Au Liban en crise, des fans privés de Mondial
« Pas de football cette année ! » Devant sa télé désuète, Jean Bassil ne ménage pas sa colère. L’État en faillite n’a pas obtenu cette année les droits de retransmission du Mondial 2022, privant les fans libanais de la Coupe du monde.
Dans les rues de Beyrouth, les drapeaux du Brésil, de l’Argentine ou de l’Allemagne flottent, même si l’enthousiasme est moins fort que lors des précédentes Coupes du monde, les Libanais étant frappés de plein fouet par la crise économique.
« Ils m’ont privé de la seule chose qui me divertit au milieu de toutes ces mauvaises nouvelles »
- Jean Bassil, habitant de Beyrouth
Depuis sa petite boutique de téléphonie mobile au nord de la capitale, Jean zappe entre des chaînes plus ou moins grisées. Il est remonté contre les responsables libanais qu’une grande partie de la population accuse de corruption et d’incompétence.
« Ils m’ont privé de la seule chose qui me divertit au milieu de toutes ces mauvaises nouvelles », s’exclame cet homme de 58 ans aux cheveux blancs.
Si de nombreux fans du ballon rond au Liban ont recours au streaming, pour lui, regarder les matchs sur son téléphone [streaming] est impossible : « Je ne vois que d’un seul œil », avoue-t-il.
Sans chef d’État depuis le 1er novembre, le Liban, en plein effondrement économique, est dirigé par un gouvernement démissionnaire incapable de prendre des décisions importantes.
Wifi trop lente, 4G trop élevée
Le cabinet, qui avait maintenu jusqu’au début du Mondial l’espoir d’une diffusion gratuite, n’a pas été capable de débloquer les cinq millions de dollars demandés par la chaîne beIN Sports pour qu’elle cède à la télévision publique les droits de retransmission.
En raison de la crise financière qui a commencé fin 2019, seuls les plus assidus et les plus nantis peuvent se permettre de se rendre dans des cafés pour suivre les matchs diffusés sur écrans géants.
Dans la banlieue de Beyrouth, un café a pris les couleurs du Brésil pour accueillir les fans venus suivre le match, revêtus de bonnets aux couleurs de la Seleção et agitant des drapeaux.
« Nous les Libanais, on a senti après ces trois ans qu’on avait besoin de ce divertissement » déclare Samer Idriss, 18 ans, drapeau brésilien à la main.
« On essaie de s’amuser au café… autant que la situation économique nous le permet », ajoute-t-il.
Il explique que la lenteur de la connexion wifi au Liban et le coût trop élevé de la 4G le dissuadent de regarder les matchs en streaming. Et l’absence quasi-totale de courant, l’État ne fournissant plus qu’une ou deux heures par jour, complique la situation.
Samer débourse 250 000 livres libanaises (presque 6 euros) pour l’entrée au café. Certains cafés exigent le double, une fortune pour bon nombre de Libanais.
La crise économique qui frappe le Liban depuis 2019, une des pires de l’époque moderne selon la Banque mondiale, a plongé plus de 80 % de la population sous le seuil de pauvreté selon l’ONU.
La plus grande partie des Libanais a vu son pouvoir d’achat s’effriter face à l’effondrement de la devise locale et l’inflation galopante.
« On ne peut pas payer 125 dollars [120 euros] d’abonnement [au câble], donc on regarde au café en payant 150 000 livres [un peu plus de 3 euros] l’entrée ou en streaming », avoue de son côté Zein Nasreddine, agent de sécurité, depuis un café populaire de la banlieue sud de Beyrouth.
Certains fans démunis suivent même les matchs regroupés sur le trottoir, debout, devant des cafés illuminés alors que les rues sont plongées dans le noir faute de courant.
Charbel Ghoussoub et sa sœur préfèrent rester chez eux. Ils se sont cotisés pour s’abonner à un câblo-opérateur le temps du Mondial pour 90 dollars, soit plus que le salaire minimum moyen, un luxe.
« Ils auront même réussi à priver les Libanais du simple plaisir qui est de suivre le Mondial gratuitement », regrette Charbel, 35 ans, qui reproche au gouvernement son « inaction ».
Par Jonathan Sawaya.
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