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Séisme au Maroc : dans les villages amazighs, les maisons traditionnelles imposées sont devenues des pièges mortels

Les communautés amazighes accusent les autorités marocaines d’interdire l’utilisation du ciment dans les constructions afin de préserver l’esthétique des habitations en terre et en argile prisées des touristes
Des habitants transportent la dépouille d’une victime du séisme de magnitude 6,8 dans le village d’Imi N’Tala près d’Amizmiz, dans le centre du Maroc, le 10 septembre 2023 (AFP)

Le séisme de magnitude 6,8 qui a fait plus de 2 800 morts au Maroc depuis vendredi soir a particulièrement ravagé les maisons en terre et en argile habitées par la population autochtone amazighe dans les douars, ces petits villages situés sur les montagnes du Haut Atlas.

Le tremblement de terre, qui s’est produit dans la soirée du 8 septembre, a principalement touché la région d’Ighil, dans le Haut Atlas, à environ 70 km de la ville de Marrakech, ainsi que d’autres petits villages.

Ce séisme serait le plus puissant survenu au Maroc depuis 150 ans.

Les habitants de la région sinistrée sont privés de fournitures essentielles, notamment de nourriture, d’eau et d’électricité, ainsi que d’abris. 

Bâtiments détruits par le tremblement de terre du 8 septembre 2023 dans le village d’Imi Oughlad, province d’Al Haouz, dans la chaîne du Haut Atlas, au centre du Maroc (AFP/Philippe Lopez)
Bâtiments détruits par le tremblement de terre du 8 septembre 2023 dans le village d’Imi Oughlad, province d’Al Haouz, dans la chaîne du Haut Atlas, au centre du Maroc (AFP/Philippe Lopez)

Les communautés rurales, habituées à des modes de vie traditionnels et largement détachées des pratiques modernes, ont été particulièrement affectées, en particulier compte tenu de la conception relativement simple de leurs maisons. Nombre de ces habitations se sont écroulées dès que la secousse s’est produite.

Les habitants de ces communautés traditionnelles attendent l’aide des équipes de recherche et de sauvetage et réclament un soutien plus important de la part des autorités marocaines, s’estimant largement délaissés.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 300 000 personnes ont été affectées par le séisme. 

Les dégâts considérables causés par le séisme suscitent des critiques de la part des communautés rurales sinistrées quant à la réglementation et aux lois en matière de construction en vigueur dans certaines localités. 

Interrogés par les médias locaux, certains habitants affirment que les autorités leur ont interdit d’utiliser du ciment afin de ne pas compromettre l’esthétique des habitations en terre et en argile, qui sont devenues une attraction touristique majeure. 

« La province a subi des dégâts importants, en particulier les maisons plus anciennes », a déclaré un habitant aux médias locaux.

« Les autorités nous interdisent d’utiliser du ciment. Même si nos maisons sont historiques, on n’a pas le droit de les rénover, car il faut préserver leur valeur historique et attirer les touristes. Comme vous pouvez le constater, tous les bâtiments ici sont assez rudimentaires », a-t-il ajouté.

Des maisons vulnérables

Les Amazighs sont une population autochtone d’Afrique du Nord. Nombre de ces tribus, soucieuses de préserver leur identité, se sont réfugiées dans les montagnes, en particulier dans les régions marocaines de l’Atlas et du Rif.

De nombreux villages, ou douars, revêtent une importance historique. Douar Doukkara, situé à proximité de la ville antique de Volubilis, fut initialement colonisé par les Phéniciens et les Romains il y a plus de deux millénaires.

« Cette partie du Maroc n’ayant jamais connu de séisme de cette ampleur, rien, de mémoire d’homme, n’a jamais poussé la population à renoncer à sa méthode de construction ancestrale »

– Brahim El Guabli, chercheur amazigh

Aujourd’hui, les habitations qui composent les douars sont généralement construites en briques de terre et se fondent dans les collines de couleur sable qui les entourent. Les communautés vivent de l’agriculture et du tourisme ; certaines maisons ne sont accessibles qu’à pied ou à dos de mule.

D’après Brahim El Guabli, universitaire américain spécialisé dans la littérature amazighe et ayant grandi dans un douar au Maroc, les maisons sont particulièrement vulnérables aux conditions météorologiques extrêmes, notamment aux fortes pluies, mais surtout aux séismes.

