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Conflit israélo-palestinien : qui est la fillette qui a montré au monde la souffrance des enfants de Gaza ?

La vidéo de Nadine Abdel-Taif, qui a fait le tour des réseaux sociaux, donne un aperçu du quotidien des enfants de l’enclave assiégée
Nadine Abdel-Taif marche dans son quartier, où de nombreux bâtiments ont été détruits, le 20 mai 2021 (MEE/Sanad Latefa)
Nadine Abdel-Taif marche dans son quartier, où de nombreux bâtiments ont été détruits, le 20 mai 2021 (MEE/Sanad Latefa)

La vidéo de Nadine Abdel-Taif, une Palestinienne de 10 ans en larmes devant les ruines d’une maison voisine qui venait d’être détruite, a été vue plus de treize millions de fois.

« Regardez tout ça », lance-t-elle, les yeux rouges de désarroi, en montrant les décombres derrière elle. « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Réparer ça ? Je n’ai que 10 ans. »

Sa voix tremble d’émotion. « Je veux simplement être médecin ou n’importe quoi pour aider mon peuple mais je ne peux pas. Je ne suis qu’une enfant. »

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Internet a fait circuler aux quatre coins du monde des images de la récente flambée de violence au cours des deux dernières semaines, alors qu’Israël a une nouvelle fois largué des bombes sur Gaza, une petite étendue de terre où vivent plus de deux millions de personnes, dont 40 % ont moins de 14 ans.

Pourtant, malgré tous les efforts déployés par Israël et la modération musclée – voire la censure pure et simple – des messages propalestiniens pratiquée par plusieurs réseaux sociaux, Israël semble avoir perdu la bataille pour le contrôle du discours dans une grande partie des espaces en ligne.

La réaction à la vidéo de Nadine n’est qu’un exemple parmi d’autres.

« Quand ils ont bombardé la maison à côté de la nôtre, j’ai entendu le bruit. C’était un grand bruit parce qu’ils habitaient juste à côté, j’ai eu très peur », confie Nadine à Middle East Eye par téléphone.

« Mon petit frère, qui a 6 ans, était terrifié. J’ai caché ma peur pour que mon frère ne soit pas trop effrayé. Je tente toujours de dissimuler ma peur parce que j’essaie de veiller sur mon frère. Je veux qu’il se sente en sécurité. Pendant les bombardements, je le serre dans mes bras. Je reste à côté de lui et je dors à ses côtés. Je l’éloigne des fenêtres car sinon, il se met à pleurer. »

« Enterrés avec leurs rêves et les cauchemars qui les hantaient »

Depuis le lundi 10 mai, les bombes israéliennes ont tué 254 Palestiniens vivant dans l’enclave, dont 66 enfants.

Onze d’entre eux bénéficiaient d’une assistance post-traumatique de la part du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). Âgés de 5 à 15 ans, ils ont tous été tués alors qu’ils se réfugiaient chez eux.

Parmi ces enfants, Lina Iyad Shar, 15 ans, a été tuée avec ses deux parents le 11 mai dans le quartier d’al-Manara à Gaza.

Sa sœur Mina, âgée de 2 ans, a subi des brûlures au troisième degré et reste dans un état critique, précise le NRC.

Funérailles de Dima Aseela, une fillette de 11 ans tuée le 19 mai alors qu’elle allait acheter du pain, le 20 mai 2021 (MEE/Sanad Latefa)
Funérailles de Dima Aseela, une fillette de 11 ans tuée le 19 mai alors qu’elle allait acheter du pain, le 20 mai 2021 (MEE/Sanad Latefa)

Au cours de la même attaque, Zaid Mohammad Telbani, 4 ans, et sa mère Rima, enceinte de cinq mois, ont également trouvé la mort. La sœur de Zaid est toujours portée disparue et présumée morte.

« Ils sont maintenant partis, tués avec leur famille, enterrés avec leurs rêves et les cauchemars qui les hantaient. Nous demandons à Israël d’arrêter cette folie : les enfants doivent être protégés », a déclaré le secrétaire général du NRC, Jan Egeland.

