Syrie : dans la région d’Idleb, la guerre et le changement climatique menacent la survie des agriculteurs
Alors qu’un nouveau jour se lève, Lotfi Tamer inspecte ses terres agricoles desséchées dans la campagne de l’ouest de la province d’Idleb.
Les pluies ont été tardives cette année dans ce coin accidenté du nord-ouest de la Syrie, affectant les agrumes qui s’assèchent et les cultures maraîchères saisonnières dont les feuilles jaunissent.
Tamer possède environ deux hectares de terres dans le village d’al-Duwaisat, près de la frontière turque. Alors qu’il dépend du barrage d’al-Duwaisat pour irriguer ses terres, le réservoir, qui recueille les eaux de pluie, s’est asséché il y a environ trois mois pour la première fois depuis sa construction en 1994.
« Tout le monde pensait que le lac était profond et qu’il y avait un grand réservoir d’eau », explique-t-il à MEE. « Mais lorsque l’eau s’est asséchée, nous avons trouvé de la boue sur environ dix à quinze mètres de profondeur. »
Lotfi Tamer affirme que l’abattage d’arbres sur les collines environnantes a entraîné d’importants dépôts de terre qui ont été emportés dans le lac par les eaux de pluie au fil des ans.
Interrogé par Middle East Eye, il confie que ses pertes sont importantes cette saison en raison de la sécheresse et du manque de méthodes d’irrigation alternatives. Lotfi Tamer estime que les agriculteurs locaux ont chacun perdu entre 500 et 2 000 dollars de revenus au cours des derniers mois.
Les pêcheurs, les bergers ainsi que les camps voisins accueillant les personnes déplacées par la guerre en Syrie ont également été affectés par la disparition de la principale source d’eau de la région.
Un endroit pour pique-niquer
La situation a également attiré l’attention des responsables de l’agence des Nations unies chargée de répondre aux crises humanitaires.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), le réservoir devrait contenir 3,6 millions de mètres cubes d’eau, soit suffisamment pour irriguer 250 à 280 hectares de terres cultivées et approvisionner 900 à 1 200 ménages au sein des communautés d’agriculteurs et de pêcheurs.
« La guerre a déplacé des millions de personnes en Syrie et maintenant, le changement climatique aggrave encore la situation », déplore Mark Cutts, coordinateur humanitaire régional adjoint de l’ONU pour la crise syrienne, interrogé par MEE.
« En raison de la sécheresse, le barrage d’al-Duwaisat dans le nord-ouest du pays, utilisé principalement pour l’irrigation, s’est asséché pour la première fois depuis sa construction il y a près de trois décennies. »
Le lac d’al-Duwaisat était autrefois un endroit populaire pour les familles et les groupes d’amis qui s’y retrouvaient le week-end pour pique-niquer.
Toutefois, depuis le début de la guerre civile en Syrie, il y a près de dix ans, les gens ont afflué vers les environs reculés du lac pour échapper au conflit. D’après les habitants de la région, il existe désormais une dizaine de camps de déplacés dans les environs.
Idleb, qui échappe toujours au contrôle du gouvernement syrien et est en grande partie contrôlée par les militants de Hayat Tahrir al-Cham, abrite environ 3,1 millions de personnes.
La moitié des habitants sont des déplacés et vivent sous le seuil de pauvreté, tandis que près des trois quarts n’ont pas accès à un approvisionnement en eau adéquat, selon les données de l’OCHA.
La population de la province dépend principalement de l’agriculture et des aides de l’ONU. Mais la dernière saison des pluies en Syrie, entre la fin de l’automne et le début du printemps, a été marquée par des précipitations faibles et irrégulières, ce qui a gravement affecté la production agricole et entraîné des conditions de quasi-sécheresse.
Le troisième pays du monde le plus vulnérable à la sécheresse
La Syrie fait partie des pays considérés par les agences des Nations unies comme les plus exposés aux phénomènes climatiques extrêmes et est le troisième pays du monde le plus vulnérable à la sécheresse.
Dans un communiqué publié le mois dernier à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, des responsables de l’ONU ont indiqué qu’en raison de conditions de quasi-sécheresse dans le nord et le nord-est du pays, environ 40 % des zones agricoles irriguées ne pouvaient plus compter sur un approvisionnement en eau, et que des millions de personnes supplémentaires étaient exposées à un risque de famine.
« Dans les zones les plus touchées, les agriculteurs abandonnent tout simplement leurs terres et vendent leur bétail. En plus de les priver de leurs revenus et de leurs perspectives de subsistance, cela a également pour effet d’augmenter le coût des denrées alimentaires locales et de provoquer des pénuries, ce qui se répercute sur des communautés entières », indique le communiqué.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 12,4 millions de Syriens souffrent déjà d’insécurité alimentaire.
Les habitants d’al-Duwaisat affirment qu’en plus du changement climatique, le manque d’entretien de base du barrage lié au conflit est également à l’origine de la disparition du lac.
« Le problème est que la masse de béton du barrage est fissurée, ce qui a empêché le remplissage de l’ensemble du lac, tandis que les tuyaux qui l’entourent sont usés, ce qui a entraîné des fuites d’eau », explique à MEE Abu al-Nour al-Bakour, un civil vivant dans le village d’al-Duriya, voisin du barrage.
« Quand nous étions enfants, nos parents nous disaient de ne pas nous baigner dans le lac, car il y avait de longs roseaux au fond du lac qui causaient beaucoup de noyades », se souvient-il.
« À l’âge adulte, nous mettions en garde les enfants, mais lorsque le lac s’est asséché, nous avons constaté qu’il n’y avait pas de roseaux. Le fond du lac est plein de boue et celui-ci n’est pas aussi profond que nous le pensions. »
Le mois dernier, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a indiqué que le manque de personnel technique et d’ingénieurs avait contribué à l’effondrement du système d’approvisionnement en eau de la Syrie, ce qui a causé une baisse d’environ 40 % en dix ans des ressources en eau potable du pays.
Pour Said al-Hamroush, un déplacé originaire de la banlieue d’Alep qui travaille dans l’apiculture, le manque d’irrigation et l’absence de nouveaux bourgeons dans les cultures saisonnières et les arbres fruitiers ont affecté sa production de miel cette année.
« On ne peut couvrir l’achat et le transport de réservoirs d’eau et la région ne comporte pas de nappes phréatiques où l’on pourrait creuser des puits », explique-t-il à MEE. « Nous craignons à l’avenir une hausse des prix des légumes. Si la situation perdure, les pertes seront doublées pour tout le monde. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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