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Ismaël Haniyeh : « Pas de pitié » pour les États arabes qui trahissent la cause palestinienne

Dans un entretien avec MEE, le chef du bureau politique du Hamas dénonce l’accord de « normalisation » émirati avec Israël et salue des discussions « positives » avec le Fatah
Haniyeh a déclaré que Hamas avait détecté des « changements positifs » sur le terrain en Cisjordanie à la suite de pourparlers de réconciliation avec la faction palestinienne rivale Fatah (AFP)
Haniyeh a déclaré que Hamas avait détecté des « changements positifs » sur le terrain en Cisjordanie à la suite de pourparlers de réconciliation avec la faction palestinienne rivale Fatah (AFP)
Par David Hearst à ISTANBUL, Turquie

L’histoire ne montrera aucune pitié envers les nations arabes qui reconnaissent Israël, affirme Ismaël Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, à Middle East Eye.

Interrogé sur les pactes de « normalisation » conclus récemment avec Israël par les Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn, Haniyeh prédit que tout accord conclu par un pays arabe avec Israël finira par constituer une menace pour ledit pays.

« Nous connaissons les dirigeants israéliens mieux qu’eux. Nous connaissons leur façon de penser. Nous aimerions dire à nos frères aux Émirats arabes unis que ces accords vont les conduire à leur perte car Israël cherche seulement à avoir un point d’appui militaire et économique dans les zones voisines de l’Iran », déclare Haniyeh. 

« Ils utiliseront votre pays comme seuil. Nous ne voulons pas voir les EAU utilisés comme un tremplin israélien. »

Ismaël Haniyeh qualifie les Émiratis de « frères » qui ont autrefois toujours soutenu la cause palestinienne et ajoute que le Hamas a hâte d’être au jour où ils se dissocieront de cet accord.

« Le projet sioniste est un projet expansionniste. Son objectif est de créer un Grand Israël. Nous ne voulons pas voir les Émiratis ou les Bahreïnis ou encore les Soudanais être utilisés comme des véhicules pour ce projet. L’histoire ne montrera aucune pitié, le peuple n’oubliera pas et le droit humanitaire ne pardonnera pas », affirme-t-il.

Les accords émirati et bahreïni avec Israël, qui ont été signés à la Maison-Blanche le mois dernier, ont fait naître des spéculations selon lesquelles l’Arabie saoudite pourrait s’apprêter à emboîter le pas à ses deux proches alliés du Golfe.

Au début du mois, le prince Bandar ben Sultan, qui a été l’ambassadeur saoudien à Washington pendant plus de 30 ans, a qualifié les dirigeants palestiniens d’échecs qui ne font que manquer des opportunités de résolution du conflit avec Israël.

Survenant dans le cadre d’une interview avec la chaîne de télévision publique al-Arabiya, ces remarques ont été interprétées comme le signe d’un radoucissement de la politique du roi Salmane, qui refuse de reconnaître Israëlavant la création d’un État palestinien.

Les propos du prince Bandar représentent la position du prince héritier, Mohammed ben Salmane, pour lequel travaillent à la fois la fille et le fils de Bandar en tant qu’ambassadeurs aux États-Unis et au Royaume-Uni, respectivement.

Recul de la coopération en matière de sécurité

Ismaël Haniyeh rapporte que le Hamas a détecté des « changements positifs » sur le terrain en Cisjordanie à la suite des discussions qui ont eu lieu en vue d’une réconciliation avec la faction palestinienne rivale, le Fatah, afin de former un gouvernement d’unité nationale.

Haniyeh concède qu’il s’agit d’un défi de taille : « Nous avons constaté des changements positifs sur le terrain. Je ne veux pas avoir l’air trop optimiste et anticiper les événements mais il y a des choses positives. Les défis sont colossaux et le chemin est encore long. »

Des sources palestiniennes ont confié à MEE que la coopération en matière de sécurité entre l’Autorité palestinienne (AP) et Israël en Cisjordanie avait « quasiment » cessé.

La récente arrestation du cheikh Hassan Youssef, un cadre du Hamas qui a déjà passé 21 années en prison au total, a été condamnée par Jibril Rajoub, un responsable du Fatah qui mène les négociations avec le Hamas.  

Ces sources ont expliqué qu’une coordination formelle existait entre les Palestiniens et les Israéliens à propos des déplacements des responsables du Hamas, mais que les arrestations de dirigeants relâchés de prison avaient cessé et que les groupes locaux étaient autorisés à célébrer leur libération et à brandir publiquement des drapeaux du Hamas.

Le Hamas a également été encouragé par ce qu’il a entendu dans ses sessions à huis clos avec le Fatah, dont l’une a eu lieu récemment à Beyrouth et l’autre à Ankara.

« Ce que nous avons entendu de leur part dans les sessions à huis clos, c’est qu’ils soulignent l’importance de la participation du Hamas, car le Hamas a le droit d’être impliqué dans la gestion quotidienne du gouvernement », révèle Haniyeh.

