« Femme, vie, liberté » : un nouveau slogan retentit en Iran
La mort brutale de la jeune Mahsa Amini, le 13 septembre, a complètement bouleversé l’Iran et, depuis, c’est un pays tout entier qui est en deuil.
La jeune Mahsa marchait à côté de son frère dans les rues de Téhéran, lorsqu’elle a été arrêtée par la police des mœurs, parce que ses cheveux n’étaient pas entièrement couverts par son voile.
Battue à mort, elle a succombé sous les coups quelques heures après son arrestation. Selon le médecin légiste, l’hôpital a reçu le corps inanimé de la jeune femme et les soins médicaux qui lui ont été procurés n’ont été qu’un simulacre.
Trois jours après, la police des mœurs a officiellement annoncé sa mort des suites d’une prétendue crise cardiaque.
Cette annonce a indigné tous ceux et toutes celles qui, ayant eu déjà affaire à la police des mœurs, connaissent la violence policière qu’inflige la République islamique aux Iraniens depuis son avènement.
La première mesure répressive de Khomeini en mars 1979, quelques mois après l’instauration du nouveau régime, fut d’établir l’obligation du port du voile pour les femmes.
Pour faire respecter cette obligation et les lois de la charia (loi islamique), Khomeini a créé cette police des mœurs pour cibler les femmes osant un tant soit peu transgresser les contraintes imposées par le régime.
Les Iraniennes n’ont jamais cessé de résister
Depuis plus de quatre décennies, des centaines de milliers de femmes ont été interpellées, arrêtées, violentées et condamnées à de lourdes peines de prison, parce qu’elles ont commis le « crime » de se maquiller ou ne pas avoir mis leur voile comme il faut.
Et d’autres ont été vitriolées dans les rues iraniennes, sans que leurs agresseurs soient arrêtés, parce qu’elles ont eu le malheur d’être belles et d’attirer les regards des hommes.
La justice religieuse de la République islamique se montre également plus sévère avec les femmes qu’avec les hommes, particulièrement avec celles qui n’ont pas les moyens d’acheter leur peine et de payer les lourdes amendes qui leur sont infligées.
Les ayatollahs ont employé tous les moyens pour réprimer les femmes et les enfermer entre les quatre murs de leur maison, en vain
Nombre de femmes ont été pendues parce qu’elles avaient tué leur agresseur lors d’un viol. Le drame de Reyhaneh Djabbari restera à jamais gravé dans la mémoire collective des Iraniens. La jeune fille de 19 ans a été pendue en prison, condamnée pour avoir tué un homme qu’elle accusait d’avoir voulu la violer.
Les lois de la République islamique, conformes à la charia, réduisent la femme iranienne à une citoyenne de seconde zone. Sa législation reconnaît aux femmes le droit de réclamer de l’argent à leur mari pour allaiter leur enfant, mais elles n’ont pas le droit d’hospitaliser celui-ci ou de consulter son dossier scolaire.
L’avis de la mère concernant la vie de son enfant n’est jamais pris en compte, même si le père n’est plus là. Dans ce cas, c’est un membre masculin de la famille qui doit prendre en charge l’éducation de l’enfant, sinon un religieux. Pour la République islamique, la mère n’est pour ses enfants qu’une nourrice.
Malgré tout, les Iraniennes n’ont jamais cessé de résister à la répression que le régime islamique leur impose. Cibles privilégiées de la violence de l’État, elles se sont mises à transgresser les lois islamiques en se maquillant à outrance et en s’habillant à l’occidentale.
Cette transgression peut leur coûter cher : des coups de fouets jusqu’à 25 ans de prison ferme. Les ayatollahs ont employé tous les moyens pour réprimer les femmes et les enfermer entre les quatre murs de leur maison, en vain.
Durant les dix dernières années, cette transgression a pris une ampleur telle que le régime des mollahs n’arrive aujourd’hui plus à contrôler les jeunes générations.
