« Israël nous a fait trop de mal » : des Palestiniens handicapés racontent les horreurs de l’offensive sur Gaza
Avertissement : cet article est susceptible de heurter la sensibilité des lecteurs
Peu après qu’Israël a lancé sa guerre sur la bande de Gaza au mois de mai, la famille de Foad Abu Joba, qui vit dans le quartier d’al-Shujaiyya à l’est de la ville de Gaza, s’est enfuie et a trouvé refuge dans une école gérée par l’agence des réfugiés de l’ONU (UNRWA) afin de se protéger des bombes.
La famille voulait éviter de revivre les souffrances endurées lors des 51 jours d’offensive contre l’enclave assiégée en 2014.
« Ma famille a commencé à rassembler ses affaires pour aller à l’école à 19 h », raconte à Middle East Eye Abu Joba (29 ans), qui se déplace en fauteuil roulant à cause de dommages nerveux au niveau de ses jambes.
« Je n’ai pas pu les rejoindre parce que j’avais trop mal au dos. Je suis resté à la maison tout seul cette nuit-là. Le lendemain matin, je me rendais seul à l’école quand les avions de guerre ont bombardé un cimetière voisin.
Je suis tombé par terre avec mon fauteuil roulant. Un fragment de verre m’a blessé à la cuisse. Je portais un pantalon noir alors je n’ai pas remarqué le sang avant d’arriver à l’école. »
Avec de grandes difficultés, il a réussi à se relever et poursuivre son trajet jusqu’à l’école. Il est arrivé 20 min plus tard, la jambe couverte de sang.
Une inflammation du cartilage et de la moelle épinière a été diagnostiquée à Abu Joba en 2006 et peu après, sans raison apparente, il est devenu hémiplégique, les nerfs de sa jambe étant endommagés.
« À cause de ma paralysie, je ne sens pas mes jambes donc je n’avais pas remarqué le saignement », explique-t-il.
« Mon neveu s’est précipité à la pharmacie pour acheter des pansements stériles et de l’antiseptique. Puis j’ai traité la blessure. Heureusement, [elle] a guéri rapidement. »
« J’en avais marre de vivre comme ça »
Selon un rapport publié en mai par The National Society for Rehabilitation, une ONG de Gaza, Abu Joba est l’une des 3 000 personnes handicapées ayant dû se réfugier dans les écoles de l’UNRWA pendant le dernier bombardement israélien de l’enclave assiégée.
Ce conflit a débuté le 10 mai par des frappes aériennes israéliennes dans la bande de Gaza en représailles pour des roquettes tirées par des groupes armés palestiniens.
Ces roquettes avaient elles-mêmes été tirées en réaction au projet israélien d’expulser des Palestiniens de leurs maisons du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est et aux attaques des forces israéliennes contre les fidèles dans la mosquée al-Aqsa.
« Le problème pour moi, c’était qu’il y avait des centaines de personnes à l’école. Ma famille n’avait pas réussi à trouver une salle au rez-de-chaussée et avait dû aller au 2e étage », raconte Abu Joba.
« Les seules toilettes accessibles étaient fermées, alors j’ai utilisé les toilettes publiques utilisées par des centaines de personnes chaque jour »
- Foad Abu Joba
« Mes frères et proches ont monté une petite tente pour moi dans la cour de l’école. J’ai souffert à chaque instant passé là-bas. »
« Sans compter que ni l’administration scolaire ni la moindre organisation internationale ne m’ont aidé. Les seules toilettes accessibles étaient fermées, alors j’ai utilisé les toilettes publiques utilisées par des centaines de personnes chaque jour. »
« La plupart du temps, malgré les dangers, je rentrais à la maison pour prendre une douche et faire d’autres choses. Finalement, le sixième jour, j’ai quitté l’école et je suis resté à la maison avec mon neveu. »
« J’en avais marre de vivre comme ça dans l’école. Je préférais mourir à la maison plutôt que de souffrir à l’école. »
« Mon fauteuil roulant s’est brisé »
Mohammed al-Amarin, qui souffre de paralysie cérébrale, comprend la souffrance d’Abu Joba. Sa famille et lui, qui vivent dans le quartier d’al-Zaytoun à l’est de Gaza, ont eux aussi dû fuir les attaques israéliennes.
