L’Italie et Frontex auraient pu empêcher un naufrage qui a fait près de 100 morts
Un nouveau rapport révèle que les autorités italiennes ont reçu des alertes d’urgence de la part de l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex concernant un naufrage imminent au large de Crotone en Italie le 26 février et auraient pu l’empêcher.
À bord se trouvaient près de 200 personnes qui, pour la plupart, fuyaient l’Afghanistan : 94 sont mortes, dont 35 enfants.
Le rapport – basé sur des enregistrements de vol, des rapports de Frontex et des garde-côtes italiens, des images de surveillance et des témoignages oculaires – montre que les autorités italiennes auraient été au courant des vulnérabilités de l’embarcation et des conditions météorologiques défavorables via les alertes d’urgence de Frontex.
« Pensez-vous que l’Italie aurait pu sauver la vie de plus de 60 personnes, dont des enfants, et ne l’a pas fait ? », a déclaré la Première ministre italienne Giorgia Meloni lors d’une interview donnée quelques jours après le naufrage, insistant sur le fait que Frontex n’avait pas envoyé d’alerte d’urgence aux garde-côtes.
« Ce sont des histoires dont vous vous souviendrez toute votre vie »
- Klaas van Dijken, porte-parole de Lighthouse Reports
Le récit officiel est que le bateau de plaisance turc Summer Love a coulé dans une mer agitée au large de Crotone, six heures après avoir été aperçu par un avion de Frontex ayant signalé que l’embarcation « ne montrait aucun signe de détresse ».
Mais l’organisation d’investigation Lighthouse Reports a noté des divergences entre la version de Frontex et celle des autorités italiennes.
« Ils [les autorités italiennes et Frontex] disaient des choses légèrement différentes », indique à Middle East Eye le porte-parole de Lighthouse, Klaas van Dijken. « L’Italie disait que Frontex ne lui avait pas envoyé d’[alerte] d’urgence lorsque [l’avion] a repéré le Summer Love, et Frontex disait l’avoir fait, [et avoir] suivi les protocoles.
« C’est là que nous avons pensé qu’il y avait quelque chose de louche. Quelqu’un ne disait pas toute la vérité. »
« Tout le monde était au courant »
Lighthouse Reports a obtenu un rapport confidentiel des dossiers de vol de Frontex qui a révélé que l’avion Eagle 1 avait rencontré des « vents forts » deux heures avant de repérer le bateau.
Le rapport de mauvaises conditions météorologiques a été omis de la version officielle des événements, qui a également omis de mentionner que l’avion avait détecté une « réponse thermique importante » sous le pont, indiquant un « nombre inhabituel de personnes à bord ».
Lighthouse Reports a effectué une reconstruction en 3D du bateau afin d’illustrer les vulnérabilités de l’embarcation qui auraient été détectées par l’avion.
Lighthouse a constaté que le bateau en bois avait été construit pour 16 passagers mais en transportait environ 200.
Selon van Dijken, cela aurait été visible sur les images de surveillance diffusées en direct depuis l’avion aux garde-côtes de la Méditerranée centrale et au siège de Frontex à Varsovie.
« Il était fortement surchargé, et cela aurait été visible pour Frontex », déclare van Djiken à MEE. « Tout le monde était au courant, et ils n’ont pas envoyé de navire de sauvetage... et cette décision a eu d’énormes conséquences pour les personnes à bord. »
La reconstruction révèle que les deux ponts du bateau étaient surchargés.
« Il y avait 200 personnes en dessous », explique van Dijken. « Ils ont dû tous monter quand le bateau a fait naufrage par un escalier très étroit, donc beaucoup de gens n’auraient jamais pu s’en sortir. »
Les témoignages recueillis par la chaîne britannique Sky News donnent un aperçu déchirant du naufrage.
Nigeena, une Afghane de 23 ans qui s’était mariée quatre mois plus tôt, a raconté avoir perdu la main de son mari dans l’eau lorsqu’il a été emporté par une vague. Quelques jours plus tard, elle a retrouvé ses baskets noires échouées sur la plage.
Sultan Ahmed Almolki, un garçon syrien, est mort de froid alors que son frère tentait de le tirer dans l’eau pour le mettre en sécurité.
« Ce sont des histoires dont vous vous souviendrez toute votre vie », commente van Dikjen.
Des politiques qui coûtent des vies
Ce dernier rapporte que les autorités italiennes ont déclaré ne pas être en mesure de répondre aux allégations du rapport de son organisation car une enquête du procureur était en cours. L’agence Frontex a répondu qu’elle suivait les protocoles mais a refusé de répondre aux allégations relatives aux conditions météorologiques le jour du naufrage.
Sous Giorgia Meloni, qui a été élue sur la promesse de freiner l’immigration, les naufrages pourraient devenir plus fréquents.
Depuis son élection en octobre 2022, la Première ministre italienne d’extrême droite a introduit une série de lois qui entravent les missions de recherche et sauvetage en Méditerranée centrale en interdisant aux bateaux de sauvetage d’effectuer plusieurs missions au cours d’un même voyage et en leur attribuant des ports de débarquement éloignés qui nécessitent jusqu’à quatre jours de navigation.
Les ONG et groupes de défense des droits de l’homme ont mis en garde contre les implications mortelles de ces politiques, qui laisseront un vide en matière de recherche et sauvetage en Méditerranée centrale, considérée par l’ONU comme la frontière maritime la plus meurtrière au monde pour les réfugiés.
« L’Italie et l’Europe se concentrent sur le fait d’empêcher les gens [de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe], plutôt que de leur offrir la sécurité ou des voies légales en vue de demander l’asile », déplore van Dijken.
« Cela coûte des vies, c’est le plus récent résultat de [leur] politique et l’un des plus sales. »
Traduit de l’anglais (original).
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