Cinq aliments que mangeaient les anciens Égyptiens
On ne sait peut-être pas ce qui composait le menu quotidien des foyers dans l’Égypte ancienne, mais on ne manque pas de preuves concernant leurs aliments préférés.
« Certaines choses comme le nombre de repas par jour n’étaient pas assez importantes pour être documentées pour l’éternité, cela n’allait pas vous aider à avoir une bonne vie après la mort. Que fallait-il pour cela ? Du pain et de la bière », explique Mennat-Allah El Dorry, archéologue et archéobotaniste spécialisée dans l’histoire de l’alimentation.
Les restes trouvés dans les tombes constituent l’une des principales sources de connaissance concernant la cuisine de l’Égypte ancienne, notamment l’abondante nourriture, apparemment laissée pour que les serviteurs de l’au-delà la préparent et pour que les défunts en profitent.
Le Musée égyptologique de Turin (Italie), par exemple, expose deux tas fort peu appétissants de graisse vieille de 3 000 ans, qui ont été trouvés dans la tombe de Kha à Deir el-Médineh, près de Louxor.
En plus des restes de nourriture et des sculptures de denrées alimentaires de base, les murs des tombes regorgent de scènes exquises reflétant souvent les repas particulièrement appétissants dont profiterait le défunt dans l’au-delà.
The Pharaoh’s Kitchen: Recipes from Ancient Egypt’s Enduring Food Traditions a été publié en 2010 (AUC Press) et – bien que la plupart des recettes reflètent une cuisine égyptienne plus moderne – ses auteurs Amr Hussein et Magda Mehdawy expliquent que les scènes de tombes sont bien plus que de simples représentations artistiques.
En plus des restes de nourriture et des sculptures de denrées alimentaires de base, les murs des tombes regorgent de scènes exquises reflétant les repas particulièrement appétissants dont profiterait le défunt dans l’au-delà
« Dans l’Ancien Empire, le défunt était enterré avec une liste de mets dans l’espoir que les aliments cités assouviraient à jamais sa faim », écrivent-ils.
« Les anciens croyaient également que les inscriptions portaient une magie profonde qui renouvellerait l’approvisionnement des aliments préférés du défunt sans fin et à volonté. Ils pensaient que les images de récolte, de cueillette du raisin, les scènes de chasse et les poissons représentés sur les murs des tombes avaient des pouvoirs similaires. »
À propos d’une image du côté nord du mur ouest de la chapelle d’offrande de Nakht, Mennat-Allah El Dorry explique : « Voilà un exemple parfait de scène d’offrande, et l’une des plus belles. Elle vous montre la personne à qui appartient la tombe, sa femme derrière lui et leurs serviteurs leur présentant une variété d’aliments pour l’au-delà. »
Des tas de grappes de raisins et grenades attachés ensemble, des « concombres serpents », des figues communes, des figues de sycomores (gemmeiz) et le persea égyptien aujourd’hui disparu remplissent le décor, alors que les canards, les oies, les œufs et les poissons constituent les protéines dont le défunt profiterait pour l’éternité.
En étudiant les restes de plantes et d’aliments, les recherches de Mennat-Allah El Dorry révèlent comment les gens interagissaient avec le monde autour d’eux, leur relation à l’environnement, les technologies qu’ils employaient, les économies qu’ils ont construites et leur vie quotidienne, qui ressemble souvent de manière frappante à la vie d’aujourd’hui.
La page Instagram d’El Dorry – Eat Like an Egyptian, où elle partage de courtes réflexions sur ses recherches – témoigne de charmantes petites continuités. Sa publication pour la fête de Pâques copte, qui est célébrée en conjonction avec la fête nationale de Cham el-Nessim, par exemple, raconte la popularité durable des oignons verts.
Quoi qu’il advienne, les Égyptiens ponctuent leurs repas d’oignons verts crus probablement depuis des millénaires.
Avant d’énumérer certains de ces aliments magnifiques, surprenants et typiquement égyptiens de l’Antiquité, Mennat-Allah El Dorry prévient : malgré la richesse des sources concernant ce que mangeaient les anciens Égyptiens – des interprétations artistiques sur les murs aux vestiges physiques dans les villages, en passant par les offrandes funéraires découvertes dans les tombes –, il n’y a pas de recettes complètes.
Du moins, pas au sens traditionnel du terme.
Le gâteau aux souchets
En 2019, El Dorry s’est lancée dans une sacrée aventure : recréer un gâteau aux souchets, un dessert vieux de 3 000 ans, à partir d’instructions trouvées dans la tombe de Rekhmirê, un noble de la 18e dynastie, dans le cadre de l’édition du magazine Rawi consacrée à l’histoire culinaire égyptienne, dont elle était rédactrice invitée.