« Lorsque la guerre a éclaté, je vendais des sous-vêtements et des accessoires bon marché en or au marché al-Nasser, au centre de Gaza », indique-t-il à MEE.
« J’ai mis mes marchandises dans un magasin voisin et j’ai filé à la maison. Puis mon père, également handicapé, m’a dit qu’on ne risquait rien et que nous resterions à la maison la première nuit. »
La famille Amarin, qui comprend trois personnes porteuses de handicaps, a passé trois jours chez elle, avant de devoir fuir en raison de l’aggravation du conflit.
« À 6 h le 14 mai, j’ai appelé mon voisin pour nous conduire dans une école de l’UNRWA afin d’y rester jusqu’à la fin de la guerre », raconte-t-il.
« Sa voiture est petite alors il a seulement emmené mon père, ma sœur et ma mère. Ma femme, les trois enfants et moi leur avons dit que nous allions les suivre.
« Environ 10 minutes plus tard, mon fauteuil roulant s’est brisé au milieu de la route. »
Alors que le bombardement s’intensifiait et que les routes commençaient à se vider, Amarin a tenté de réparer son fauteuil, en vain. Alors il a dit à sa femme et aux enfants d’aller à l’école sans lui et qu’il les rejoindrait.
« Par chance, quelques minutes plus tard, quelqu’un fuyant vers la même école avec sa famille m’a aidé à m’y rendre », poursuit-il.
Une grosse explosion
« Ma famille et moi sommes restés dans une salle au rez-de-chaussée », indique Amarin, qui souffre d’un problème nerveux au niveau des pieds. « Mais nous n’avions pas de matelas ou de couvertures pour dormir. Alors j’ai envoyé mon fils chez un voisin de l’école qui lui a donné une couverture. Je me suis endormi dès que je l’ai eue. »
« Lorsque le cessez-le-feu est entré en vigueur, j’ai appelé un chauffeur de taxi pour nous ramener à la maison. Je jure devant Dieu que je ne pouvais pas passer une nuit de plus à l’école »
- Mohammed al-Amarin
Quelques heures plus tard, une grosse explosion à proximité l’a réveillé, mais il ne pouvait pas bouger parce que son corps était courbaturé et il avait mal au dos à cause de l’humidité.
Il a indiqué à l’administration scolaire qu’il avait besoin d’un matelas médical et de médicaments tels que du baclofène, diclofénac et des antibiotiques pour des infections osseuses. Mais ils ne lui ont rien donné.
« Après deux jours là-bas, mes proches m’ont acheté un matelas et un oreiller, mais ils étaient inconfortables », regrette-t-il.
« Mon dos était extrêmement douloureux à cause du matelas et de l’oreiller et parce que je n’avais pas pris mes médicaments pendant les six jours passés à l’école. »
« Lorsque le cessez-le-feu est entré en vigueur à 2 heures du matin le 21 mai, j’ai appelé un chauffeur de taxi pour nous ramener à la maison. Je jure devant Dieu que je ne pouvais pas passer une nuit de plus à l’école.
« Une fois à la maison, j’avais l’impression d’être au paradis. »
« Est-ce qu’Iyad est avec toi ? »
Selon Al-Mezan Center for Human Rights, lors des onze jours de conflit, Israël a tué 265 Palestiniens, dont 67 enfants, 41 femmes et 5 personnes handicapées.
Parmi les victimes figurent Iyad Salha : cet homme de 35 ans souffrant de paraplégie a été tué le 19 mai aux côtés de sa femme enceinte, Amany (37 ans), et de leur fille, Nagham (3 ans), dans leur maison du camp de Deir al-Balah au centre de la bande de Gaza.
