« La princesse de ma classe » : à Gaza, les enfants tués dans les frappes israéliennes laissent un grand vide
Mayar, 11 ans, et Ali, 8 ans, avaient acheté des bonbons et de la nourriture, préparé leurs vêtements, et s’étaient couchés tôt le lundi soir. Ils étaient impatients de se réveiller le lendemain pour partir en voyage scolaire dans la bande de Gaza.
Mais environ cinq heures avant ce voyage, un raid israélien a frappé leur maison, les tuant avec leur père, Tareq Ibrahim Ezzeldeen, un commandant militaire du Jihad islamique palestinien.
Une vidéo a beaucoup circulé en ligne, montrant la mère en train de faire ses adieux aux corps enveloppés de ses enfants et de son mari, allongés sur le sol.
« Que Dieu ait pitié de vous. Mon âme, mes enfants », a-t-elle soufflé alors que ses proches tentaient de l’éloigner et de l’empêcher de s’effondrer.
La famille dormait lorsqu’un avion de chasse israélien a visé tout l’étage de leur immeuble résidentiel dans le quartier d’al-Remal, au centre de la ville de Gaza.
Quinze Palestiniens ont été tués dans cette attaque, dont trois hauts commandants du Jihad islamique, quatre enfants et quatre femmes.
Plus de vingt autres personnes ont été blessées, dont trois enfants et sept femmes, dont certaines sont dans un état grave et critique, selon le ministère de la Santé de Gaza.
Sur le groupe WhatsApp de l’école
Tareq Ibrahim Ezzeldeen, 48 ans, était originaire de Jénine en Cisjordanie occupée.
Cet ancien détenu avait été libéré des geôles israéliennes en 2011 dans le cadre de l’échange de prisonniers avec le soldat israélien Gilad Shalit, qui comprenait la libération de 1 027 détenus palestiniens.
Après sa libération, Ezzeldeen avait été banni à Gaza par les autorités israéliennes.
« Les Forces de défense israéliennes viennent d’annoncer le début de l’opération ‘’Bouclier et flèche’’ », a tweeté l’armée israélienne environ 80 minutes après avoir effectué les frappes aériennes.
Un total de 40 avions de chasse ont participé aux bombardements, menés à différents endroits dans l’enclave assiégée juste après 2 h du matin, heure locale, mardi 9 mai, selon l’armée israélienne.
Ce mercredi 10 mai, de nouvelles frappes israéliennes ont visé la bande de Gaza, faisant deux nouvelles victimes.
Des dizaines de roquettes ont été tirées de la bande de Gaza vers Israël. Des sirènes d’alerte à la roquette ont retenti dans le secteur de Tel Aviv, a constaté une journaliste de l’AFP, tandis que d’autres se sont déclenchées dans les villes de Sdérot, Ashdod et Ashkelon, selon l’armée israélienne.
L’armée israélienne a indiqué avoir ciblé des infrastructures de lancement de roquettes et d’obus de mortier appartenant au Jihad islamique, après avoir visé des membres du mouvement à Khan Younès (sud).
Dans un post publié sur Facebook, l’école de Mayar et Ali a écrit : « En ce triste matin dont notre immuable bande [de Gaza] est témoin, et avec le cœur en deuil, l’École des pionniers et des leaders fait ses adieux à deux de ses innocents élèves, tombés en martyrs dans le violent bombardement sioniste sur la bande de Gaza. »
À leur réveil, les camarades de classe qui devaient faire le même voyage scolaire que Mayar et Ali ont simplement su que leur sortie était annulée, leurs parents hésitant à leur dire pourquoi.
Tamim Dwoud, 5, died today due to a severe panic attack during the Israeli bombing of Gaza.
— Maha Hussaini (@MahaGaza) May 10, 2023
He died of fear..
His heart stopped..
And that’s another form of death Palestinian children experience under occupation. pic.twitter.com/C7qSYY75qw
Traduction : « Tamim Daoud, 5 ans, est décédé aujourd’hui des suites d’une grave attaque de panique lors du bombardement israélien de Gaza. Il est mort de peur. Son cœur s’est arrêté. Et c’est une autre forme de mort que subissent les enfants palestiniens sous l’occupation. »
« Mayar était amie avec ma fille Leen. C’était une excellente élève et Leen l’aimait beaucoup », témoigne Aya Abou Taqia, 35 ans, à Middle East Eye. « Il y a quelques jours, Leen est tombée malade à l’école et elle m’a dit à quel point Mayar était affectueuse, restant avec elle et la réconfortant jusqu’à ce que nous arrivions pour la chercher. »
« Ils étaient très excités par le voyage d’aujourd’hui. Hier, nous avons acheté des bonbons et de la nourriture parce que Leen, Mayar et leurs amis avaient prévu d’emporter une couverture de pique-nique pour s’asseoir et partager de la nourriture. Je ne les avais jamais vus aussi excités auparavant. »
Avant qu’Aya Abou Taqia n’aille se coucher, les Israéliens ont mené la première frappe aérienne. Quelques minutes se sont écoulées puis elle a vu les nouvelles sur le groupe WhatsApp de l’école.
