La décision du Hamas palestinien de rétablir les liens avec le gouvernement syrien suscite la controverse
La décision prise par le Hamas, le mouvement palestinien qui dirige la bande de Gaza, de rétablir ses relations avec le gouvernement syrien après plus de dix ans d’éloignement suscite la controverse.
Après être resté initialement neutre dans la guerre civile qui secoue le pays, le Hamas a fini par exprimer son soutien à l’opposition syrienne en 2012 et a rompu ses liens avec le président Bachar al-Assad, malgré le soutien apporté par son gouvernement par le passé.
Le groupe a également transféré son leadership de Damas à Doha au Qatar.
La semaine dernière, le leadership du Hamas a toutefois annoncé le rétablissement des liens avec le gouvernement d’Assad.
Dans un communiqué officiel condamnant les bombardements israéliens répétés sur diverses régions de Syrie, le Hamas a fait part de sa gratitude envers « les dirigeants et le peuple syriens pour leur soutien au peuple palestinien et à sa juste cause ».
« Le Hamas confirme son souhait de poursuive le rétablissement des liens avec la République arabe syrienne pour servir les intérêts de l’oumma arabe et islamique »
– Communiqué du Hamas
« Le Hamas confirme son souhait de poursuive le rétablissement des liens avec la République arabe syrienne pour servir les intérêts de l’oumma arabe et islamique, en particulier la cause palestinienne, notamment à la lumière de l’escalade de la situation régionale et internationale autour de la cause palestinienne », indique le communiqué.
« Nous attendons avec impatience que la Syrie retrouve sa position de leadership au sein de l’oumma arabe et islamique. Le Hamas soutient tous les efforts sincères visant à instaurer la paix, la stabilité et la prospérité en Syrie. »
Cette décision de rétablir les liens avec le gouvernement syrien est un pari risqué pour le Hamas, notamment en raison du large soutien dont bénéficie l’opposition syrienne parmi les Palestiniens de Gaza.
Selon une source informée au sein du Hamas, le rétablissement des liens avec la Syrie a été approuvé par tous les membres du Bureau politique général, sauf un.
« Il y a eu une discussion continue entre les institutions internes du Hamas au sujet de cette décision, et le bureau politique général a fait le choix d’engager des négociations pour rétablir les relations avec la Syrie », indique la source à Middle East Eye, souhaitant conserver l’anonymat.
L’initiative visant à rétablir les relations entre Damas et le Hamas germe depuis plusieurs années.
Le chef adjoint du Hamas dans la bande de Gaza, Khalil al-Hayya, a confirmé au journal libanais Al-Akhbar en juin dernier qu’il avait été décidé de « rétablir la relation avec Damas » après « une discussion interne et externe » impliquant des dirigeants, des cadres, des personnes d’influence « et même des détenus dans les prisons israéliennes ».
Khalil al-Hayya a souligné que « les circonstances, le timing et la forme [avaient] été abordés » et qu’« un plan destiné à être mis en œuvre avec l’aide des alliés [avait] été élaboré ». « La tendance actuelle va vers un environnement plus large comprenant des parties prenantes, des penseurs et des universitaires, puis les cadres populaires à plus grande échelle », a-t-il précisé.
Le responsable a ajouté que la question avait également été soulevée auprès de la Turquie et du Qatar, deux soutiens majeurs du Hamas, qui n’avaient exprimé aucune opposition à cette initiative.
MEE a tenté d’échanger avec des responsables du Hamas à Gaza et à l’étranger, qui ont toutefois refusé de commenter le communiqué du Hamas au sujet du rétablissement des relations avec la Syrie.
Un « péché moral »
Bien que le public n’ait pas été mis au courant des controverses qui ont pu naître au sein du Hamas autour de cette question, un certain nombre de personnes et de groupes soutenant l’organisation expriment leur consternation face à la décision de renouer les liens avec la Syrie.
Saleh al-Naami, auteur politique proche du Hamas à Gaza, qualifie de « péché moral » ce choix de rétablir les relations avec le « petit tyran » Assad.