« À 15 heures, mes trois frères, mes deux sœurs et moi nous sommes rendus chez ma sœur mariée qui habite à 10 minutes de notre maison », raconte à MEE Omar (32 ans), le frère d’Iyad, se remémorant le jour de leur mort.
« Iyad et sa femme ainsi que leur fille sont restés à la maison pour le déjeuner. Puis 20 minutes plus tard, nous avons entendu une forte explosion. »
Le cousin de Salha, qui les avait vu quitter la maison un peu plus tôt, l’a appelé et lui a demandé : « Est-ce qu’Iyad est avec toi ? Parce que votre appartement a été bombardé et personne n’a pu l’atteindre à cause de l’incendie. »
Sa mère a crié et pleuré, et tous se sont précipités pour voir ce qui s’était passé.
Toute une famille enterrée
Après un moment de silence, les yeux pleins de larmes, Omar raconte lentement les événements de ce jour-là : « Lorsque nous sommes arrivés, il y avait beaucoup d’ambulances et de pompiers qui essayaient d’éteindre les flammes. »
« Lorsque je suis entré dans notre appartement, j’ai vu que trois murs s’étaient effondrés et la fumée de l’incendie était suffocante. »
Tenant dans ses mains les restes du fauteuil roulant d’Iyad, il poursuit : « Puis j’ai découvert ses mains sectionnées de son corps. Nagham, sa petite fille, était totalement brûlée et Amany avait été décapitée et son fœtus était sorti de son utérus. »
« Je pouvais à peine ouvrir les yeux pour rechercher mon frère et sa famille. »
Au fil de son récit, Omar s’interrompt et pleure un moment.
« Après un moment, mes oncles, mes frères et moi sommes allés à l’hôpital et avons signé les papiers pour récupérer leur corps afin de les enterrer. Nous les avons enterrés après les prières de l’après-midi. »
« Cette attaque était une opération sale contre un civil handicapé assis dans un fauteuil roulant auprès de sa famille chez lui », fulmine Omar. « Nous voulons que le monde nous aide contre l’occupation. »
Crimes de guerre
Naji Naji, directeur du Palestinian General Union of People with Disabilities dans la bande de Gaza, explique à MEE que la souffrance des personnes handicapées à Gaza s’est accrue à cause de leur nombre croissant et d’un manque d’équipement.
Cet accroissement est dû selon lui aux guerres israéliennes successives contre l’enclave et aux attaques contre les Palestiniens lors de la Grande Marche du retour, des manifestations au cours desquelles les tirs des forces israéliennes ont blessé et tué des centaines de personnes.
« Nous avons eu du mal à fournir certaines aides comme des fauteuils roulants électriques, des béquilles, des médicaments, des appareils auditifs, des batteries et d’autres choses encore pour ceux qui ont évacué leurs maisons et sont restés dans les écoles de l’UNRWA », détaille-t-il.
« Les personnes handicapées ont souffert énormément pendant la guerre. Par exemple, beaucoup d’entre eux n’ont pas pu fuir les bombardements proches à cause de leur lenteur de mouvement. Ou ils ne pouvaient pas utiliser les toilettes dans les écoles de l’UNRWA. »
Naji en appelle à une intervention immédiate de la communauté internationale afin de mettre un terme aux violences israéliennes contre les Palestiniens.
« La Quatrième Convention de Genève protège les civils lors de la guerre, en particulier les personnes handicapées », indique Salah Abd al-Ati, avocat et directeur de l’International Commission to support Palestinian People’s Rights.
La Convention relative aux droits des personnes handicapées protège également les handicapés lors des guerres.
« Les crimes de l’occupation [Israël] contre les personnes handicapées lors des guerres pourraient s’apparenter à des crimes de guerre. Par chance, une commission internationale a été constituée pour enquêter sur ces crimes. »
« Israël nous a fait trop de mal. Ce sont des terroristes », déclare Foad à al-Shujaiyya. « Les Palestiniens handicapés n’ont jamais fait de mal à personne. Tout ce que j’ai à dire, c’est qu’Allah est le vengeur. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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