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Algérie : 25 ans après le massacre, Bentalha a changé de visage

Dans la nuit du 22 au 23 septembre 1997, la ville de Bentalha, au sud d’Alger, a connu un massacre qui a coûté la vie à des centaines de personnes. Aujourd’hui, malgré le chômage, la commune s’est métamorphosée en dynamique banlieue
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Oum Saâd restera à jamais « la Madone de Bentalha », du nom de ce quartier populaire dans la banlieue sud d’Alger attaqué pendant toute une nuit par des groupes armés. La semaine qui suit, la photo se retrouvera à la une de plus de 750 journaux de par le monde et Hocine Zaourar, son photographe, remportera le prestigieux World Press Photo (AFP)
Par Ali Boukhlef à BENTALHA, Algérie

En cette journée chaude de septembre, le centre de soutien psychologique de Bentalha, à 15 kilomètres au sud d’Alger, déborde de vie. Comme dans une crèche, des éducatrices accompagnent les enfants à la cantine pendant que d’autres répondent aux sollicitations des parents.

En raison de la chaleur écrasante, les terrains de sport et les installations de loisirs à l’intérieur de ce petit domaine restent déserts en attendant que le temps se rafraîchisse en fin de journée. Les effluves des repas préparés dans les cuisines aiguisent les appétits des petits comme des grands.

Pendant que tout le monde s’affaire, Azedine Boutrik veille sur le bon fonctionnement de l’établissement que gère la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREM).

Le jeune trentenaire, brun et longiligne, est coordinateur de cet espace jadis dédié à des enfants traumatisés par la guerre entre l’armée au pouvoir et des groupes islamistes armés au milieu des années 1990, la tristement célèbre décennie noire.

Il nous reçoit sans protocole, dans l’immense bibliothèque située à l’étage du bâtiment principal. Autour, des étagères remplies de livres et des tables entourées de chaises. Sur certains murs de la salle de lecture, autour de canapés posés pour recevoir des invités, sont collés des dessins qui rappellent le passé tragique de la ville.

« Ce sont des croquis d’enfants victimes de terrorisme. Nous avons gardé les dessins des premiers jours de leur arrivée dans le centre et ceux des semaines suivantes : l’évolution est nette », explique Azedine à Middle East Eye. Il nous montre deux dessins d’un même enfant ; dans le premier, il a dessiné des scènes d’horreurs, dans le second, la scène a changé : On voit une maison fleurie devant laquelle des enfants jouent tranquillement. Il nous renvoie 25 ans en arrière.

« Des scènes d’horreur »

Dans la nuit de 22 au 23 septembre 1997, des dizaines d’islamistes armés font irruption dans plusieurs quartiers de la petite localité de Bentalha.

Parmi les maisons plongées dans l’obscurité, seuls les cris des victimes et les sifflements des balles brisent le silence de cette nuit maudite. Au petit matin, une fois le calme revenu, les habitants, tout comme les journalistes alertés à l’aube, découvrent l’horreur : de 200 à 400 morts selon les bilans, des deux sexes, de tous âges.

« Nous avons fait le tour de toutes les maisons touchées. C’étaient des scènes d’horreur. Mais à ce jour, je ne sais toujours pas ce qu’il s’est passé cette nuit-là », témoigne à MEE Hocine Yacef, 80 ans.

Selon les médias et les repentis (combattants islamistes qui se sont rendus), les massacres comme celui de Bentalha répondaient à une logique de vengeance du Groupe islamique armé (GIA), qui reprochait aux Algériens – en particulier dans ce quartier où vivaient des membres du Front islamique du salut (FIS), formation politique concurrente – de ne pas avoir voulu rejoindre le camp qui cherchait à instaurer un État islamique.

« Certains ont réussi leur vie. C’est le cas d’un informaticien qui est bien installé et qui vient nous donner un coup de main de temps à autre »

- Azedine Boutrik, directeur du centre de soutien psychologique de Bentalha

Cet ancien professeur d’histoire à la retraite habite le quartier Hai-Djilali, qu’il avait rejoint six ans avant le drame. De la terrasse de son imposante maison encore inachevée, construite dans sa propriété située au coin d’une rue, avec sa famille, ils ont entendu les cris et les coups de feu.

