Liban : les combattants palestiniens s’accusent mutuellement des affrontements à Ain al-Helweh et soupçonnent Israël
Un calme précaire règne dans le camp de réfugiés palestiniens d’Ain al-Helweh, au Liban, quelques jours après des affrontements entre les combattants du mouvement Fatah et ceux de la coalition al-Shabab al-Muslim (« Jeunesse musulmane »).
La dernière flambée de violence en date a commencé le 7 septembre après la rupture d’un cessez-le-feu fragile entre les factions rivales.
Les tensions sont vives depuis la tentative d’assassinat manquée, fin juillet, d’un chef de milice locale, Mahmoud Khalil, et l’embuscade tendue par la suite à des combattants du Fatah, qui a causé la mort d’un haut commandant du Fatah, Abu Sheref al-Armoushi, ainsi que de quatre de ses gardes.
Cette embuscade a été considérée comme une réponse à la tentative d’assassinat.
Des combats sporadiques et meurtriers se poursuivent depuis lors, alors que d’autres groupes armés, tels que le Hamas et le mouvement libanais Amal, tentent d’étouffer la violence.
À l’intérieur du camp, la vie reprend peu à peu son rythme. Dans les secteurs épargnés par les récents conflits, certains habitants ont rouvert leur boutique, malgré la présence militaire des différentes factions.
Dans les secteurs touchés par les combats, les maisons sont abandonnées, souvent en ruine et inhabitables.
La série d’affrontements de septembre a embrasé plusieurs quartiers du camp, notamment Hittin, Baraksat, Tawarek, Taamir, Safsaf, Ras al-Ahmar, Tiri et Jabal al-Halib.
Malgré le calme actuel, la menace de violence plane toujours, le Fatah ayant donné à ses rivaux jusqu’à la fin du mois pour leur remettre les assassins d’Abu Sheref al-Armoushi.
Les camps de réfugiés palestiniens au Liban sont traditionnellement autogérés : les forces de sécurité et les milices libanaises y adoptent une approche non interventionniste.
« Un complot »
Des personnalités des deux camps affirment qu’il n’est pas question que la situation dégénère et qu’il s’agit simplement de répondre aux attaques de l’autre camp.
Sous le couvert de l’anonymat, un dirigeant d’un groupe armé local rival du Fatah affirme à Middle East Eye que son groupe n’a pas l’intention de contrôler des territoires mais reproche au Fatah d’agir de manière provocatrice.
« La dernière fois, ce quartier [Ras al-Ahmar] ne faisait pas partie des affrontements, mais cette fois-ci, des membres [du Fatah] ont commencé à nous tirer dessus – nous avons dû mettre fin à cela », affirme-t-il.
« Je vais être sincère avec vous, ce qui se passe ici dans notre camp est orchestré par les Israéliens, à la fois dans notre camp et dans celui des islamistes »
- Une source haut placée au sein du Fatah
« Ils ne s’attaquaient pas seulement à nous, mais aussi à des maisons de civils ; vous pouvez demander à n’importe qui dans ce quartier, tout le monde vous dira que nous n’avons rien commencé. »
Si la méfiance est vive entre les deux camps, ironiquement, l’un et l’autre soupçonnent une ingérence extérieure de jeter de l’huile sur le feu, voire d’attiser la violence.
« Nous constatons un complot visant à démanteler notre camp, ce dont l’occupation israélienne serait la seule à tirer profit », soutient la source.
Une source haut placée au sein du Fatah, qui souhaite également rester anonyme, partage cette impression.
« Je vais être sincère avec vous, ce qui se passe ici dans notre camp est orchestré par les Israéliens, à la fois dans notre camp et dans celui des islamistes.
« Nous sommes l’un comme l’autre infiltrés, je ne peux pas dire par qui ni comment, mais croyez-moi, nous sommes l’un comme l’autre infiltrés et toute cette violence que vous avez vue en est le résultat. »
Les allégations d’ingérence extérieure ne peuvent être étayées de manière indépendante, mais elles sont devenues un élément de la couverture des affrontements par les médias locaux libanais.
