Algérie : les rendez-vous pour les visas Schengen, business juteux d’un trafic illégal
En Algérie, ce n’est plus au consulat de France, à VFS ou à TLScontact, les plateformes de sous-traitance des demandes de visas, qu’il faut s’adresser pour obtenir un rendez-vous, mais à des cybercafés qui trustent les créneaux de rendez-vous libres sur internet et les redistribuent contre de l’argent.
La pratique, complètement illégale, est acceptée par beaucoup d’Algériens avec fatalité. « Je n’ai pas trop le choix. Sur le site de VFS, il est quasiment impossible de trouver des rendez-vous », confie à Middle East Eye Lamia, désarmée.
Il y a un an, cette architecte qui travaille dans la banlieue est d’Alger a déboursé 5 000 dinars (35 euros) pour un rendez-vous. Son père devait absolument se rendre en France pour des soins.
« J’ai passé des nuits entières sur le site de VFS mais tout était plein. Une connaissance m’a alors suggéré d’aller voir dans les cybercafés. C’est ce que j’ai fait », rapporte la jeune femme, en précisant que certains commerces ne se contentent pas de trouver des rendez-vous. Ils proposent même de remplir les formulaires au prix de 1 000 dinars supplémentaires (7 euros).
Au téléphone, Azzedine, le gérant du cybercafé sollicité par Lamia, se défend de pratiquer des prix élevés. « Les recherches de rendez-vous me prennent beaucoup de temps. J’ai même dû recruter deux personnes pour m’aider », se justifie-t-il.
Pour aller plus vite, Youcef, un ancien étudiant en informatique féru de nouvelles technologies, avoue qu’il utilise un logiciel pour traquer les rendez-vous. Il monnaie ses services depuis sa chambre, dans l’appartement de ses parents à Alger-Centre.
Sans travail et sans perspectives, le jeune Algérois est heureux d’avoir trouvé un bon filon. « Depuis que j’ai passé une annonce sur Facebook, beaucoup de gens me sollicitent », explique-t-il avec plaisir à MEE.
Des frais de visas plus élevés que le salaire minimum
Ces jours-ci, les demandes se sont démultipliées. « C’est parce que VFS a libéré de nouveaux créneaux. Pendant l’été, il n’y en avait aucun », relève Youcef.
Dans une vidéo très largement relayée sur Facebook tout récemment, l’humoriste marocain Amine Radi a dénoncé, avec un brin de dérision, les difficultés qu’ont éprouvées ses parents lors de leur demande de visas pour la France.
En allant lui-même se renseigner au consulat de France à Rabat, il a été approché par un individu qui lui a proposé des rendez-vous payants.
« Il m’a demandé d’appeler son ami Hamid pour me trouver un rendez-vous à 5 000 dirhams ! C’est-à-dire, pour avoir un rendez-vous les amis, il faut payer 500 euros. C’est quoi ça ? Expliquez-moi ? », a-t-il demandé, interloqué.
Lamia, qui s’apprête à demander un nouveau visa pour son père, sait à quoi s’en tenir. En plus du prix du rendez-vous, elle devra payer ensuite environ 5 000 dinars (33 euros) de frais de services à VFS pour valider sa réservation.
À cela s’ajouteront les coûts de traitement du visa par le consulat de France, d’une valeur de 11 000 dinars, soit 80 euros.
« Avec tous les frais et la rémunération du cybercafé, on dépasse largement le SMIG [salaire minimum fixé en Algérie à 20 000 dinars, soit environ 140 euros] », ironise l’architecte, qui renonce pour l’instant à l’idée d’un voyage en France en compagnie de son mari et ses deux enfants. « Pour une famille, c’est carrément hors de prix », ajoute-t-elle avec regrets.
Malgré leur passage par Campus France (organisme public qu’il faut obligatoirement solliciter pour suivre des études supérieures en France), les étudiants algériens doivent aussi se débrouiller seuls afin de régler les formalités de visas et en payer le prix fort.
Aymen, qui vient d’être accepté dans une université de Lyon, a acheté un rendez-vous à pratiquement 50 euros, soit le même prix demandé pour les frais de visas.
« Le cybercafé où je me suis rendu affiche les tarifs sur la vitrine. Il vend des rendez-vous de visas pour la France, l’Espagne, le Royaume-Uni… », témoigne à MEE l’étudiant en management de 23 ans.
Avant de franchir le seuil du cybercafé, il a passé beaucoup de temps sur le site de VFS à l’affut de créneaux libres.
« Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis connecté. Parfois, je me réveillais la nuit pour rechercher des plages horaires disponibles puis je me rendormais épuisé », confie-t-il en reprochant au consulat de France de libérer les rendez-vous au compte-gouttes.
Dans un rapport parlementaire remis à l’Assemblée nationale française en janvier 2021, M’djid El Guerrab, ex-député de la neuvième circonscription des Français établis à l’étranger (Maghreb-Afrique de l’Ouest), et sa collègue de l’époque, Sira Sylla, députée de la Seine-Maritime, avaient pointé du doigt l’essor du business des rendez-vous de visas.
« Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis connecté. Parfois, je me réveillais la nuit pour rechercher des plages horaires disponibles puis je me rendormais épuisé »
- Aymen, étudiant algérien
« La difficulté liée à la prise de rendez-vous est accentuée par la multiplication des officines qui préemptent tous les créneaux dès leur ouverture sur internet et les ‘‘revendent’’ aux demandeurs », avaient-ils observé.
Les deux parlementaires citaient un rapport précédent du Sénat (réalisé en 2015) qui déplorait, quant à lui, les délais d’attente très longs pour la prise de rendez-vous.
« Ces délais de prise de rendez-vous sont en pratique imposés aux prestataires par les consulats en fonction de la capacité de ces derniers à instruire les demandes dans un délai de quelques jours. La phase d’instruction des visas au consulat constitue donc le goulot d’étranglement de la demande de visa », ont écrit les sénateurs.
« Une approche beaucoup plus souple »
Depuis l’automne 2021, la complication des démarches est aussi liée à la décision de l’État français de réduire le nombre de visas pour les ressortissants des pays du Maghreb (de moitié pour les Algériens et les Marocains et d’un tiers pour les Tunisiens).
Le gouvernement avait qualifié cette décision de « nécessaire » parce que les pays en question « n’acceptent pas de reprendre leurs ressortissants en situation irrégulière ».
Lors de son voyage à Alger fin août, le président Emmanuel Macron a bien reconnu que la question des visas faisait partie des sujets « sensibles » et « sources de tension ». Mais il n’a pas renoncé à idée de restreindre l’accès au territoire français aux Algériens.
« Nous souhaitons avoir une approche beaucoup plus souple sur l’immigration choisie, c’est-à-dire les familles de binationaux, mais aussi les artistes, les sportifs, les entrepreneurs et les politiques qui nourrissent la relation bilatérale », a-t-il affirmé en promettant d’améliorer les délais de traitement des demandes.
Au niveau européen, la gestion de la politique des visas pourrait prendre un nouveau tournant d’ici 2025. En avril, la Commission européenne a annoncé son intention de créer une plateforme numérique pour centraliser les demandes.
« Les demandeurs de visa pourront demander un visa en ligne, y compris acquitter les droits de visa, via une plateforme de l’Union européenne [UE] unique, quel que soit le pays de l’espace Schengen dans lequel ils souhaitent se rendre », révèle le projet, en précisant que cette « initiative permettrait d’améliorer efficacement la procédure de demande de visa, en ce sens qu’elle entraînerait une diminution des coûts et de la charge pour les États membres et les demandeurs, tout en renforçant la sécurité de l’espace Schengen ».
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