« Pas le choix ! » : au Liban, les familles pauvres boivent l’eau sale malgré le choléra
Marwa Khaled sait que l’eau polluée a contaminé son fils, atteint de choléra, et pourtant, elle la boit. Car dans son village marginalisé du Nord du Liban, la plupart des habitants n’ont pas accès à l’eau potable.
« Tout le monde va contracter le choléra », déclare, fataliste, la jeune femme, près de son fils de 16 ans sous perfusion à l’hôpital de campagne du village de Bebnine, ouvert fin octobre.
Le choléra est apparu au Liban début octobre, pour la première fois depuis 1993, alors que les infrastructures s’effondrent dans le pays en proie à une crise socio-économique sans précédent.
Lundi, l’Organisation mondiale de la santé a averti que l’épidémie se propageait rapidement au Liban, où dix-huit décès et quelque 400 cas ont été recensés.
Comme de nombreux habitants de ce village surpeuplé, Marwa Khaled, 35 ans, et ses six enfants boivent de l’eau sale, faute de moyens pour acheter de l’eau en bouteille. « Les gens le savent, mais n’ont pas le choix. »
« Cinq membres de la famille, y compris moi-même, avons été contaminés à la maison. Même après avoir été soignés, on va à nouveau tomber malades en buvant la même eau », déclare Rana Ajaj, une femme de 43 ans au visage émacié qui veille sur ses deux filles à l’hôpital de campagne.
Son aînée, âgée de 17 ans, est sous perfusion, et la cadette de 9 ans, contaminée pour la deuxième fois, a des cernes noirs sous les yeux.
Séparé d’elles par des rideaux, Malek Hamad, âgé d’une dizaine d’années, malade depuis deux semaines, a perdu quinze kilos. Sa mère est terrifiée à l’idée que ses dix autres enfants soient contaminés.
Réseau vétuste
Plus du quart des cas recensés au Liban se concentrent dans le village de Bebnine, où les familles nombreuses vivent dans la pauvreté.
Selon Nahed Saadeddine, directrice de l’hôpital de campagne, à une vingtaine de kilomètres de la frontière syrienne, environ 450 patients affluent chaque jour.
Le village surpeuplé compte 80 000 habitants, dont un quart de réfugiés syriens. La première infection a été recensée dans la zone du camp de réfugiés syrien voisin de Rihaniyyé, après l’apparition de cas en Syrie.
À Bebnine, « seuls 500 foyers sont abonnés au réseau d’eau potable » vétuste dans le village, selon un ingénieur de l’Office des eaux, Tareq Hammoud.
La plupart des habitants sont contraints d’acheter de l’eau pompée par des camions citernes dans des puits, eux aussi parfois pollués.
Le village est traversé par un affluent du fleuve de Nahr el-Bared, pollué par le choléra selon Nahed Saadeddine.
L’eau « irrigue toutes les terres agricoles et contamine même les puits et sources d’eau », de Bebnine, déplore-t-elle.
« Égouts, couches, déchets »
Favorisé par l’absence de réseaux d’égouts ou d’eau potable, le choléra peut être facilement traité, mais peut aussi tuer en quelques heures faute de soins, selon l’OMS.
Pour lutter contre sa propagation, le Fonds de l’ONU pour l’enfance (UNICEF) distribue du chlore soluble à certains habitants.
« Le coronavirus ne m’a pas autant effrayée que le choléra », avoue Sabira Ali, une surveillante d’école de 44 ans qui a perdu deux membres de sa famille en octobre en raison du choléra.
Pour Nahed Saadeddine, « les infrastructures doivent être changées, les puits et sources d’eau améliorés ». « Nous voulons une solution à long terme, sans quoi, nous ferons face à davantage de catastrophes. »
« L’eau des égouts, des couches, des déchets... Tout se déverse dans la rivière. C’est répugnant ! Que fait la municipalité ? », s’emporte Jamal al-Sabsabi, 25 ans, en montrant l’eau noirâtre qui coule à quelques mètres de chez lui. « Évidemment que la maladie va se propager ! »
Par Jonathan Sawaya.
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