À première vue, le processus tel que représenté dans la tombe semble assez solide : des hommes cueillent les fruits, les pilonnent, les mélangent avec de l’eau et semblent les faire frire. Chaque illustration s’accompagne d’instructions en hiéroglyphes, notamment pour « choisir de bonnes dates », « les pilonner », « mélanger avec de l’eau », « les faire frire ».
Mais puisque la fresque ne contient aucune mesure, aucun ordre ni description pour aucune des étapes, la chercheuse et son équipe ont dû s’appuyer sur l’archéologie expérimentale pour recréer la recette, décrivant le processus comme un puzzle sans fin.
« Pour comprendre les choses, nous essayons de les recréer aussi fidèlement que possible, selon différents scénarios, et de voir comment cela se passe », explique-t-elle.
« Ainsi, par exemple, nous avons fait à la fois des cônes et des triangles plats, parce que la peinture de la tombe ne vous dit pas comment les façonner. Nous avons expérimenté et constaté que les cônes conservaient bien mieux leur forme que les triangles, qui se brisaient avant même que nous essayions de les frire. »
Mais pourquoi ce mystère ? Pourquoi ne pas noter la recette détaillée ? Selon El Dorry, il faut garder à l’esprit deux choses à propos de la cuisine dans l’Égypte ancienne : écrire une recette sert à la diffuser, mais dans une société majoritairement analphabète comme l’Égypte sous la 18e dynastie, le bouche à oreille aurait été un outil beaucoup plus puissant.
Deuxièmement, il ne faut pas oublier que ce qui était écrit sur les murs n’était pas destiné aux vivants, mais aux morts.
« Le but était de fournir à la personne décédée tout ce dont elle aurait besoin pour l’au-delà », explique-t-elle.
« Vous n’aviez pas besoin de leur fournir un livre de recettes ; si vous représentiez symboliquement les étapes et laissiez certains ingrédients dans la tombe, tout serait prêt par magie pour eux dans l’au-delà. »
Le pain (et la bière)
Si les méthodes et recettes différaient d’un siècle et d’un royaume à l’autre, le pain a toujours été un aliment essentiel. Les archives recensent une quarantaine de variétés, notamment l’eish merahrah, le pain plat encore populaire dans la campagne égyptienne à ce jour.
Dans la chambre funéraire de Rêmkoui à Saqqarah, qui a 4 400 ans (maintenant exposée au Metropolitan Museum of Art de New York), une niche sur le mur nord montre la fabrication du pain et le brassage de la bière.
Deux femmes écrasent le grain sur des meules dures, tandis que deux autres raffinent la farine. L’une d’elles secoue son assiette pour enlever les restes d’enveloppes, tandis qu’une autre s’agenouille pour tamiser. Deux hommes pétrissent la pâte avant de la placer au four, devant lequel une femme protège son visage de la chaleur. Un brasseur passe le pain à travers un tamis, tandis qu’un homme accroupi prépare des pots pour la bière fermentée.
Pour les anciens Égyptiens, la bière était un groupe alimentaire, pas un rafraîchissement. Rien à voir avec les bières d’aujourd’hui, la bière était un aliment liquide épais, lourd de touffes, d’herbes et de calories.
« C’était une source nutritive très importante », explique l’historienne. « Elle était disponible toute l’année pour tout le monde, quelle que soit sa classe. On a même des preuves que des ouvriers recevaient leur salaire en pain, en céréales et en bière. C’était donc quelque chose qui faisait partie intégrante de la société. »
La bière était si omniprésente et si typiquement égyptienne que lorsque l’historien grec Hérodote visita l’Égypte, il l’appela « vin fait de céréales », parce qu’il n’en avait jamais vu auparavant. Le vin, en revanche, était la boisson de l’élite.
Bien qu’il ait pu être servi aux masses lors de fêtes et d’occasions spéciales, quand les rois et les nobles le distribuaient généreusement, le vin restait principalement sur des tables riches.
Oignons verts et lentilles
Il y a un attrait à voir des découvertes archéologiques et à nous voir dans le passé, comme avec les cruches d’eau emblématiques (olla) qui sont restées en grande partie inchangées, les fruits communs comme les figues et le doum, ou l’image durable d’une botte d’oignons verts attachés.
