent à l’étranger étudier arrivent difficilement à rassembler les sommes nécessaires pour payer des études à l’étranger à leurs enfants. 

Certains se reposent donc sur des membres de leurs familles expatriées en France. Najoua Baccouche, basée en France, n’arrive plus à gérer les nombreuses demandes. 

« Je prends déjà en charge ma nièce pour un master 1 : j’ai fait toutes les démarches avant son arrivée, fin septembre. Maintenant c’est la galère pour le loyer, aucune location n’est libre en Île-de-France pour un loyer entre 450 et 600 euros pour douze à dix-huit mètres carrés. Sinon il faut se déporter à une heure de Paris », témoigne-t-elle à MEE

Selon une enquête de l’Institut national de la statistique sur le budget des familles en 2015, les inégalités se creusent dans la société tunisienne (AFP)

Récemment, des associations de parents tunisiens ont demandé une hausse de l’allocation versée par la Banque centrale tunisienne pour les familles lorsqu’un enfant part étudier à l’étranger.

Cette allocation est de 3 000 dinars par mois (890 euros), complétée par une allocation annuelle de frais d’installation de 4 000 dinars (1 182 euros). Mais avec la dépréciation du dinar, les 3 000 dinars suffisent désormais à peine à payer le loyer et les dépenses de transport. 

La France, première destination d’émigration pour les Tunisiens

Entre 2015 et 2018, les étudiants ont essuyé une perte de 480 euros à cause de la chute du dinar. Sachant que les Tunisiens ne peuvent pas changer plus de 6 000 dinars [1 800 euros] par an lorsqu’ils partent à l’étranger, les choses se compliquent encore plus, une fois sur place, sans possibilité d’avoir assez de devises.  

Selon les chiffres de Campus France, en 2015, la France comptait 11 573 étudiants tunisiens et demeurait la première destination d’émigration pour les Tunisiens voulant terminer leurs études à l’étranger. 

Elle arrive en quatrième position derrière le Maroc, l’Algérie et la Chine en nombre d’étudiants étrangers en France. La majorité visent des études en sciences fondamentales et appliquées, d’autres partent pour la médecine. 

« Les augmentations des frais vont finalement s’ajouter à beaucoup de problèmes quotidiens que vivent déjà les étudiants étrangers… » 

- Hanine Diari, étudiante tunisienne en France

Hanine Diari, 24 ans, en master en France, arrivée depuis deux mois, ne peut pas non plus travailler car elle n’a pas encore son titre de séjour. 

« Nous sommes autorisés à travailler le minimum requis en parallèle des études avec le titre de séjour. Mais quand je suis partie, le délai du titre de séjour étant dépassé, personne n’a voulu prendre le risque de m’employer avec seulement mon visa », raconte l’étudiante qui s’était engagée pour un master de deux ans en France. 

« Les augmentations des frais vont finalement s’ajouter à beaucoup de problèmes quotidiens que vivent déjà les étudiants étrangers… »

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].