Islam en France : les instances représentatives en pleine restructuration
2022, année d’une nouvelle structuration de l’islam en France ? L’exécutif a confirmé cette semaine la création d’un « Forum de l’islam de France » destiné à remplacer le Conseil français du culte musulman (CFCM), une instance dont le bilan est critiqué, quelque vingt ans après sa création.
Le président du CFCM Mohammed Moussaoui a reconnu vendredi que son institution n’était « plus viable » et appelé à l’autodissoudre.
Il s’est dit favorable à l’initiative voulue par le gouvernement de tenir, dans les prochaines semaines, un Forum de l’islam de France (FORIF), qui verra quelque « 80 à 100 personnes » (responsables cultuels, imams, membres de la société civile) se réunir à Paris pour discuter de quatre thèmes : la formation des cadres religieux, le droit des cultes, les aumôneries et les actes anti-musulmans.
Quatre groupes de travail ont déjà commencé à se réunir en visioconférence, a indiqué à l’AFP le ministère de l’Intérieur. Et le FORIF a vocation à se réunir « annuellement », a-t-on ajouté.
Cette initiative, confirmée par le président Emmanuel Macron mercredi lors d’une rencontre avec les autorités religieuses, vise à obtenir une forme de représentation de l’islam basée sur les acteurs locaux, dans la continuité d’« assises départementales » tenues ces dernières années auprès des préfets.
Et surtout de mettre fin aux blocages inhérents au CFCM.
Incessants différends
Interlocuteur historique des pouvoirs publiques, né en 2003, le CFCM était composé d’une petite dizaine de fédérations de mosquées, dont la plupart sont restées proches des pays d’origine des communautés (Maroc, Algérie, Turquie).
L’institution a été marquée par d’incessants différends : rivalités parfois « maroco-marocaines » (deux fédérations rivales sont proches du Maroc), mais surtout algéro-marocaines alors que les tensions se sont exacerbées, ces derniers temps, entre les deux frères ennemis du Maghreb.
Le CFCM a également été plongé dans la tourmente en 2021, avec la demande du gouvernement d’adopter une « Charte des principes pour l’islam de France », qui proscrit « l’ingérence » d’États étrangers et réaffirme la « compatibilité » de l’islam avec la République française.
Trois fédérations (dont les deux turques) ont refusé de signer le texte en janvier 2021, provoquant un premier schisme au sein du CFCM. Quatre autres fédérations, dont la Mosquée de Paris, ont claqué la porte du bureau exécutif et créé leur propre « coordination ».
Les trois fédérations réticentes ont fini par signer le texte fin décembre. Mais entre temps, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin déclarait l’institution « morte ».
« Le CFCM est une coquille vide. Les fédérations le constituant n’avaient pas de projet commun », relève Tareq Oubrou, imam de Bordeaux (sud-ouest).
« Le CFCM a contribué à symboliser l’islam de France dans le cadre de la République », souligne Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS, à l’AFP. « Mais ses réalisations sont maigres sur le terrain. »
Aucune publication majeure
La tentative de mettre sur pied un financement du culte via les activités économiques quotidiennes (marché du halal, collecte des dons, organisation du pèlerinage à La Mecque), un temps évoquée en partenariat avec l’Association musulmane pour l’Islam de France (AMIF) de l’essayiste Hakim El Karoui, n’a pas abouti.
Sur le plan théologique ou de la déconstruction du discours radical, aucune publication majeure n’est à mettre au crédit du CFCM.
À sa décharge, il « n’avait pas un budget propre lui permettant peut-être de lancer des grandes opérations », dit M. Frégosi.
Le CFCM souffrait aussi d’un manque de représentativité : un peu moins de 50 % des quelque 2 500 lieux de culte y adhérent.
M. Moussaoui, dont le mandat s’achève le 19 janvier, met en avant, lui, son action dans la gestion de la crise sanitaire : fermeture des mosquées en mars 2020 puis mise en place de protocoles, actions auprès des mairies pour créer des lieux de sépultures, incitations à la vaccination, etc.
Il admet un « chantier inachevé », la mise en place d’un Conseil national des imams (CNI), pourtant réclamé par le chef de l’État.
Là encore, cette question a fait l’objet d’un différend : un CNI concurrent, a été installé fin novembre par les quatre fédérations dissidentes.
« Comment les 100 personnes du FORIF vont-elles être plus efficaces ? », s’interroge Franck Frégosi. Et « quelle sera leur marge de manœuvre ? »
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