Les autorités saoudiennes ont « infiltré » Wikipédia pour contrôler son contenu selon des activistes
Les autorités saoudiennes ont « infiltré » Wikipédia et condamné deux administrateurs de cette encyclopédie participative en ligne à de lourdes peines de prison, ont annoncé jeudi des ONG de défense des droits humains.
Une enquête menée par la fondation Wikimedia, maison-mère de Wikipédia, a « révélé que le gouvernement saoudien a infiltré au plus haut niveau l’équipe de Wikipédia dans la région », ont déclaré dans un communiqué commun les ONG Democracy for the Arab World Now (DAWN) et SMEX, basée à Beyrouth.
Deux administrateurs de Wikipédia – des bénévoles ayant un accès privilégié aux pages de l’encyclopédie en ligne afin de modifier des pages restreintes au plus grand nombre – ont été arrêtés en septembre 2020, affirment-elles.
Il s’agit d’Ossama Khalid et Ziyad al-Sofiani, d’après ces ONG. Ils ont été respectivement condamnés à 32 et 8 ans de prison, a précisé Abdullah Alaoudh, directeur des recherches sur la région du Golfe pour DAWN.
Wikimedia a nié vendredi avoir des preuves d’une telle « infiltration ».
Il n’y a pas de telles « conclusions dans notre enquête », a déclaré Wikimedia dans un communiqué. La fondation a précisé que son enquête n’avait pas révélé que le gouvernement saoudien avait « infiltré » Wikipédia, mais que certains utilisateurs qu’elle avait interdits « étaient peut-être saoudiens ».
Le communiqué de Wikimedia ne mentionne pas les peines de prison rapportées par DAWN et SMEX, qui n’ont pas pu être confirmées de manière indépendante par l’AFP.
DAWN, basée à Washington, a été fondée par le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, dont l’assassinat en 2018 a été imputé par les renseignements américains au prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane, ce que démentent les autorités saoudiennes.
« Les arrestations d’Ossama Khalid et Ziyad al-Sofiani d’une part, et l’infiltration de Wikipédia d’autre part, montrent un aperçu terrifiant de la manière dont le gouvernement saoudien cherche à contrôler le récit et Wikipédia », a dénoncé Abdullah Alaoudh auprès de l’AFP.
Seize utilisateurs bannis
Ces arrestations font partie d’une « répression » contre les administrateurs de Wikipédia dans le pays », ont déclaré DAWN et SMEX. Les hommes ont été poursuivis parce qu’ils avaient fourni des informations jugées critiques sur la persécution de militants politiques dans le pays, ont déclaré les ONG, citant des sources anonymes.
« Il est ignoble mais tout à fait prévisible que le gouvernement saoudien ait poursuivi des Saoudiens simplement pour avoir publié du contenu sur les violations des droits de l’homme commises par le gouvernement », a déclaré Raed Jarrar, directeur du plaidoyer de DAWN.
« Mais Wikimedia doit également assumer la responsabilité du fait que ses éditeurs autorisés languissent aujourd’hui en prison pour le travail qu’ils ont fait sur les pages de Wikipédia. »
Au cours de cette enquête, débutée en janvier 2022, Wikimedia a pu « confirmer qu’un nombre d’utilisateurs proches d’acteurs externes modifiaient la plateforme de manière coordonnée pour faire avancer l’agenda de ces acteurs », d’après le communiqué des ONG.
Wikimedia évoque des Saoudiens agissant pour le compte du gouvernement saoudien, assurent DAWN et SMEX, qui s’appuient sur des « lanceurs d’alerte et des sources de confiance ».
Le mois dernier, Wikimedia avait annoncé dans un communiqué bannir de ses plateformes éducatives seize utilisateurs « qui présentaient des conflits d’intérêts lors de l’édition de projets [de pages] sur Wikipédia dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ».
Dans une déclaration à l’époque, Wikimedia déclarait être « en mesure de confirmer qu’un certain nombre d’utilisateurs ayant des liens étroits avec des parties externes éditaient la plateforme de manière coordonnée pour faire avancer l’objectif de ces parties », sans toutefois révéler l’exact emplacement ou identité des utilisateurs interdits.
Des sources au courant des opérations de Wikimedia ont révélé à DAWN et SMEX que l’interdiction visait seize utilisateurs saoudiens après la découverte qu’ils servaient d’agents au gouvernement saoudien pour promouvoir un contenu positif à son sujet et supprimer les entrées de contenu critique, y compris les informations sur les prisonniers politiques dans le royaume.
« Bien que nous ne sachions pas vraiment où ils résident, les mesures visant les bénévoles, qui auraient pu être saoudiens, faisaient partie d’une action beaucoup plus large [...] à travers la région », a précisé vendredi Wikimedia.
Il n’y a pas eu de commentaire immédiat du gouvernement saoudien.
Ces incidents interviennent peu après la condamnation par la justice américaine le 15 décembre d’un ancien employé de Twitter à trois ans et demi de prison pour espionnage en faveur de responsables saoudiens.
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