Iran : des militantes irano-arabes des droits des femmes meurent dans la répression du Khouzistan
Le corps d’Atefeh Naami, une militante irano-arabe de la ville de Karadj, près de Téhéran, a été retrouvé sur le balcon de son domicile samedi, quelques jours après son arrestation par les services de sécurité pour avoir participé aux manifestations.
Bien que le pays ne connaisse que trop bien le phénomène de morts inexpliquées après des arrestations en Iran, le frère de cette militante pour les droits des minorités, raconte que la nouvelle a tout de même été un choc.
« J’étais totalement sous le choc et dévasté après avoir appris par ma famille que ma sœur avait été tuée », confie à Middle East Eye Mohammed Amin Naami, lui aussi militant, qui vit en Europe.
Il rapporte que lorsque sa famille l’a trouvée, elle avait un tuyau à gaz scotché à sa bouche, donnant l’air d’une tentative de suicide. Mais la famille refuse cette version. Elle affirme qu’il s’agit d’une mise en scène et que des marques de torture étaient présentes sur son corps.
Si Atefeh a effectivement été victime d’un acte criminel, elle est la dernière cible d’une série de meurtres et d’enlèvements qui a frappé les habitants de la province iranienne à majorité arabe du Khouzistan – connue sous le nom d’Ahvaz par les habitants – depuis le début des manifestations de Mahsa Amini.
Menaces jusqu’en Europe
Mohammed et sa sœur militent depuis longtemps pour le droit des Arabes en Iran à recevoir un enseignement dans leur propre langue à l’école, l’un des nombreux griefs que la minorité nourrit depuis longtemps contre la République islamique.
C’est une chose dont Mohammed a personnellement souffert, s’excusant de préférer parler à MEE en persan plutôt qu’en arabe, car sa compréhension de sa langue maternelle est moins bonne.
« J’avais peur pour [ma sœur] car elle a été pendant de longues années une activiste culturelle et citoyenne pour le peuple ahwazi. Je craignais qu’elle ne subisse le même sort que les autres prisonniers et militants ahwazis », rapporte Mohammed.
Atefeh avait joué un rôle de premier plan dans les manifestations contre la mort d’Amini, une Kurde de 22 ans décédée en garde à vue en septembre après avoir été arrêtée pour avoir prétendument porté son hijab « de manière inappropriée ».
Les manifestations qui ont suivi sa mort pour réclamant la fin des lois iraniennes concernant la tenue vestimentaire des femmes et de la « police des mœurs » qui les applique – ont été parmi les plus importantes depuis des années, et largement dirigées par des femmes.
En tant que femme et membre d’un groupe ethnique minoritaire – « doublement opprimée » en Iran, comme le formule Mohammed – Atefeh pouvait facilement s’identifier à Amini et à la violence qu’elle avait subie de la part de l’État.
« Elle était fermement opposée à la discrimination contre les femmes et a toujours dit à ses autres amies que nous devrions faire un pas vers le changement », témoigne à MEE une amie d’Atefeh depuis Karadj.
« C’était une fille courageuse qui a rendu plus fort ses autres amis. Elle a toujours dit que l’oppression et la discrimination ne dureraient pas. »
« C’était une fille courageuse qui a rendu plus fort ses autres amis. Elle a toujours dit que l’oppression et la discrimination ne dureraient pas. »
- Une amie d’Atefeh
Selon sa famille, le corps d’Atefeh Naami a été inhumé lors d’un service en petit comité lundi, sans rapport médical et sans rites funéraires traditionnels, après avoir été ramené au Khouzistan par les services de sécurité.
« Je sais qu’ils ont tué Atefeh, et maintenant ils disent qu’elle s’est suicidée », ajoute son amie. « C’était une fille pleine d’énergie et toujours pleine d’enthousiasme. Je n’arrive pas à croire cette histoire stupide que raconte le gouvernement. »
Mohammed a déclaré qu’avec d’autres membres de la famille d’Atefeh, ils avaient également fait l’objet de menaces de la part de l’État.
Il a dit avoir reçu un certain nombre d’appels anonymes le menaçant, prévenant qu’il ne devait pas se sentir en sécurité simplement parce qu’il vit en Europe. « La portée de notre main est grande et nous vous aurons un jour », a déclaré l’un d’eux.
Mes frères et sœurs sont sous pression
Pour sa famille qui vit toujours en Iran, le risque est encore plus grand. Mohammed a déclaré que son frère l’avait appelé mardi, « très effrayé », et qu’il avait été approché par un agent des renseignements qui l’avait menacé en raison de l’activisme de son frère, l’accusant de « diffuser de la propagande et cette information dans les médias, en Occident et dans les médias arabes et persans ».
