Ramadan : zoom sur le sohour, le repas pris avant l’aube
Il est 23 heures, Sahar Eldewieh et ses amies se retrouvent dans le hall d’un hôtel de Dubaï décoré avec des lanternes du Ramadan. Vêtues de leurs plus belles abayas et après un jour de jeûne et de prière, c’est l’occasion pour elles de se voir et de sortir dans l’ambiance du Ramadan.
La tente du Ramadan où les amies se retrouvent est devenue un élément récurrent de la culture du Golfe. Ces tentes existent également sous une forme ou une autre dans divers pays musulmans et du Moyen-Orient.
Les musulmans qui jeûnent lors du Ramadan commencent généralement leur journée avant le lever du soleil, mangeant et faisant les prières de l’aube qu’on appelle « fajr ». On appelle ce repas « sohour », dérivé du mot arabe « seher » qui signifie « dernier tiers de la nuit ». Les musulmans non arabes utilisent des variantes de ce mot.
Repas pour faire le plein de nutriments avant le jeûne quotidien, le sohour est aussi un événement social dans de nombreux pays.
Le prophète Mohammed encourageait ceux qui jeûnent à se réveiller pour ce repas et aurait dit : « Prenez le repas du sohour, car il est béni. »
Certains se réveillent et avalent quelques gorgées d’eau avant le lever du jour pour s’hydrater avant la journée d’abstinence, d’autres mangent un bol de porridge ou des fruits.
L’idée est de manger à ce moment-là de la nourriture qui hydrate et donne de l’énergie pour tenir le jeûne de la journée. Les aliments salés peuvent donner soif plus tard dans la journée et les repas lourds peuvent être source de brûlures d’estomac ou de somnolence.
Fèves et pain
Mai Morsi se rappelle le sohour de son enfance en Égypte : elle et ses frères et sœurs étaient réveillés par leurs parents et s’attablaient à la cuisine juste avant l’aube.
« Il y avait toujours du pain égyptien frais, du foul [des fèves cuites lentement], du yaourt et autres selon ce qu’ils avaient préparé ce jour-là. »
Mai Morsi, qui a aujourd’hui 38 ans et vit à Bahreïn, dit n’avoir jamais été une grande mangeuse lors du sohour. « Mais j’aimais être avec ma famille à ce moment-là et parfois je prenais quelques bouchées de foul avec du pain ou ne mangeais que le yaourt. »
La mère de Sahar Eldewieh, Fatima Alassam, a grandi au Soudan dans les années 1960 et se rappelle avoir veillé tard le soir pendant le Ramadan. « Parfois, nous nous reposions et juste avant le fajr, maman réveillait la famille pour le sohour. Nous prenions du thé rouge dans un thermos et un repas léger, parfois c’était du rugag, qui sont des céréales à base de blé similaires aux cornflakes. »
Le repas suivant n’aura pas lieu avant le coucher du soleil plusieurs heures plus tard. On appelle ce repas « iftar », du mot arabe « ftour » qui signifie rupture du jeûne et peut désigner le petit-déjeuner.
Comme pour le sohour, l’iftar dépend des traditions familiales.
Certains suivent la pratique prophétique et mangent simplement des dattes et de l’eau, d’autres apprécient les boissons traditionnelles du Ramadan comme l’amareddine ou kamardine (jus d’abricots) ou le sirop de jallab (décoction de fruits secs) pour se ressourcer.
Après les prières du crépuscule appelées « maghrib », les familles se rassemblent généralement autour de la table pour partager un repas qui comprend souvent des incontournables tels que de la soupe, des samoussas, de la salade et un plat principal qui peut aller du riz cuit avec de la viande à des lasagnes végétariennes, en fonction des goûts de chacun.
Aspect social des repas du Ramadan
Puisque les musulmans en Occident jeûnent de longues heures et que la fenêtre leur permettant de manger et boire est assez courte, beaucoup réservent les événements et sorties au weekend.
« C’est la même chose dans le Golfe pour être honnête, la plupart des gens n’assistent pas à des événements chaque soir. Pour moi, c’est une activité de weekend », explique Sahar Eldewieh, qui vient du Royaume-Uni mais vit aux Émirats arabes unis depuis 2012.
Traduction : « MAC s’imagine vraiment que je m’apprête pour le sohour/sehri. J’imagine que je dois avoir l’air belle pour ma nourriture. »
« Les femmes revêtent des abayas richement brodées, des kimonos et autres vêtements pudiques. Les gens se rassemblent pour voir leurs amis et leur famille, pour manger, pour sortir, pour jouer aux cartes ou pour fumer la chicha. Mais pendant la semaine, c’est cornflakes et thé pour moi. »
En 2018, une campagne de la marque cosmétique MAC faisait la promotion d’un « look pour le sohour » qui a provoqué une certaine confusion parmi les musulmans – notamment en dehors du Moyen-Orient – lesquels se moquaient de la nécessité d’être glamour pour manger tôt le matin.