Quelques jours plus tard, cinq membres de la famille Eskuntuna ont été tués par les bombes israéliennes. Riad Eshkuntana, 46 ans, est resté pris au piège pendant sept heures sous les débris de sa maison, à entendre les voix de son épouse et de ses enfants faiblir, avant d’être secouru avec sa fille de 4 ans, Suzi.

Son épouse Abir, 30 ans, et leurs quatre autres enfants, Dana, 9 ans ; Lana, 6 ans ; Yahya, 5 ans ; et Zayn, 2 ans, ont tous été tués.

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« Voyez tous les enfants autour de moi », poursuit Nadine dans la vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux, alors que la caméra se fixe sur trois jeunes garçons qui la regardent parler en silence, l’air grave. « Pourquoi leur envoyer des missiles et les tuer ? Ce n’est pas juste. »

De nombreux enfants de Gaza avaient déjà connu les bombes israéliennes.

Plusieurs centaines d’enfants ont été tués lors d’offensives similaires au cours des dernières années : 333 jeunes victimes ont été enregistrées en 2008-2009 et 551 en 2014.

Et les conséquences psychologiques de ces années de conflit et de pertes sont insondables pour ceux qui ont survécu. Beaucoup n’ont connu que la vie sous état de siège, d’autant plus que le blocus imposé par Israël et l’Égypte, en place depuis 2007, les empêche généralement de partir.

Selon une étude réalisée en 2020, près de 90 % des jeunes de 11 à 17 ans vivant à Gaza ont subi un traumatisme personnel ou assisté à une démolition de propriété, tandis que plus de 80 % ont été témoins de traumatismes subis par d’autres. Il s’agit des trois principaux facteurs contribuant au syndrome de stress post-traumatique, ajoute l’étude.

Alors que selon le Secours islamique, environ 38 % des jeunes de Gaza ont eu des pensées suicidaires, les services de santé mentale étaient trop peu nombreux et insuffisamment financés avant même la dernière offensive, au cours de laquelle 24 établissements de santé ont été attaqués d’après le ministère palestinien de la Santé.

Une page Instagram

« Nous n’avons jamais vu d’attaques d’une telle intensité lors des guerres précédentes », explique à MEE Mohamed Abdullatif, le frère de Nadine, âgé de 26 ans. La fillette a cinq frères et sœurs.

« Malgré la violence des bombardements autour de nous et le fait qu’une maison proche de la nôtre était menacée, nous ne sommes pas partis. Nous resterons ici car nous n’avons nulle part où aller. »

Comme d’innombrables enfants, Nadine, qui a appris l’anglais grâce aux dessins animés et aux jeux vidéo, publie en ligne des vidéos sur son quotidien.

Certaines vidéos sur sa page Instagram semblent normales : dans l’une d’elles, elle interroge son petit frère pour savoir s’il la connaît bien (« Quel est mon parfum de glace préféré ? »), tandis que dans une autre, elle filme deux chiens errants sur la plage et se met à crier quand l’un d’eux court vers elle.

« Elle a ensuite commencé à faire des vlogs sur la guerre et sur les souffrances qu’elle et mon petit frère ont endurées », raconte son frère Mohamed.

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Lorsque la maison voisine a été bombardée, elle est sortie le lendemain matin pour filmer, ajoute Mohamed – c’est à ce moment-là qu’elle s’est entretenue avec le reporter de MEE, Sanad Latefa.

« Mais même si elle a essayé de cacher sa peur, elle avait peur. Pour être honnête, même les adultes ont peur quand les bombardements commencent. »

Comme elle l’explique à MEE, Nadine espère que ses vidéos « montreront au monde la souffrance à laquelle [son] peuple et [son] pays sont confrontés ».

« Je veux continuer d’informer le monde sur ce qui se passe, sur l’usurpation de nos droits. Je veux défendre les enfants qui ne peuvent pas se défendre eux-mêmes. Nous sommes des gens ordinaires », ajoute-t-elle. « Je ne comprends pas pourquoi ils commettent ces massacres contre nous et nous privent de nos droits. Ils ont privé les enfants de leur droit d’apprendre, de jouer et de vivre en sécurité. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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