Maroc : cinq jours après le séisme, les villages isolés de l’Atlas sous la menace des orages
Il aura fallu trois jours et plus de 2 900 morts pour que les excavateurs parviennent à rendre accessible Ighil, une petite localité juchée à plus de 1 200 mètres d’altitude, sur les hauteurs de l’Atlas, où a été localisé l’épicentre du séisme du vendredi 9 septembre.
Depuis lundi soir, les ambulances, les pick-ups de l’armée et autres véhicules utilitaires réussissent à atteindre la commune jusqu’ici coupée du monde. Seule une poignée d’habitants ont réussi à la relier au reste du caïdat (équivalent d’une circonscription) dont elle fait partie, celle de Talat N’Yaacoub, en s’y rendant à pied ou à dos d’âne.
Dans cette zone composée d’une quarantaine de villages et peuplée d’environ 3 000 habitants, au moins 450 personnes ont péri, d’après les informations recueillies par Middle East Eye sur le terrain.
Depuis le village d’Asni, la route vers l’épicentre du séisme est dangereuse et imprévisible. À n’importe quel moment, des éboulements peuvent emporter les voitures qui tentent d’atteindre les villages de la vallée.
Dès Imidal, l’élan de solidarité commence à se faire sentir. En bien comme en mal. « Il y a trop de véhicules sur la piste. Les gens viennent de partout pour délivrer en mains propres les dons aux sinistrés. Cela crée un engorgement gigantesque et des bouchons de plusieurs kilomètres », râle un agent de la gendarmerie chargé de coordonner le trafic.
« Il faut que les gens comprennent que cela ralentit les excavateurs, les ambulances et les professionnels, censés se rendre le plus rapidement sur le terrain pour rétablir l’électricité ou le réseau de télécommunications. »
« L’opération de sauvetage est très compliquée »
De l’autre côté de la vallée, un douar (hameau) semble complètement décimé. Au pied de la montagne sur laquelle il se dresse, une quarantaine de personnes s’affairent à trier les aides alimentaires et les couvertures distribuées par les associations humanitaires.
« J’ai perdu mon père et ma mère, mais je ne suis pas la seule. Dans toutes les familles, il y a eu au moins un mort », témoigne à MEE Saïda, une habitante de ce village appelé Tinsekt, où 46 personnes sont décédées. « On n’y peut rien, c’est ainsi. Je ne peux que remercier Dieu de nous avoir gardés en vie, mes enfants, mon mari et moi. »
Avant le séisme, 90 familles vivaient dans les maisons en terre cuite autour de la mosquée du village, le seul bâtiment qui ne s’est pas écroulé.
« Les autorités auraient pu venir plus tôt, mais qu’est-ce que cela aurait pu changer ? Les gens sont morts sur le coup. Et même lorsqu’on parvenait à trouver un rescapé [dans les décombres], il finissait par rendre l’âme sur le chemin de l’hôpital et on nous le remettait. C’était perdu d’avance », se désole son mari, Omar.
Plus au sud, à Talat N’Yaacoub, l’armée a installé un hôpital de campagne pour accueillir les blessés des environs. Ils arrivent en ambulance, mais aussi en hélicoptère. Une équipe de sauvetage espagnole composée de pompiers de la communauté autonome de Madrid y a établi son quartier général.
« L’opération de sauvetage est très compliquée. En début d’année, nous étions sur le terrain en Turquie, immédiatement après le séisme [en février deux tremblements de terre de plus 7 degrés sur l’échelle de Richter ont fait plus de 56 000 morts en Turquie et en Syrie]. Les immeubles étaient construits en béton, cela permettait donc d’avoir des bouches d’air par lesquelles les personnes qui se trouvaient sous les débris pouvaient respirer », explique à MEE Aitor Soler, le chef de l’équipe de recherche et de sauvetage espagnole en faction depuis lundi dans la région.
« Ici, la terre et la pierre créent un nuage de poussière lorsqu’elles se brisent et cela rend très toxique l’air que de potentiels rescapés respirent. Même les outils technologiques peinent à fonctionner correctement. »
À Ighil, les scènes de désolation contrastent avec la beauté du paysage où des vallées de maquis et de rocaille se succèdent.
Malgré le rétablissement de la route provinciale, les mulets continuent à servir de moyen principal de transport pour les vivres et les couvertures. Une salle de classe a été improvisée en cuisine et investie par des femmes pour nourrir les habitants.
« Les enfants sont les victimes oubliées de cette catastrophe. La nuit venue, leurs cris et leurs pleurs sont tellement forts qu’ils nous empêchent de dormir »
- Amal, psychologue clinicienne
« Maintenant que les autorités sont arrivées, nous pouvons enfin manger et boire. Mais le plus important reste le gîte. Il nous faut des tentes pour que nous puissions dormir en paix. Ici, à la montagne, un orage peut éclater à n’importe quel moment. Ce serait aussi grave que le tremblement de terre », témoigne un habitant en évoquant un risque supplémentaire d’éboulements et la boue.
À la tombée de la nuit, Amal, psychologue clinicienne originaire de Casablanca, dépêchée à Talaat N’Yaacoub pour gérer le campement abritant une centaine de survivants, supervise l’opération de tri des vêtements destinés aux sinistrés.
« Les enfants sont les victimes oubliées de cette catastrophe. En journée, ils sont plutôt calmes, voire même désinhibés, mais la nuit venue, leurs cris et leurs pleurs sont tellement forts qu’ils nous empêchent de dormir », confie-t-elle à MEE.
Interrogée sur les priorités actuelles, elle répond sans équivoque : « Nous avons besoin de tentes, personne ne doit dormir à découvert car la pluie et le vent risquent de nous surprendre. »
Mardi, une mission de recherche conduite par une équipe espagnole a été annulée par l’armée marocaine en raison d’un vent moyennement fort attendu dans la soirée.
Et la situation risque de se corser davantage. D’après les prévisions météorologiques, il devrait pleuvoir dès jeudi pendant plusieurs jours.
La course au relogement des rescapés ne fait que commencer et elle s’annonce rude.
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