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Les Émirats arabes unis « ont recruté al-Qaïda » pour commettre des assassinats au Yémen

Les autorités émiraties ont également financé des mercenaires américains pour procéder à des assassinats ciblés de personnalités politiques, selon une nouvelle enquête de la BBC
Un manifestant yéménite brandit une pancarte comportant les visages barrés du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (à droite) et du président émirati Mohammed ben Zayed (à gauche) dans la ville yéménite de Ta’izz, le 4 octobre 2018 (AFP/Ahmad al-Basha)
Un manifestant yéménite brandit une pancarte comportant les visages barrés du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (à droite) et du président émirati Mohammed ben Zayed (à gauche) dans la ville yéménite de Ta’izz, le 4 octobre 2018 (AFP/Ahmad al-Basha)
Par MEE

Selon les révélations d’une enquête de la BBC, diffusée le 23 janvier, les Émirats arabes unis (EAU) ont recruté d’anciens membres d’al-Qaïda pour assurer la sécurité au Yémen et ont financé des mercenaires américains pour commettre des assassinats politiques dans le pays.

Dans cette enquête, un lanceur d’alerte a déclaré à la BBC que d’anciens membres du groupe islamiste armé al-Qaïda – organisation présente depuis longtemps dans le sud du Yémen – avaient en fait été recrutés pour travailler au sein du Conseil de transition du sud (CTS), soutenu par les Émirats arabes unis, pour assurer la sécurité du pays.

Le lanceur d’alerte a fourni les noms de onze anciens membres d’al-Qaïda qui opéreraient avec le CTS.

Traduction : « Les Émirats arabes unis ont fomenté des assassinats politiques au Yémen, révèle une enquête de BBC Arabic. »

D’après des documents judiciaires divulgués dans le reportage, un membre d’al-Qaïda a affirmé que des responsables émiratis lui avaient offert de le libérer de prison. En contrepartie, il devait commettre des assassinats.

Nasser al-Shiba, ex-agent de haut rang d’al-Qaïda soupçonné d’avoir participé à l’attaque du navire de guerre américain USS Cole, qui avait coûté la vie à dix-sept Américains en 2000, collabore également avec l’une des unités militaires du CTS, d’après ce qu’ont indiqué des sources à la BBC.

Des conflits modernes « opaques »

Le rapport comprend par ailleurs les témoignages de deux agents de la société de sécurité américaine Spear Operations Group. Ils ont déclaré avoir été engagés par les Émirats arabes unis pour procéder à des assassinats ciblés au Yémen.

Aïdarous al-Zoubaïdi, le chef du CTS, a nié les allégations d’implication d’al-Qaïda dans ses forces militaires.

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Une enquête menée par le média en ligne BuzzFeed.news avait déjà révélé en 2018 que les Émirats arabes unis avaient recruté ces mercenaires pour assassiner des membres éminents d’al-Islah, la branche yéménite des Frères musulmans.

Le rapport comprenait des images de drone divulguées d’une tentative ratée, en décembre 2015, d’assassinat du leader du parti al-Islah, Anssaf Ali Mayo, et de toutes les personnes présentes dans son bureau.

Dans le reportage de la BBC, Isaac Gilmore, ancien Navy Seal américain et agent de Spear, a admis que Anssaf Ali Mayo figurait sur une « liste de personnes à abattre ».

« Les conflits modernes sont malheureusement très opaques », a-t-il déclaré. « Nous le voyons au Yémen : le leader civil et spirituel d’une personne est le leader terroriste d’une autre. »

L’accord entre Spear et les Émirats arabes unis a été conclu à Abou Dabi lors d’une réunion en présence du fondateur israélo-hongrois de Spear, Abraham Golan, et de Mohammed Dahlan, un ancien homme politique palestinien en exil, devenu depuis conseiller du président émirati Mohammed ben Zayed.

Une photo de Gilmore, Golan et Dahlan a été publiée dans l’enquête réalisée par BuzzFeed.news en 2018.

« Les EAU sont fourbes »

Si les Émirats arabes unis comptent parmi les plusieurs pays qui ont qualifié les Frères musulmans et leurs affiliés dans la région d’organisations terroristes, le mouvement n’est pas proscrit par le gouvernement américain.

La tentative d’assassinat de Mayo a amorcé une série d’assassinats ciblés au Yémen entre 2015 et 2018, période durant laquelle l’organisation de défense des droits de l’homme Reprieve a enquêté sur 160 assassinats.

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Reprieve a constaté que seules 23 des personnes assassinées étaient liées « à des organisations terroristes ».

« Les Émirats arabes unis sont prêts à détruire tout le pays et à faire venir des mercenaires du monde entier pour anéantir al-Islah », a affirmé Mohammed Abdulwadood, membre du parti à Ta’izz, à Middle East Eye en 2018. « Les Émirats arabes unis sont fourbes, mais Dieu n’aide pas les fourbes à réussir. »

Huda al-Sarari, une juriste qui a enquêté sur les violations des droits commises par des groupes soutenus par les Émirats arabes unis au Yémen, a indiqué à la BBC avoir été souvent menacée de mort pour son travail.

En 2019, le fils de Huda al-Sarari a été tué lors d’une fusillade attribuée par le procureur général d’Aden à un membre de l’unité de lutte contre le terrorisme soutenue par les Émirats arabes unis dans le sud du Yémen. À ce jour, personne n’a été poursuivi pour ce meurtre.

Le gouvernement des Émirats arabes unis a nié avoir pris pour cible des individus « non liés au terrorisme », et a déclaré que ses activités antiterroristes étaient menées à la demande du gouvernement internationalement reconnu du Yémen.

Le parti al-Islah et les Émirats arabes unis avaient collaboré auparavant dans le cadre de la guerre menée au Yémen depuis 2015 contre les Houthis, officiellement connus sous le nom d’Ansar Allah.

Leurs relations se sont néanmoins considérablement dégradées et, en octobre 2017, des affrontements ont éclaté à Aden entre le parti al-Islah et les milices supplétives émiraties.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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