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« Mohammed VI n’a rien fait pour nous » : dans le Haut Atlas marocain, les rescapés du séisme se sentent plus isolés que jamais

Bien que l’État marocain ait annoncé un plan d’aide massif, l’ampleur des destructions causées par le séisme du 8 septembre a pris toutes les administrations de court. La patience des sinistrés s’émousse, l’accablement devient plus pesant, et la colère monte
Avec l’un des taux de pauvreté les plus élevés du royaume, la zone, qui abrite une population à forte majorité amazighe, devrait mettre des années à se relever de la catastrophe (MEE/Paloma Laudet)
Avec l’un des taux de pauvreté les plus élevés du royaume, la zone, qui abrite une population à forte majorité amazighe, devrait mettre des années à se relever de la catastrophe (MEE/Paloma Laudet)
Par Léa Polverini à AL-HAOUZ, Maroc

« Écoutez-moi : le roi Mohammed VI, il n’a rien fait pour nous ! » Ahmed* vient de débouler dans une rue passante d’Amizmiz et partage un désespoir mêlé de colère à qui veut l’entendre.

« Moi maintenant, je ne crains plus le gouvernement ni personne, j’ai peur d’Allah, c’est tout ! On dit ‘’louanges à Dieu’’ parce que le gouvernement ne veut rien voir. »

Ce commerçant originaire de l’une des principales communes urbaines de la région d’Al-Haouz, nichée au pied du Haut Atlas marocain, a vu sa vie s’écrouler quand un séisme de magnitude 7 a ébranlé la région, dans la nuit du 7 au 8 septembre 2023. Ce tremblement de terre, le plus important dans l’histoire du pays, a fait, selon le ministère de l’Intérieur, 2 960 morts.

Un homme conduit sa moto à côté des décombres dans le village d’Imi N’Tala, dans le centre du Maroc, frappé par le tremblement de terre, le 5 octobre 2023 (AFP/Fadel Senna)
Un homme conduit sa moto à côté des décombres dans le village d’Imi N’Tala, dans le centre du Maroc, frappé par le tremblement de terre, le 5 octobre 2023 (AFP/Fadel Senna)

« J’ai dû porter mes deux petits sur mon dos pour sortir de la maison. Le plafond est tombé sur ma femme qui a été gravement blessée au bras et aux jambes, elle est à l’hôpital maintenant », raconte-t-il à Middle East Eye, mimant la panique de l’effondrement.

Plus de deux mois après, le souvenir de la catastrophe reste une plaie à vif pour les habitants des montagnes, qui se sentent plus isolés que jamais.

Après un premier élan de solidarité nationale et internationale de grande ampleur, qui a vu affluer les dons de vêtements, de denrées alimentaires, de médicaments, parfois d’abris, à destination des sinistrés, le mouvement s’essouffle, et les victimes du séisme assistent, impuissantes, à la normalisation progressive de leur malheur.

L’urgence humanitaire a cédé la place aux projets de reconstruction, qui demandent un temps long de planification : dans cet entre-deux, les sinistrés ont été placés dans des tentes.

Distribuées tantôt par les autorités, tantôt par des ONG, quand elles n’ont pas été montées de toutes pièces avec ce que les habitants avaient encore sous la main, ces tentes bleu électrique, blanches ou jaunes constellent les montagnes.

« Il y a de la corruption ici »

Elles s’étendent à proximité et parfois au milieu des douars (hameaux) dévastés, de façon plus ou moins informelle, et ont transformé les paysages du Haut Atlas en une succession de ce que certains appellent « campings », d’autres « campements », d’autres encore « bidonvilles ».

« La journée, il fait trop chaud dedans, on étouffe, et la nuit, il fait trop froid. C’est très dur, surtout pour les enfants et les personnes âgées. Ma grand-mère a 86 ans et vit comme ça avec ses problèmes de reins, vous imaginez ? », se désole Amal*, 29  ans, rencontrée par MEE.

Elle aussi vit avec son époux et sa fille en bas âge dans une petite tente, plantée au bord de la route R203, qui relie les provinces meurtries de Marrakech-Safi et de Taroudant, et redoute l’arrivée de l’hiver, déjà bien rude dans les hauteurs montagneuses.

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Dans ce nouveau douar de toile et de plastique qui a émergé au lendemain du séisme, les plus chanceux vivent dans des containers, et certains ont même déjà reçu l’argent de l’aide à la reconstruction promis par le roi : entre 80 000 et 140 000 dirhams, soit environ 7 200 à 12 600 euros, selon que leur maison a été endommagée ou complètement détruite.

« On est une cinquantaine de familles, et seulement dix ont déjà reçu de l’argent. Il y a de la corruption ici, ils doivent connaître un cheikh ou un moqqadem [auxiliaires de l’administration marocaine qui gèrent les affaires courantes dans les douars]… Nous, personne ne nous dit rien », lâche Amal en haussant les épaules.

À ses côtés, un groupe de femmes acquiesce : personne ne sait quand les aides tomberont, et l’attente est de plus en plus difficile à supporter.