« Les enseignants de Mayar ont partagé la nouvelle et ils ont commencé à la pleurer et à publier des photos d’elle. J’étais terrifiée à l’idée que Leen apprenne [le décès de Mayar] en voyant ces messages. Je ne voulais pas qu’elle apprenne la nouvelle par accident car c’est ainsi qu’elle a découvert que son père était tombé en martyr », précise-t-elle.
« Elle s’est effondrée en larmes »
Le père de Leen, Osama Abou Taqia, a été tué dix jours après l’attaque israélienne de mai 2021 contre Gaza, alors qu’il tentait de neutraliser une munition israélienne qui n’avait pas encore explosé au département d’ingénierie des explosifs à Gaza.
Aya Abou Taqia explique que, cette fois, elle a rangé tous les téléphones portables et appareils connectés dans sa chambre et attendu que sa fille se réveille.
« Je lui ai alors annoncé la nouvelle, graduellement, avant de lui dire que quelqu’un qu’elle connaissait était tombée en martyre. ‘’C’est Mayar’’, ai-je dit, et elle s’est effondrée en larmes. »
L’armée israélienne affirme que les frappes aériennes visaient les dirigeants du Jihad islamique qui « menaçaient la sécurité des Israéliens depuis trop longtemps ».
« Leen était sous le choc », poursuit sa mère. « Il n’est pas facile d’expliquer l’idée de la mort à un enfant de 11 ans. »
Sur sa page Facebook, l’enseignante de Mayar, Samah Jaafar, a partagé une vidéo de la fillette jouant et dansant à l’école, la décrivant comme « la princesse de [sa] classe ».
« Je n’ai pas encore dit à Jamal qu’[Ali] a été tué. Je ne sais pas comment je vais le lui annoncer. Son petit cœur ne peut pas supporter tout cela », a témoigné pour sa part Yusra al-Aklouk, la mère du meilleur ami et camarade de classe d’Ali, sur Facebook.
Elle dit avoir hésité toute la matinée sur la façon d’annoncer la nouvelle à Jamal, qui a déjà subi de lourdes pertes dans sa vie.
« Il a perdu son père, son grand-père et son oncle [lors des attaques israéliennes de mai 2021]. C’est la quatrième fois qu’il perd des personnes très proches de lui », souligne-t-elle à MEE.
« Il a perdu son père, son grand-père et son oncle [lors des attaques israéliennes de mai 2021]. C’est la quatrième fois qu’il perd des personnes très proches de lui »
- Yusra al-Aklouk, mère de Jamal
« Je n’ai pas dormi de la nuit, j’avais peur que Jamal se réveille, vérifie mon téléphone, et découvre ce qui s’était passé ou voit une photo de son ami. »
Ali était un ami proche de Jamal depuis la mort de son père et une source de réconfort et de soutien. Yusra al-Aklouk raconte qu’Ali et son père Tareq Ezzeldeen apportaient régulièrement des cadeaux à Jamal pour l’aider à faire face à sa perte.
Lorsque son fils s’est réveillé, elle a décidé d’annoncer la nouvelle à son fis par étapes, sur quelques heures, espérant amortir le coup. « Je lui ai dit qu’il y avait eu des bombardements dans les zones à proximité, puis j’ai précisé que ces bombardements avait touché l’immeuble où habitait Ali. Il m’a posé des questions sur Ali, je lui ai répondu que je ne savais toujours pas. »
Yusra lui a d’abord dit qu’Ali avait été blessé, puis que son père avait été tué. « Enfin, je lui ai annoncé qu’Ali lui-même était tombé en martyr. Il a pleuré. Mais ensuite, il a commencé à me rappeler toutes les choses que je lui raconte sur le fait que l’on retrouve [des êtres chers] au paradis plus tard. »
Jamal, qui souffrait déjà de troubles de stress post-traumatique après la mort de son père et de son grand-père, a confié à sa mère qu’il ne réaliserait la perte de son ami qu’à son retour à l’école, quand il ne le verrait pas assis à sa table d’écolier.
Traduit de l’anglais (original).
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