MAC s’adressait aux musulmanes vivant surtout dans les pays du Golfe, qui assistent à des événements sociaux pour profiter au mieux de la courte période pendant laquelle les gens peuvent manger, souvent organisés dans des hôtels et restaurants de luxe. Cependant, les millions de musulmans vivant hors de cette région ne se sont pas sentis concernés par le message de l’entreprise de cosmétique.
Des tentes pour tous
On ne sait pas exactement comment est né le concept de tente du Ramadan. Certains suggèrent qu’il vient d’Égypte, où un groupe d’amis qui voulait un endroit pour se voir après les prières du soir (« tarawih ») a monté une tente dans un espace communal.
Un club social local, dont ils étaient déjà membres, en a entendu parler et a décidé de créer sa propre tente – le concept n’a pas tardé à se répandre.
Aux Émirats, on dit que certains cheikhs rassemblaient leurs grandes familles élargies dans des tentes le long de la plage de Jumeirah pour l’iftar et le sohour.
Le secteur du tourisme a sauté sur l’occasion et a commencé à créer ses propres tentes de Ramadan dans des restaurants et salles de réception d’hôtels. Facturant au minimum une cinquantaine de dollars, le concept de tente de Ramadan s’avère lucratif.
Les hôtels disposent des plats issus de la cuisine internationale et traditionnelle dans des buffets dignes de photos Instagram. Parmi les plats principaux, cela va du qidreh (plat palestinien de riz et de viande riche en ail et petit pois) au murg makhni (poulet mariné dans une sauce au beurre d’origine indienne), en passant par le gigot d’agneau accompagné de sauce et tous les accompagnements, même des sushis.
Cependant, beaucoup font attention à toute consommation excessive de nourriture qui peut amener à la gourmandise et au gaspillage, tous deux contraires à l’esprit du Ramadan.
L’abondance qu’on trouve dans l’offre des hôtels de luxe est contrebalancée par les tentes de Ramadan montées pour offrir des repas gratuits à la communauté, propageant l’un des principaux piliers de l’islam et bien sûr du Ramadan : aider les moins fortunés.
Les travailleurs immigrés masculins fréquentent souvent ces tentes, comme ceux qui ne peuvent pas s’offrir de repas. Les tentes sont souvent financées par des organisations caritatives ou la communauté locale.
Les repas sont simples et comprennent généralement quelques dattes, un plat de riz et de la viande, accompagné d’un jus.
Équilibre
« Après la longue journée de jeûne, les tarawih et l’introspection du Ramadan, l’iftar et le sohour sont les deux moments de célébration où vous vous retrouvez avec vos amis et votre famille et je les passe généralement à la maison », confie Sahar Eldewieh. « Pour moi, sortir pour le sohour est occasionnel, lors des weekends, c’est une question d’équilibre. »
« Il ne s’agit pas des grands buffets servis à l’iftar », assure-t-elle. « D’après ceux auxquels je suis allée à Dubaï, ils sont généralement associés à un menu à la carte, peut-être pour limiter le gaspillage alimentaire, mais aussi parce que les gens n’ont probablement d’appétit que pour un repas, pas pour grignoter toute la nuit. »
La jeune femme a hâte de retrouver les tentes du Ramadan qui ont été fermées pendant la pandémie. Elles rouvriront cette année avec certaines mesures barrières : éviter les poignées de mains, maintenir la distanciation et se laver les mains.
Mai Morsi, mère de trois enfants, n’a pas regretté l’absence des tentes lors de la pandémie. Bien qu’elle ait vécu dans plusieurs pays du Golfe ces quinze dernières années, elle n’a jamais aimé assister aux événements pour le sohour.
Elle explique cela par une certaine anxiété sociale : « Je n’aime pas être au milieu de grands groupes, cela génère chez moi généralement de l’anxiété et de l’inconfort, donc c’est l’une des raisons pour lesquelles je ne vais jamais aux tentes ou que je n’assiste pas aux choses où il y aura trop de gens qui parleront tout autour. »
À la place, Mai, qui suit une formation en psychologie de la santé, choisit de maximiser le temps spirituel sacré du Ramadan, où chaque minute compte selon elle. « Je crois qu’on doit uniquement rendre grâce à Allah et renoncer à toutes les joies de la vie ou se contenter du minimum. »
Elle désactive ses profils sur les réseaux sociaux, choisit de ne pas regarder la télévision et de ne pas participer à l’aspect social de ce mois : « Nous avons onze mois pour se voir et sortir. Il y a des distractions ; alors que le Ramadan, c’est le mois de la réflexion spirituelle et de la prière. »
Après avoir rompu son jeûne avec des dattes et de l’eau en compagnie de sa famille et avoir effectué le maghrib, elle et ses proches se rassemblent pour manger de la soupe, de la salade et des samoussas accompagnés d’un repas léger avec tout ce qui a été cuit, comme du poulet rôti ou de l’agneau avec du riz.
Mai mange à nouveau après les tarawih : « C’est soit du yaourt avec des bananes en morceaux, soit du knafeh avec de la crème et une tasse de thé avec du lait, parfois je remange de la soupe et de la salade. Juste avant le fajr, je vais boire quelques gorgées d’eau, voilà mon sohour. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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