Accablés et impuissants
Au point que certains observateurs confondent cette transgression avec un allégement des contraintes et une ouverture de l’espace public en Iran. Vision illusoire, car ce n’est pas la répression qui s’allège ni le régime qui recule, mais les dirigeants religieux qui se retrouvent accablés et impuissants face à la résistance massive des femmes et des jeunes.
Jamais la répression en Iran ne s’est atténuée, mais jour après jour, génération après génération, les jeunes et les femmes sont devenus de plus en plus courageux sans jamais hésiter à bafouer les contraintes religieuses et à enfreindre des lois qu’ils estiment moyenâgeuses.
Le 13 septembre, la mort de Mahsa Amini est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : 43 années d’insultes, de violences et d’humiliations envers les femmes et les jeunes se sont cristallisées sur le corps inanimé de la jeune femme de 22 ans.
À elle seule, à son insu, elle est devenue le symbole des souffrances d’un peuple. Toutes les femmes ont retiré leur voile lors de ses obsèques, en chantant et en dansant sur sa tombe, pour pleurer sa mort injuste. Une fois de plus, les agents du régime n’ont pas hésité à tirer sur la foule en deuil.
Les images de l’événement passent en boucle sur les réseaux sociaux et les Iraniens, partout dans le pays, sont indignés de voir tant d’agressivité et de violence envers une famille dont la fille a été assassiné par la police.
Depuis le 13 septembre, plusieurs centaines de villes iraniennes ne décolèrent pas. Les jeunes sont dans la rue et crient : « À bas la dictature, à bas la République islamique ». Mais un autre slogan retentit pour la première fois, particulièrement émouvant : « Femme, vie, liberté » (zan, zendegi, azadi).
Pour la première fois depuis l’avènement du régime islamiste, les femmes sont soutenues par les hommes et, côte à côte, ils défendent leur droit à la liberté et à la démocratie.
Une grande nation
Plus de quatre décennies de République islamique ont fortement isolé les femmes iraniennes, qui ont été contraintes d’affronter dans la solitude un État violent, sans l’aide des hommes.
En accordant aux hommes les privilèges d’un patriarcat désuet, le régime des mollahs a réussi pendant plusieurs décennies à rendre les hommes complices de sa politique répressive envers les femmes.
Les Iraniens ont reconnu leurs filles et leurs sœurs dans le sort tragique de la jeune fille de 22 ans et ont compris qu’un pouvoir politique qui humilie les femmes détruit aussi les familles, les vies, et les hommes
Dans l’espace privé, celles-ci devaient subir la violence conjugale contre laquelle aucune loi dans ce pays ne les protège. Et dans l’espace public, elles subissaient systématiquement des insultes et des humiliations des forces de l’ordre, sous les regards indifférents des hommes.
La mort de Mahsa Amini a réveillé les hommes et les a rendus conscients des souffrances des femmes. Ils ont reconnu leurs filles et leurs sœurs dans le sort tragique de la jeune fille de 22 ans et ont compris qu’un pouvoir politique qui humilie les femmes détruit aussi les familles, les vies, et les hommes.
Ils ont enfin compris que leur sort est étroitement lié à celui des femmes et que celles-ci, en réclamant leurs droits fondamentaux, ne s’opposent pas à eux, mais au pouvoir religieux qui glorifie un patriarcat démodé.
Cette nouvelle solidarité qui se manifeste entre les femmes et les hommes, dans toutes les villes iraniennes et entre toutes les classes sociales, prouve que quatre décennies de dictature religieuse n’ont pas réussi à venir à bout de la cohésion sociale en Iran.
Alors que la société est paralysée par d’innombrables crises politiques et économiques, les Iraniens pleurent aujourd’hui ensemble la mort des libertés à travers leur deuil de Mahsa Amini.
Ils montrent qu’ils sont une grande nation qui sait se solidariser à un moment clé de son histoire pour dire NON à l’une des pires dictatures religieuses de toute l’histoire de l’humanité.
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