Rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, après plus de quatre décennies de tensions
Après sept ans de rupture, l’Iran et l’Arabie saoudite vont rétablir leurs relations diplomatiques, une annonce faite à l’issue de pourparlers trilatéraux qui se sont tenus à Pékin.
Il s’agit du dernier tournant en date dans les relations tumultueuses entre les deux pays, qui remontent à la révolution islamique iranienne de 1979.
L’Arabie saoudite a soutenu tacitement l’Irak pendant sa guerre contre l’Iran dans les années 1980, avant un relatif apaisement des tensions. Celles-ci ont été ravivées à la suite des manifestations antigouvernementales qui ont eu lieu dans toute la région lors du Printemps arabe.
À deux reprises au moins, des incidents survenus lors du pèlerinage annuel du Hadj ont également provoqué des tensions majeures entre les rivaux régionaux.
Middle East Eye se penche sur les relations pour le moins chaotiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite au cours des quarante dernières années.
Guerre Iran-Irak et répression du Hadj
La République islamique d’Iran a vu le jour en avril 1979, lorsque des religieux chiites ont renversé le régime dynastique des Pahlavi, qui durait depuis des décennies.
Si l’Arabie saoudite entretenait déjà des relations difficiles avec l’Iran sous l’autorité du shah Mohammad Reza Pahlavi, la situation s’était toutefois améliorée vers la fin de son règne, les deux pays ayant été les premiers membres du cartel pétrolier de l’OPEP.
L’introduction d’une nouvelle république théocratique en Iran a été perçue comme une menace par Riyad, qui, à l’instar de plusieurs voisins de la monarchie sunnite, a accusé Téhéran de tenter d’exporter sa révolution et de tenter d’étendre son influence régionale
L’Irak, alors dirigé par Saddam Hussein, a attaqué l’Iran en septembre 1980 et a déclenché une guerre qui durera huit longues années.
Bien que l’Arabie saoudite soit restée officiellement neutre dans ce conflit meurtrier, le pays a néanmoins mis ses ports à la disposition de l’Irak, afin de faciliter l’exportation d’équipements. La monarchie a également apporté un soutien financier important à Saddam Hussein.
Le Conseil de coopération du Golfe (CCG), composé de six pays et dont l’Arabie saoudite est membre, a été créé en mai 1981, en partie en réponse à la révolution islamique iranienne et à la guerre entre l’Irak et l’Iran.
Les relations entre les deux pays se sont détériorées en juillet 1987, lorsque les forces de sécurité saoudiennes ont violemment réprimé une manifestation anti-américaine organisée par des pèlerins iraniens dans la ville sainte de La Mecque, pendant le pèlerinage du Hadj. Quelque 402 pèlerins ont été tués, dont 275 Iraniens.
En réaction, les manifestants ont attaqué et occupé l’ambassade saoudienne à Téhéran et mis le feu à l’ambassade du Koweït.
Un diplomate saoudien est mort au cours de l’incident, après être tombé d’une fenêtre du bâtiment. Riyad a accusé les autorités iraniennes d’avoir retardé son transfert à l’hôpital.
Le roi Fahd d’Arabie saoudite a rompu ses relations avec l’Iran à la suite de l’incident du Hadj et de l’escalade qui s’en est suivie en 1988.
Téhéran a ensuite boycotté le pèlerinage pendant trois ans, après que le royaume du Golfe ait limité le nombre de visas aux pèlerins iraniens.
De la détente aux guerres par procuration
Les relations entre les deux pays ont été rétablies en 1991, ce qui a déclenché une période de rapprochement.
En août 1997, le président Mohammad Khatami a pris le pouvoir en Iran et a tenté de tendre la main à ses rivaux du Golfe.
En décembre 1997, le prince héritier Abdallah s’est rendu dans des régions non arabes de l’Iran, devenant ainsi le plus haut dignitaire royal ou officiel saoudien à le faire depuis la révolution.
Deux ans plus tard, Khatami est devenu le premier président iranien à se rendre en Arabie saoudite depuis 1979. Les deux pays ont ensuite signé un accord de sécurité en 2001.
Un réchauffement qui ne va pas durer : l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003, qui va conduire à la chute de Saddam Hussein, va porter au pouvoir la majorité chiite du pays. Depuis, l’Iran exerce une influence majeure sur son voisin irakien.
En 2005, le président Mahmoud Ahmadinejad, devenu l’homme fort de Iran, adopte une approche plus dure en matière de politique étrangère régionale.
L’Iran accélère alors son programme d’énergie nucléaire, ce qui va éveiller les soupçons de l’Arabie saoudite : la monarchie craint à nouveau que la République islamique ne tente d’exercer une domination régionale.
En octobre 2011, deux Iraniens sont accusés par Washington d’avoir tenté d’assassiner le ministre des affaires étrangères Adel al-Jubeir, l’ambassadeur saoudien aux États-Unis.
À la suite de manifestations antigouvernementales dans plusieurs pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, connues sous le nom de « Printemps arabe », Téhéran et Riyad se sont retrouvés dans des camps opposés sur plusieurs points chauds et dans plusieurs conflits.
Au Bahreïn, l’Arabie saoudite a envoyé des troupes pour écraser un mouvement de protestation en faveur de la démocratie mené par les chiites en 2011, et a ensuite accusé l’Iran d’attiser les tensions dans le pays.
En Syrie, où la violente répression des manifestations par le président Bachar el-Assad a conduit à une guerre civile de dix ans – qui persiste toujours –, l’Iran a soutenu Assad tandis que Riyad apportait son soutien aux forces d’opposition.
Pendant ce temps, au Yémen, les forces houthies soutenues par l’Iran se sont emparées de larges pans du pays, y compris la capitale Sanaa, ce qui a conduit à une intervention militaire menée par l’Arabie saoudite en mars 2015.
MBS qualifie Khamenei de « nouvel Hitler »
Le pèlerinage du Hadj est redevenu un point de tension majeur entre les deux pays en septembre 2015, lorsque quelque 2 300 pèlerins étrangers ont trouvé la mort dans une bousculade. Des centaines d’entre eux étaient Iraniens.
Le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a alors accusé l’Arabie saoudite de « meurtre » et a déclaré que la monarchie n’était « pas qualifiée pour gérer les deux saintes mosquées ».
En janvier 2016, le royaume du Golfe a exécuté le religieux chiite Nimr al-Nimr, qui avait participé à des manifestations antigouvernementales dans la province orientale de l’Arabie saoudite.
L’Iran a fermement condamné l’exécution et des manifestants ont attaqué les missions diplomatiques saoudiennes à Téhéran et dans la ville de Mashhad, dans le nord-est du pays. L’Arabie saoudite a coupé ses liens avec l’Iran à la suite de cette escalade.
L’année suivante, Riyad et ses alliés régionaux ont lancé un boycott du Qatar pendant trois ans et demi, accusant le pays d’entretenir des liens étroits avec l’Iran et de soutenir le terrorisme. Doha a nié ces accusations, et la rupture a pris fin en janvier 2021.
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a déclaré en mars 2018 que si Téhéran obtenait une arme nucléaire, « nous ferons de même ». Il a également qualifié le guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, de « nouvel Hitler ».
Ces dernières années, plusieurs cycles de discussions diplomatiques ont eu lieu entre les ennemis régionaux que sont l’Irak et Oman.
L’accord conclu vendredi sous l’égide de la Chine représente une avancée extrêmement importante et a été salué par un certain nombre de pays, dont les États-Unis, l’Irak, Oman et les Émirats arabes unis.
Traduit de l’anglais (original).
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