« Tout est difficile, mais notre plus gros problème maintenant, c’est la nourriture : il est difficile d’avoir à manger », explique Amal. Ici, les 2 500 dirhams [près de 230 euros] mensuels prévus pour chaque foyer sinistré ne sont pas encore arrivés.

Alors en attendant, les femmes préparent à manger pour tout le campement, dans une énième tente aménagée en cuisine collective, où sont entreposés quelques sacs de farine et de riz, ramenés de la commune la plus proche, à une dizaine de kilomètres.

Des élèves suivent des cours sous une tente dans une école de fortune du village d’Asni, frappé par le tremblement de terre, dans la province d’Al-Haouz, dans les montagnes du Haut Atlas, au centre du Maroc, le 18 septembre 2023 (AFP/Fadel Senna)
Des élèves suivent des cours sous une tente dans une école de fortune du village d’Asni, frappé par le tremblement de terre, dans la province d’Al-Haouz, dans les montagnes du Haut Atlas, au centre du Maroc, le 18 septembre 2023 (AFP/Fadel Senna)

Cette nouvelle promiscuité n’est pas du goût de tout le monde, mais il faut désormais composer avec. Sous les tentes, certaines familles vivent jusqu’à huit personnes : il a fallu rassembler sous une même toile enfants, parents et grands-parents, parfois oncles et tantes.

La journée, les hommes s’en vont, au marché ou au café, les enfants suivent leurs leçons dans la nouvelle école dressée sous un chapiteau, et les femmes tâchent de tenir ces nouveaux ménages précaires, qui demandent beaucoup d’efforts.

L’argent ne rentre plus, car presque tous les commerces sont désormais à l’arrêt, alors chacun vit de débrouille et au gré des aides apportées de façon ponctuelle et imprévisible.

Au fil des douars et des vallées, l’histoire se répète. Dans le douar Armed, à proximité de la commune touristique d’Imlil, point de départ des randonneurs qui souhaitent réaliser l’ascension du Toubkal, le mont le plus haut du Maroc, qui culmine à 4 167 mètres d’altitude et attire de nombreux touristes marocains et étrangers, l’économie est désormais à l’arrêt.

« Je ne veux pas de l’aide, je veux du business »

À 32 ans, Lahcen, qui travaillait dans une florissante coopérative appartenant à son père et fabriquait des produits à base d’huile d’argan, a cessé presque toute activité : « Avant, je travaillais à Imlil avec trois personnes, on avait deux boutiques, tout fonctionnait bien. Mais depuis le séisme, il n’y a plus de travail. »

« C’est difficile pour tout le monde : plus grand monde ne vient, les gens n’ont plus d’argent et beaucoup de touristes vont ailleurs, à Essaouira, Agadir ou Marrakech, dans les grandes villes… Les gens qui viennent maintenant veulent juste donner de l’aide, mais moi, je n’aime pas ça : je ne veux pas de l’aide, je veux du business, c’est bien mieux ! », lance-t-il.

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La maison de Lahcen a été relativement épargnée par le séisme, si ce n’est quelques fissures qui lézardent le béton des murs et du plafond.

Mais à quelques mètres en contrebas, celle de son neveu Hamza s’est complètement effondrée : en restent des escaliers qui se dressent vers nulle part, et des débris instables, où il faut empêcher les enfants d’aller.

À 16 ans, Hamza est donc allé habiter chez son oncle, et gagne un peu d’argent en travaillant ici ou là sur des petits chantiers, où il déblaye les gravats d’autres maisons écroulées. Lahcen lui, s’est tourné vers l’Europe, où il parvient désormais à envoyer quelques marchandises pour s’en sortir financièrement, en attendant que le marché local reprenne.

Dans le Haut Atlas, les villages de montagne, qui constituaient déjà des territoires délaissés par le pouvoir central avant le séisme, ont subi les lourdes conséquences de leur isolement géographique et politique.

Avec l’un des taux de pauvreté multidimensionnelle les plus élevés du royaume (18,5 % pour l’ensemble des régions sinistrées, face à 8,2 % au niveau national), la zone, qui abrite une population à forte majorité amazighe, devrait mettre des années à se relever de la catastrophe.

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Si le gouvernement espère reloger tout le monde d’ici un an, nombreux sont les architectes qui ont du mal à voir une réhabilitation avant cinq ans

Bien que l’État ait annoncé un plan d’aide massif, l’ampleur des destructions, inattendue sur une zone que l’on croyait jusqu’à présent peu sujette aux tremblements de terre, a pris toutes les administrations de court.

Alors que le dernier rapport du Haut-Commissariat au plan (HCP) recense 169 communes sinistrées sur quatre régions différentes, qui abritaient au total plus de 2,6 millions de personnes, c’est désormais un vaste chantier de reconstruction qui s’annonce.

Avec au moins 59 674 logements endommagés ou complètement détruits, c’est tous les architectes du royaume qui sont mis à pied d’œuvre.

Mais avant même d’envisager la pose des premières pierres, il faut effectuer tout un circuit d’expertises, d’autorisations et de financements, qui prend du temps. Et pendant ce temps, la patience des sinistrés s’émousse, l’accablement devient plus pesant, et la colère monte.

* Pour des raisons de sécurité, les prénoms ont été changés.

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