Outre les allégations d’implication israélienne, certains accusent également les combattants d’al-Shabab d’avoir combattu avec des groupes armés en Syrie.
La source au sein du Fatah précise toutefois que les affrontements impliquent principalement des hommes du camp, ainsi que des Libanais et des Palestiniens de Syrie qui sont partis en raison du conflit.
« Je les considère tous comme mes fils dans le camp, mais je ne peux pas nier qu’ils sont infiltrés et que certains d’entre eux sont à l’origine de ce qui se passe », affirme le responsable au sujet des parties adverses. « Qui a tué [Abu Sheref] al-Armoushi en premier lieu ? »
Un autre élément qui explique la persistance des affrontements, explique-t-il, est la discorde interne au sein du Fatah.
« Nos jeunes éléments sont fervents et défient souvent le commandement central », indique-t-il. « Les dirigeants politiques s’accordent sur un cessez-le-feu, mais sur le terrain, rien ne se passe et les tirs continuent. »
Pris entre deux feux
À la suite des derniers affrontements, les réfugiés du camp se trouvent confrontés à un nouvel épisode qui accentue leur situation critique.
Certains quartiers tels que Tawarek et Hittin ont été particulièrement dévastés et ressemblent aujourd’hui à des zones de guerre.
À Ras al-Ahmar, la situation est moins catastrophique, mais les habitants ont tout de même quitté les lieux en raison de la proximité des affrontements.
Ali Salameh a invité MEE à visiter sa maison, qui n’est plus qu’une carcasse calcinée après avoir pris feu lors des combats.
« C’est la première fois que je dois abandonner ma maison. D’habitude, je ne bouge pas, mais cette fois-ci, la violence est arrivée jusqu’à notre porte et nos pertes sont considérables », déplore-t-il tout en se frayant un chemin parmi les vestiges de son habitation.
« C’est la première fois que je dois abandonner ma maison. D’habitude, je ne bouge pas, mais cette fois-ci, la violence est arrivée jusqu’à notre porte et nos pertes sont considérables »
- Ali Salameh, habitant d’un camp palestinien
« Dieu merci, ma famille est saine et sauve, mais qui va nous dédommager de nos pertes ? Cette maison était tout ce que nous avions. Aujourd’hui, nous sommes dispersés, chacun se réfugie dans un logement différent.
« L’incertitude est accablante et nous ne savons pas si cette série de violences a réellement pris fin. »
Selon des documents de l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, les combats ont provoqué le déplacement massif de civils palestiniens du camp, en particulier dans le quartier de Hittin, qui a été touché par l’artillerie lourde.
Ceux qui ont fui les combats ont trouvé refuge dans des mosquées, des écoles et même les locaux de la municipalité de Sidon.
Les données de l’UNRWA corroborent ces départs massifs du camp ; l’agence souligne que ses abris d’urgence sont presque saturés.
L’organisation est en première ligne face à la crise, avec un versement de 15,5 millions de dollars d’aide pour soutenir les personnes déplacées et continuer d’assurer l’éducation des enfants. Selon l’agence, les factions armées ont réquisitionné huit écoles dans le cadre de la crise.
Les cicatrices du conflit
Le bilan humain exact reste un point de désaccord, dans la mesure où les deux factions cessent de détailler leurs pertes.
Néanmoins, le directeur de l’hôpital al-Hamshari, situé à proximité, a reconnu la mort d’environ 17 personnes lors de la dernière vague de violence, auxquels s’ajoutent environ 140 blessés.
Au-delà des limites du camp, dans la ville libanaise voisine de Sidon, les habitants portent également les cicatrices physiques et émotionnelles du conflit.
Des balles perdues ont endommagé les infrastructures et contribué à créer un sentiment de peur omniprésent parmi la population.
D’après l’Agence nationale de l’information, les locaux de la municipalité de Sidon ont été abîmés et l’Université libanaise a été fermée par mesure de précaution.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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