Puis, une fois les funérailles terminées, la vie a repris son cours.

Pour faire face au traumatisme de dizaines d’enfants qui ont quasiment tout perdu, la FOREM a installé un centre d’aide psychologique juste après la tuerie. Des dizaines d’enfants orphelins y ont été accueillis. Aujourd’hui guéris, ils ont tous quitté le centre.

« Certains ont réussi leur vie. C’est le cas d’un informaticien qui est bien installé et qui vient nous donner un coup de main de temps à autre », confie fièrement Azedine Boutrik.

Vingt-cinq ans après les faits, le centre de la FOREM a changé de vocation. Il accueille désormais 220 orphelins de toute la région, pris en charge grâce à des donateurs qui font office de parrains en prenant en charge un ou plusieurs enfants.

À l’image du centre d’assistance psychologique, tout Bentalha – qui compte plus de 25 000 habitants – a changé. En dehors des impacts de balles qui demeurent encore visibles sur une maison ou des cicatrices physiques ou psychologiques, il ne reste plus rien de cette nuit d’horreur.

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Les routes et venelles du village construit sur les terres agricoles de la Mitidja (plaine autour d’Alger) sont toutes goudronnées. Des espaces verts donnent un aspect luxuriant à certains endroits malgré la sécheresse qui sévit en cette fin d’été.

À proximité du quartier de Boudoumi, l’un des plus touchés par le drame, est construite une cité constituée de 700 logements sociaux, édifiés notamment pour faire face à la pression démographique liée à l’arrivée de nouveaux habitants au début des années 2000. On y trouve une école, des administrations, un bureau de poste et des commerces de proximité.

À l’autre extrémité du village, au nord, les autorités ont construit un ensemble de terrains sportifs de proximité. À l’ouest, un énorme projet de complexe sportif comprenant un stade, une piscine et un hôtel est en construction. Il s’ajoute au Centre de préparation des équipes nationales de football bâti dans la commune voisine de Sidi Moussa.

« Le chômage, le plus grand problème »

Au milieu des immeubles carrés, sans relief, des jeunes se retrouvent en petits groupes. Comme dans de nombreux quartiers populaires, les jeunes de Bentalha, nés majoritairement après 1997, sont au chômage.

« Nous n’avons pas de travail. Ici, il n’y a rien. Les responsables nous rendent visite, repartent, et nous, nous restons ici à compter les heures »

- Un jeune de Bentalha

« Nous n’avons pas de travail. Ici, il n’y a rien. Les responsables nous rendent visite, repartent, et nous, nous restons ici à compter les heures », témoigne un jeune homme qui, par méfiance, refuse de donner son identité. Il retourne discuter avec ses amis.

« Ici, le plus grand problème est le chômage », abonde Hocine Yacef.

À l’image de nombreux résidents de Bentalha, Mohamed Ait-Youcef, qui a loué récemment une petite maison dans le quartier, est au chômage. Il espère que la construction du complexe sportif ou encore l’aménagement de l’oued el-Harrach, le fleuve situé en bordure de la commune, pourront offrir quelques débouchés. Sans plus.

Un responsable de la commune confie à MEE que le taux de chômage y dépasse les 35 %, notamment parmi les jeunes.

En attendant l’implantation de nouvelles entreprises pour absorber le chômage, les autorités tentent d’améliorer le cadre de vie des habitants. Elles ont organisé, en 2018, une campagne de reboisement. Des milliers d’arbres ont été plantés, donnant une vue pittoresque à cette localité dont les champs agricoles, jadis fertiles, sont désormais couverts de béton : des dizaines d’immeubles flambant neufs sont prêts à accueillir des milliers de nouveaux habitants. Une manière de donner un nouvel aspect à cette localité.

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