Mennat-Allah El Dorry appuie l’impression de continuité, mais ajoute qu’il faut se rappeler que ce qu’on regarde n’est pas un rendu précis de la vie quotidienne. Bien que les oignons verts apparaissent dans différents contextes (agriculture, repas quotidiens, offrandes aux morts), il se peut que, en plus de leur signification culinaire, leur omniprésence soit un choix artistique. « Les oignons verts sont visuellement intéressants, vous pouvez les empiler facilement – beaucoup plus facilement que, disons, un tas de lentilles. »
C’est-à-dire que les humains de toutes les civilisations n’archivent pas, nous sommes les conservateurs : « Il y a des raisons à ces collections qui finissent sur les murs et laissées dans des tombes. Il y a des aliments comme les lentilles dont on sait que les gens mangeaient régulièrement en grande quantité. On en trouve constamment sur les sites de peuplement, mais on n’en trouve presque jamais dans les tombes. »
Il se pourrait que, tout comme aujourd’hui, les lentilles aient été considérées comme un aliment commun et, en tant que tel, ne valent pas la peine d’être préservées pour l’éternité. On pourrait en dire autant des dattes, que l’on trouve rarement dans les tombes, bien qu’il existe une abondance de preuves matérielles de leur consommation, ainsi que des représentations artistiques de palmiers sur les tombes.
Se fier uniquement à ce qui a été intentionnellement organisé donnerait une vision étonnamment limitée de la façon dont vivaient les gens. Une grande partie du travail d’El Dorry consiste donc à chercher des indices dans les vestiges durables de la vie quotidienne.
« Nous avons des restes de plantes, beaucoup de déchets de lentilles dans les sites de peuplement, même si nous n’en trouvons jamais dans les tombes. Nous avons des os d’animaux qui, lorsque vous regardez les marques de coupe, vous disent qu’ils ont été utilisés pour leur viande. Et vous pouvez analyser chimiquement la vaisselle et les récipients en céramique pour comprendre ce qui y était cuit. »
La mandragore
Malgré cela, il reste quelques mystères : savoir, notamment, si certaines choses étaient mangées, inhalées ou offertes. Liées à l’amour, à l’érotisme et à l’anatomie féminine, les mandragores étaient sans doute le fruit le plus romantique de l’Égypte ancienne, selon une publication populaire du compte Instagram d’El Dorry. « L’amour que j’ai pour toi est diffus dans mon corps, comme le [sel] se dissout dans l’eau, comme le fruit de la mandragore est imprégné de parfum », cite-t-elle dans un poème d’amour du Nouvel Empire.
Le fait que les mandragores soient apparues dans le cadre des offrandes alimentaires suggère qu’elles étaient mangées, mais leur effet narcotique (et leur connotation érotique) aurait également pu faire de la mandragore une base puissante pour les potions et les élixirs, et un aliment de base dans les banquets et les festivités.
Une question similaire se pose à propos des fleurs de lotus, un motif omniprésent dans la culture visuelle égyptienne ancienne qui apparaît également dans des scènes d’offrandes alimentaires.
« Est-ce une garniture, est-ce juste joli ? Hérodote, dont les déclarations doivent être prises avec précaution, nous a dit que les Égyptiens mangeaient des fleurs de lotus », explique l’historienne. « On pense que tremper du lotus dans l’alcool le rend plus alcoolisé. »
« Il a aussi toutes ces connotations romantiques et sexuelles, probablement parce qu’il a des propriétés hallucinogènes. Vous voyez des gens en donner et les renifler, mais on ne sait pas si c’est pour planer ou si c’est juste ce que vous faites quand quelqu’un vous offre des fleurs. »
Mais avant de flirter avec quelqu’un en lui tendant une mandragore, ou en agrémentant votre boisson d’une fleur de lotus, vous devez savoir que la première est extrêmement amère pour les palais modernes, et la seconde un tantinet psychédélique.
Le monde de la recherche archéobotanique d’El Dorry est un endroit sauvage et merveilleux, comme on peut le voir sur sa page Instagram, qui comprend des images égyptiennes anciennes de babouins cueillant des figues, d’ail vieux de 5 500 ans qui sent encore et de biberons en forme de dieu de la fête, en plus de l’histoire culinaire médiévale et moderne.
Au jour le jour, c’est une vie d’analyse chimique, d’interprétation de textes et de conjectures éclairées, le tout pour reconstituer le puzzle du régime alimentaire des gens et, à travers cela, de leur identité.
« Tout ce que vous observez en archéologie ouvre une fenêtre sur le passé, pour nous parler de tous ces aspects de l’humanité », résume la chercheuse. « Avec l’égyptologie, on en sait beaucoup sur la royauté, on en sait beaucoup sur les momies, sur les pyramides, tout ça. Mais comprendre les gens ordinaires est tellement important, et cela nous aide à réaliser qu’ils n’étaient pas très différents de ce que nous sommes maintenant. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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