Ismaël Haniyeh (troisième en partant de la droite) et d’autres dirigeants palestiniens assistent à une réunion à Beyrouth, le 3 septembre (Reuters)
Ismaël Haniyeh (troisième en partant de la droite) et d’autres dirigeants palestiniens assistent à une réunion à Beyrouth, le 3 septembre (Reuters)

Haniyeh considère que la position du Hamas est justifiée par l’effondrement du processus de paix d’Oslo, lequel repose sur l’accord de 1993 entre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et Israël qui a créé l’AP mais a établi le contrôle militaire israélien sur une grande partie de la Cisjordanie occupée et n’est pas parvenu à mettre fin à l’expansion des colonies israéliennes.

« Depuis le jour de son annonce, Oslo portait en lui les germes de sa propre destruction… Oslo fut un échec dès le premier jour car il s’agissait d’un accord de sécurité et non un accord politique », estime-t-il.

Oslo est mort, selon Haniyeh, lorsque ses deux signataires, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le dirigeant de l’OLP Yasser Arafat, ont été tués.

Rabin a été assassiné par un ultranationaliste israélien en 1995, tandis que la mort d’Arafat en 2004 serait, selon certains, due à un empoisonnement.

« Abou Mazen [le président de l’AP Mahmoud Abbas], lui qui a élaboré Oslo, a annoncé renoncer à Oslo et, par conséquent, oui, nous nous sentons justifiés », expose Haniyeh.

« On aurait pu gagner du temps si l’AP avait reconnu ce désastre plus tôt. Si elle l’avait rejeté plus tôt, nous aurions épargné à notre peuple les misères qu’il a endurées. Mais mieux vaut tard que jamais. »

Le chef du bureau politique du Hamas ajoute que même lorsque son mouvement a publié un document politique exprimant sa volonté d’accepter un État palestinien reposant sur les frontières de 1967, il l’a fait sous réserve de ne pas renoncer aux droits des Palestiniens.

« Abou Mazen n’a plus de cartes en main »

Les hauts dirigeants palestiniens admettent qu’Abbas, président de l’AP depuis 2005, et le Hamas s’entendent comme chien et chat. Ils se rappellent avec ironie une réunion de « réconciliation » organisée au Qatar en 2017 lorsque la délégation du Hamas est venue prête à de larges discussions.

Ce qu’ils ont obtenu d’Abbas, c’était l’ordre d’autoriser les délégués du Fatah à Gaza à assister à une conférence du parti à Ramallah. Dans la voiture qui les a ramenés de la réunion, les délégués du Hamas ont convenu qu’il n’y aurait pas de réconciliation tant qu’Abbas vivrait.

Mais cette fois, des forces puissantes poussent le Fatah dans les bras du Hamas. Haniyeh explique à MEE que trois facteurs ont contraint Abbas à repenser son approche.

Selon Haniyeh, le président de l’AP Mahmoud Abbas s’est senti insulté par les Israéliens et les Américains (Reuters)
Selon Haniyeh, le président de l’AP Mahmoud Abbas s’est senti insulté par les Israéliens et les Américains (Reuters)

« Premièrement, Abou Mazen n’a plus de cartes en main. Deuxièmement, Abou Mazen se sent personnellement insulté par les Américains et les Israéliens. Troisièmement, la Ligue arabe a adopté une décision pour contourner l’OLP et faire la paix avec Israël. »

Le mois dernier, la Ligue arabe a abandonné un projet de résolution condamnant l’accord entre Israël et les EAU.

« En d’autres termes, l’AP n’est plus nécessaire en tant qu’intermédiaire pour que les Israéliens fassent la paix avec les Arabes, tandis que dans le même temps, l’AP s’est sentie abandonnée par ses frères arabes, tant sur le plan politique que financier. »

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« Ces facteurs… ont amené Abou Mazen à penser qu’il lui fallait une nouvelle approche. D’où sa réponse positive à l’initiative du Hamas », analyse Haniyeh.

Le haut responsable annonce que le Hamas et le Fatah envisagent de présenter une liste commune lors des élections palestiniennes qui doivent avoir lieu l’année prochaine pour la première fois depuis le scrutin de 2006, qui avait donné le contrôle de Gaza au Hamas et abouti à des affrontements armés entre les factions palestiniennes, faisant des centaines de morts.

Une telle initiative serait alléchante pour le Fatah, qui craint d’être éliminé par les urnes après des années d’impopularité.

Discussion avec Dahlan

Ismaël Haniyeh clarifie également certaines informations à propos des contacts entre le Hamas et Mohammed Dahlan, ancien chef de la sécurité à Gaza qui a mené les forces du Fatah pendant les combats en 2006 et 2007.  

Dahlan, qui est désormais exilé à Abou Dabi, où il conseille le prince héritier Mohammed ben Zayed, a été salué dans certains cercles israéliens et américains comme le prochain dirigeant potentiel de l’Autorité palestinienne malgré sa rivalité acharnée avec Abbas.

