« J’ai pensé que c’était la fin du monde » : à Marrakech, les habitants traumatisés par le séisme fuient leurs maisons
Au McDonald’s du quartier chic de Guéliz, les versets du Coran ont remplacé la pop marocaine qui sort habituellement de la sono. Vingt-quatre heures après le violent séisme qui a secoué la province d’El Haouz, à 400 km au sud-ouest de Rabat, Marrakech est une ville sans âme.
Ce samedi soir, la ville touristique est en deuil. De nombreux habitants préfèrent passer une deuxième nuit consécutive à la belle étoile, par peur des répliques, ou tout simplement car ils n’ont nulle part où aller. Sur plusieurs grand axes et espaces verts de la ville, des dizaines de Marrakchis sont allongés sur l’herbe, seuls, en couple ou en famille.
Au sud-est de la ville, dans le quartier de Sidi Youssef Ben Ali, Bilal n’ose toujours pas regagner son domicile. « Je reste traumatisé par ce que j’ai vécu hier. Je préfère rester ici avec mon épouse et mon fils de 6 ans plutôt que de risquer la mort à cause d’un toit qui s’écroule », avoue-t-il à Middle East Eye avant de raconter son expérience de la nuit précédente.
« Ça a duré plus de 20 ou 25 secondes. C’est la vaisselle dans la cuisine qui nous a réveillés. Au début, j’ai entendu les verres se casser en tombant. Mais très vite, j’ai senti toute la maison bouger dans tous les sens. »
« Un pays à deux vitesses »
« Je n’ai pas senti la terre trembler mais j’ai été réveillé par les cris dans la rue. Quand j’ai regardé par la fenêtre, la première chose que j’ai remarquée, c’est une poussière très épaisse. J’ai compris par la suite que c’était le sommet du minaret de la mosquée du quartier qui s’était écroulé », raconte Youssef, 32 ans.
« Heureusement, personne n’a été touché. Nous ne sommes pas habitués à ça. Jamais je n’aurais imaginé que la terre tremblerait à Marrakech. Je pensais que cela pouvait uniquement arriver dans le nord du Maroc », ajoute-t-il en allusion au séisme qui a frappé Al Hoceima en 2004.
D’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter, le tremblement de terre avait causé la mort de 628 personnes ainsi que des dégâts matériels considérables. Ce samedi, le sismographe affichait une magnitude de 6,8 – le séisme le plus puissant jamais mesuré au Maroc – et quelques heures seulement après la première secousse, le bilan était déjà beaucoup plus lourd qu’en 2004.
« Je n’ai pas senti la terre trembler mais j’ai été réveillé par les cris dans la rue »
- Youssef, 32 ans
La secousse a également été ressentie à Rabat, Casablanca, Agadir et Essaouira, dont de nombreux habitants paniqués sont sortis dans les rues en pleine nuit, craignant l'effondrement de leurs logements.
Selon les derniers chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur, au moins 2 012 personnes ont perdu la vie, dont plus de la moitié (1 293) dans la province d’El Haouz, et 2 059 blessés ont également été recensés. Parmi eux, 1 404 sont dans un état grave, d’après la même source.
Si Marrakech a été – relativement – épargnée, ce sont les douars juchés sur les montagnes du Haut Atlas qui ont été les plus sévèrement touchés.
Sur les réseaux sociaux, les proches des habitants de ces villages meurtris assurent que certaines localités ont complètement été rayées de la carte. D’autres disent ne plus avoir de nouvelles de leurs familles depuis plus de 24 heures, en raison des coupures d’électricité et des réseaux de télécommunication dans les zones les plus affectées.
« Cela montre bien que le Maroc est un pays à deux vitesses. D’un côté, les grandes villes qui bénéficient de la majeure partie du développement. De l’autre, les régions montagneuses, que l’on sait enclavées et qui accusent 100 ans de retard. Dans ces régions-là, pas besoin de séisme pour qu’elles se retrouvent coupées du monde. Il suffit parfois de quelques gouttes de pluie pour que les misérables routes qui les lient à la civilisation soient coupées pendant plusieurs jours », résume à MEE Salaheddine, étudiant à Rabat et originaire de la province d’Azilal.
Les chiffres sont sans appel : les zones les plus touchées par ce séisme, El Haouz, Chichaoua, ou encore Azilal, font partie des 15 provinces les plus pauvres du royaume sur les 75 que compte le pays, selon le recensement général de la population de 2014.
« Dans le douar où j’enseigne, les secours ne sont arrivés qu’au matin. Les personnes qui ont pu être sauvées ont été sorties des décombres par les habitants du village. Une collègue qui enseigne dans le village de Tajgalte [province de Taroudant, au sud de Marrakech] assure que tous ses élèves ont péri », explique à MEE Mourad, un instituteur joint par téléphone.
Zeyneb, l’enseignante en question, a partagé sur son mur Facebook une vidéo de son lieu de résidence, affirmant qu’elle a échappé à la mort « par miracle ».
Deuil national de trois jours
Au-delà de la tragédie, l’opinion publique marocaine pointe du doigt l’absence de réactivité de l’exécutif, particulièrement de la part du chef du gouvernement Aziz Akhannouch, qui ne s’est toujours pas adressé aux Marocains.
Ces derniers ont aussi attendu que le roi Mohammed VI revienne d’un séjour privé en France et réunisse plusieurs membres du gouvernement pour l’apercevoir à la télévision.
Il a décrété un deuil national de trois jours avec mise en berne des drapeaux sur tous les bâtiments publics, et demandé au gouvernement de mettre en place une commission interministérielle chargée du déploiement d’un programme d’urgence d’aide à la reconstruction des logements détruits par le séisme.
« Après cela, il a disparu. C’est consternant. Sur ses canaux officiels, sur les réseaux sociaux, son équipe de communication s’est contentée de relayer le communiqué du cabinet royal. Aucun message de soutien aux familles des victimes, aucune annonce de sa part. Que faut-il en déduire ? », s’interroge-t-on, ironiquement, dans un groupe WhatsApp rassemblant des journalistes marocains.
Dans le Mellah, l’ancien quartier juif de la médina (vieille ville), la désolation se lit sur le visage des habitants de cette zone vulnérable, pourtant réhabilitée en 2014, dans le cadre du programme de conservation de la médina de Marrakech, un site inscrit depuis 1985 au patrimoine mondial de l’UNESCO.
« On s’est moqué du roi », dénonce un militant associatif du quartier, interrogé par un média local. « Je parle des responsables, qui se sont fait des millions grâce au Mellah. Aujourd’hui, nos enfants se retrouvent à la rue ! »
Najat, une autre habitante du Mellah, s’interroge sur ses lendemains. « Notre maison ne s’est pas écroulée mais il y a des fissures un peu partout. C’est trop dangereux. Je ne sais pas combien de temps je vais rester ici, mais pour le moment, il est hors de question de dormir chez moi », confie-t-elle à MEE.
« J’en tremble encore, j’ai pensé que c’était la fin du monde. À moins de 200 mètres de chez moi, les murs ont lâché et il y a eu des morts. »
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