Les habitations sont construites à partir de terre fortement arrosée, que l’on laisse reposer pendant quelques jours avant de la couler dans des moules et de la presser pour comprimer les briques afin de former une unité. La fabrication des briques, associée à des plafonds en bois, en bambou et en terre, peut prendre plusieurs mois. Cette technique est utilisée depuis des centaines d’années.

« Cette partie du Maroc n’ayant jamais connu de séisme de cette ampleur, rien, de mémoire d’homme, n’a jamais poussé la population à renoncer à sa méthode de construction ancestrale », explique l’universitaire.

Un touriste se promène près de la Kasbah (ancienne forteresse) d’Aït-Ben-Haddou (en arrière-plan), où des scènes représentant la ville fictive de Yunkai de la série à succès Game of Thrones ont été tournées, à environ 32 km au nord-ouest de la ville de Ouarzazate, dans le Haut Atlas marocain, le 27 janvier 2020 (AFP/Fadel Senna)
Un touriste se promène près de la Kasbah (ancienne forteresse) d’Aït-Ben-Haddou (en arrière-plan), où des scènes représentant la ville fictive de Yunkai de la série à succès Game of Thrones ont été tournées, à environ 32 km au nord-ouest de la ville de Ouarzazate, dans le Haut Atlas marocain, le 27 janvier 2020 (AFP/Fadel Senna)

Brahim El Guabli souligne également qu’en l’absence d’aide de la part des autorités, de nombreux habitants des douars ont pris l’habitude de s’entraider et se sont chargés eux-mêmes de restaurer certaines parties de leur village.

« Comme les responsables territoriaux des projets de développement ont longtemps oublié ces zones, leurs habitants ont créé un système parallèle et autonome pour répondre à leurs besoins », souligne-t-il.

« Ils construisent et entretiennent leurs routes, ils ont leurs propres systèmes d’eau potable et, jusqu’à récemment, ils possédaient collectivement des groupes électrogènes pour s’éclairer. »

Dans beaucoup de ces douars, les habitants circulent sur des pistes en terre, ce qui complique davantage les efforts d’aide. 

« Les Marocains oubliés »

Par ailleurs, a indiqué un correspondant de la chaîne de télévision marocaine 2M, de nombreuses maisons dans les douars sont construites de manière « aléatoire » et sont vouées à s’écrouler immédiatement à la moindre secousse.

Dans la petite ville d’Amizmiz, les bâtiments se sont effondrés sous l’effet des répliques du séisme et les secours ont tardé à arriver.

Les habitants, parmi lesquels certaines familles installées dans la ville depuis plus d’un siècle, ont déclaré aux médias qu’il ne restait « plus rien ». 

En l’absence d’hôpital sur place, les blessés ont dû être accueillis dans un centre médical local. Cependant, devant l’ampleur de la catastrophe, les blessés graves ont dû être transportés à Marrakech, un trajet qui prend une demi-heure ou plus, compte tenu de l’encombrement des routes.

Les habitants des douars vivent généralement dans de petits villages et partagent des liens familiaux, tribaux ou géographiques. Les douars élisent un représentant au conseil communautaire local et les autorités désignent une personne chargée d’assurer la liaison entre la population et les personnalités clés. 

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Les communautés amazighes se sont mobilisées pour s’entraider, en fournissant de la nourriture dans la mesure du possible et en participant aux recherches de parents et de proches.

À Tafeghaghte, à 60 km de Marrakech, la mort de 90 des 200 habitants dans le séisme a été confirmée. De nombreuses personnes sont également portées disparues et les rues étroites de la localité sont obstruées par des débris et de gros rochers.

Des habitants interrogés par les médias ont confié n’avoir aucun espoir de voir leurs proches être extirpés et qu’aucune machine ni aucun expert n’était arrivé sur place. 

Le séisme a presque complètement rasé des villages, dont certains n’abritent qu’une ou quelques familles.

Dans le village de Tikht, où vivaient au moins une centaine de familles, des habitations ont été détruites.

« J’étudie l’architecture et dans ma thèse, j’ai parlé des villages amazighs », indique une internaute sur X (anciennement Twitter). « Ils sont esthétiquement plaisants, écologiques et durables, mais ils sont extrêmement peu sûrs et ne sont pas adaptés au changement climatique actuel ; ils sont l’origine et pourtant, ce sont les Marocains oubliés. »

Ouirgane, une petite ville d’environ 6 000 habitants, se trouve au pied des montagnes du Haut Atlas marocain. Offrant des vues magnifiques, des sentiers de randonnée et des rivières pour les touristes, elle abrite également des maisons traditionnelles en argile qui ont été rasées par le séisme. 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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