« Ma famille, en particulier mes frères et sœurs, sont sous pression », a déclaré Mohammed.
En Iran, les Arabes ahwazis se plaignent de discriminations depuis des décennies. Au-delà de la répression de la langue arabe et d’autres pratiques culturelles, le Khouzistan est également devenu tristement célèbre pour sa pollution.
La ville d’Ahvaz a régulièrement été qualifiée de ville la plus polluée au monde par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les maladies respiratoires et les cancers sont très répandus.
Un certain nombre de groupes armés s’y sont formés, dont le Mouvement arabe de lutte pour la libération d’Ahvaz (ASMLA) et le Front démocratique révolutionnaire pour la libération de l’Arabistan (DRFLA), ce dernier avait fait la une des journaux après une prise d’otages à l’ambassade d’Iran à Londres en 1980, exigeant la libération des prisonniers arabes en Iran.
Le Khouzistan est également devenu un territoire clé pendant la guerre Iran-Irak, beaucoup croyaient que le président irakien de l’époque, Saddam Hussein, chercherait à annexer la zone à majorité arabe. En fin de compte, il a subi certaines des plus lourdes pertes de la guerre.
Malgré ces problèmes, une amie d’Atefeh, basée à Ahvaz, raconte à MEE qu’il avait fallu un certain temps à la province pour se joindre aux manifestations faisant suite à la mort de Mahsa Amini.
« Dans les premières semaines qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, Ahvaz, contrairement à beaucoup d’autres villes d’Iran, n’a pas connu beaucoup de manifestations contre le régime. Ce qui peut s’expliquer par l’attachement aux traditions et à la religion des habitants de la province du Khouzistan », explique-t-elle en s’exprimant sous couvert d’anonymat.
Mais alors que des sujets de préoccupation plus larges se sont greffés à ce qui était initialement des manifestations axées sur la question des droits des femmes, elle explique que la province s’est aussi échauffée.
Le journal Hamshahri indique que 105 manifestants du Khouzistan ont été inculpés par la justice iranienne fin octobre, contre 110 dans la province natale du Kurdistan d’Atefeh.
« Ils tuent les gens eux-mêmes »
Selon des militants des droits de l’homme, un certain nombre d’éminents militants ahwazis ont été arrêtés et ont « disparu » dans le réseau carcéral iranien ces derniers mois.
Il s’agit notamment du musicien Saeed Hamidi, de Saeed Helechi, poète et traducteur ahwazi, et de Hadi Manabi, photojournaliste et militant écologiste.
Ahwaz Human Rights Organisation (AHRO) a signalé l’exemple de deux jeunes manifestants, Mahdi Farhani, 18 ans, et Ali Bawi, 17 ans, morts après leur arrestation par les services de sécurité.
« La minorité, c’est désormais le gouvernement et ses partisans »
- Une amie d’Atefeh Naami
Le corps du premier a été rendu le 24 octobre à sa famille. Cette dernière a reçu l’ordre de l’enterrer rapidement. Le corps du second a été retrouvé le même jour, flottant dans une rivière. Les responsables de la sécurité auraient déclaré qu’il était tombé et s’était noyé.
« Ces jours-ci, j’entends tellement de mensonges de la part du gouvernement qu’il est difficile de croire ses propos », assure l’amie d’Atefeh. « Ils tuent les gens eux-mêmes, puis ils disent que la victime s’est suicidée. »
Lundi, un général iranien a déclaré que plus de 300 personnes avaient été tuées entre le début des manifestations et la mi-septembre, dont des dizaines de membres des forces de sécurité. Les groupes de défense des droits de l’homme affirment que le nombre de manifestants tués est bien plus élevé.
Selon les autorités iraniennes, plus de 2 000 personnes ont été inculpées pour des infractions et au moins six personnes ont été condamnées à mort.
Mais malgré la répression, les manifestations ont mis les minorités iraniennes sous le feu des projecteurs.
Le slogan kurde « Femmes, vie, liberté » est devenu le cri de ralliement des militants à travers le pays, au-delà des frontières ethniques et linguistiques.
Des manifestations ont éclaté au Balouchistan, en Azerbaïdjan-occidental et dans d’autres régions à forte population minoritaire.
Selon l’amie d’Atefeh à Karadj, les manifestations ont uni l’opposition iranienne et franchi les frontières qui existaient entre les minorités du pays.
« La minorité, c’est désormais le gouvernement et ses partisans », assure-t-elle.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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