Le mois dernier, le quotidien Israel Hayom attribuait à l’ambassadeur américain David Friedman des propos selon lesquels Washington envisageait de soutenir Dahlan comme prochain président palestinien, avant de retirerl’information en expliquant avoir déformé ses propos.

Haniyeh rapporte que Yahya Sinwar, dirigeant élu du Hamas à Gaza, avait organisé des discussions avec Dahlan au Caire en 2017, à une époque où les relations avec Abbas et l’AP étaient gelées.

Dahlan avait déclaré à l’époque qu’il s’attendait à ce que l’accord menât à l’ouverture de la frontière de Gaza avec l’Égypte et à une fin du blocus.

« Les discussions avec Dahlan se sont concentrées sur un point majeur : comment soulager les difficultés à Gaza. Il n’y a eu aucune discussion à propos des problèmes politiques, notamment la forme de la cause palestinienne », affirme Haniyeh.

Dahlan a également facilité les relations du Hamas avec l’Égypte et organisé un dédommagement des nombreuses familles qui avaient perdu des proches lors des combats entre le Fatah et le Hamas, leur versant environ 50 000 dollars chacune pour un total de 5 millions, précise Haniyeh.

« S’agissait-il d’un échange contre quelque chose d’autre ? Non. Le Hamas n’a jamais promis quoi que ce soit en échange. Nous avons toujours insisté sur le fait que les Palestiniens doivent choisir leurs dirigeants », assure-t-il.

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Haniyeh fait remarquer que si une quinzaine de membres du Fatah appartenant au Conseil national palestinien à Gaza sont des partisans de Dahlan, ce dernier ne s’est jamais présenté à une élection.

Une source palestinienne connaissant la relation de Sinwar avec Dahlan rejette l’idée d’un quelconque lien d’amitié entre les deux remontant à l’époque de leurs études.

Sinwar, Haniyeh et Dahlan ont tous étudié à l’Université islamique de Gaza, où Dahlan dirigeait le Chabiba, la faction jeunesse du Fatah, et Sinwar dirigeait la faction jeunesse islamique.

Lors de la période précédant la première Intifada en 1987, et avant la création du Hamas, il y avait de fréquents affrontements entre les deux groupes d’étudiants, jusqu’à la mort d’un professeur affilié à la faction islamique. 

« Sinwar a frappé si violemment Dahlan que ce dernier a dû rester à l’hôpital pendant 45 jours. Il le déteste », affirme cette source.

Échange de prisonniers

Ismaël Haniyeh confirme que l’Égypte négocie actuellement une proposition d’échange de prisonniers avec Israël. Une délégation égyptienne a transmis les demandes des deux parties et le Hamas attend de recevoir une « réponse claire ».

Il déclare que le Hamas est prêt en cas de nouvelle attaque contre Gaza et prévient que toute guerre à venir sera coûteuse pour Israël.

« En l’espace de six ans [depuis le dernier conflit majeur en 2014], les capacités du Hamas se sont bien renforcées et nous avons des surprises pour l’ennemi. Donc faire la guerre n’est pas une décision facile pour Israël. Cela serait coûteux. »

À propos de la prise de territoires palestiniens par des colons nationalistes israéliens qui prétendent revenir sur les terres habitées par leurs ancêtres, Haniyeh fait valoir : « La terre nous appartenait bien avant eux. »

Des Palestiniens de Gaza participent à une manifestation organisée par le Hamas contre les projets d’annexion israéliens en juin 2020 (AFP)
Des Palestiniens de Gaza participent à une manifestation organisée par le Hamas contre les projets d’annexion israéliens en juin 2020 (AFP)

« Nous parlons d’une terre gravée dans notre histoire, nous parlons de Jérusalem, qui était la première Qibla [direction vers laquelle prier] pour les musulmans et qui est le lieu où le prophète Mohammed a effectué son voyage nocturne [lorsque qu’il est monté au ciel selon la croyance islamique] ; nous parlons des Palestiniens auxquels appartenait cette terre bien avant que les sionistes n’arrivent d’Europe.

« Nous n’abandonnerons jamais notre patrie ni n’en céderons la moindre parcelle. Nous ne nous épargnerons aucun effort pour la libérer, et ce que ne pouvons pas libérer, il appartiendra à la prochaine génération de le faire.

« Même avec Oslo, Israël a montré qu’il n’était pas un pays en quête de paix. La nature du mouvement sioniste est de se promouvoir par la force. Il ne respecte pas les droits de l’homme ou les normes du droit international. La force l’emporte sur le droit pour eux. »

Le Hamas ne retient pas son souffle pour une victoire de Joe Biden à la présidentielle américaine, même si Haniyeh pense que Donald Trump est le pire dirigeant de l’histoire des États-Unis.

« La politique étrangère américaine ne change pas avec le président. Elle est profondément enracinée dans l’État profond américain. La politique étrangère américaine est une affaire institutionnelle, pas individuelle », conclut-il.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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