« En plus de contredire les attentes de la nation à l’égard du Hamas, cette décision ne reflète pas la position des cadres du mouvement et de la grande majorité de ses élites », soutient-il.
« [Le Hamas a] deux options : rester seul dans le contexte de la normalisation israélo-arabe et du retour des relations entre la Turquie et Israël, ou revenir dans l’alliance entre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah »
– Mukhaimar Abu Saada, analyste
« Cette mesure aurait pu être comprise, selon une logique fondée sur le réalisme politique et les exigences stratégiques, si elle avait donné au mouvement de nouvelles bases pour lancer son travail de résistance d’une manière qui réduirait la charge sur ses terrais actuels. Mais à l’heure où les sionistes ne cessent de cibler le régime et la présence iranienne en Syrie, ce pari ne peut être réaliste. »
L’auteur palestinien Muhammad Khair Musa, résidant en Turquie, a également décrit sur Twitter une initiative « malheureuse et regrettable » du Hamas. Il soutient que « les éléments présentés pour justifier le rétablissement des relations ne sont rien de plus que des intérêts illusoires et irréels ».
Certains analystes politiques estiment toutefois que le Hamas ne peut tout simplement pas se permettre de refuser une détente avec la Syrie.
Le Hamas entretient des relations étroites avec l’Iran, principal allié de la Syrie, qui lui fournit de l’argent, des armes et d’autres formes de soutien logistique. De même, le Hamas entretient toujours de bonnes relations avec le Hezbollah, principal allié de la Syrie au Liban.
En parallèle, plusieurs pays arabes, dont certains soutenaient auparavant la cause palestinienne, ont signé des accords de normalisation avec Israël, notamment les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc, tandis que la Turquie a également rétabli ses relations après des années de tensions.
Interrogé par MEE, Mukhaimar Abu Saada, professeur de sciences politiques à l’université al-Azhar de Gaza, estime que le Hamas était pris « entre deux options : rester seul dans le contexte de la normalisation israélo-arabe et du retour des relations entre la Turquie et Israël, ou revenir dans l’alliance entre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah ».
« Le Hamas observe que le régime a mis fin aux combats à l’intérieur du territoire syrien, que le régime a amorcé son retour au sein de la Ligue arabe et que des ambassadeurs de certains pays arabes reviennent à Damas, signe du maintien du régime. Le Hamas est donc inquiet à l’idée de rester à l’écart. »
Des options limitées pour le Hamas
Selon une source haut placée au sein du Hamas interrogée par MEE, l’Iran et le Hezbollah ont déployé des efforts considérables pour rétablir les relations entre le Hamas et la Syrie au cours des derniers mois et des dernières années.
Le responsable fait état de deux principaux points de friction soulevés par la Syrie avant de renouer avec le Hamas : Damas voulait des excuses du groupe palestinien pour sa position sur la guerre en Syrie et souhaitait interdire à certaines personnalités de revenir dans le pays, notamment le dirigeant Khaled Mechaal.
« Le Hamas a refusé catégoriquement de s’excuser et il a été convenu de publier un communiqué confirmant son soutien aux dirigeants syriens, et c’est ce qu’a exprimé le dernier communiqué en date », explique la source.
Le responsable s’attend à ce qu’une délégation du Hamas se rende en Syrie dans les prochains jours : à ce stade, celle-ci serait conduite par Moussa Abou Marzouk ou Khalil al-Hayya, et non par le chef du bureau politique Ismaël Haniyeh.
Le Hamas ne s’attend pas à ce que ses dirigeants retournent vivre en Syrie en raison de la situation sécuritaire résultant des bombardements israéliens et de l’instabilité dans différentes parties de la Syrie entre le gouvernement et d’autres forces.
« La Syrie n’est plus ce qu’elle était auparavant, la situation sécuritaire est difficile et les dirigeants ne s’y réinstalleront pas. Le rétablissement des relations est une démarche politique et logistique visant à renforcer les alliances dans la région », souligne le responsable.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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