Le silence du féminisme occidental sur la souffrance des femmes palestiniennes à Gaza révèle sa faillite morale
Depuis le début de la guerre à Gaza, un discours troublant s’est répandu dans les médias occidentaux, décrivant Israël comme un parangon de civilisation opposé au bastion rétrograde qu’est le Moyen-Orient. Certains experts sont même allés jusqu’à rabaisser la population palestinienne au rang du règne animal.
Ces préjugés n’ont rien de nouveau et sont davantage amplifiés par certains médias dont la propagande perpétue la tradition troublante d’une représentation trompeuse de la communauté arabe. Mais il a été étonnamment troublant d’entendre ces distorsions reprises par des féministes et des activistes.
Si vous suivez par exemple des féministes britanniques bien connues dans l’espoir que leur voix s’élève et qu’elles manifestent de l’empathie pour les violences subies par les femmes et les enfants palestiniens, je crains que vous ne soyez fortement déçu.
Si la Cour internationale de justice a averti que l’assaut israélien à Gaza pouvait vraisemblablement constituer un génocide, certains des plus ardents défenseurs du féminisme occidental contre la violence basée sur le genre semblent avoir réservé leur solidarité aux femmes israéliennes, accusant la communauté internationale d’avoir gardé le silence sur les viols et les agressions sexuelles dont les femmes israéliennes ont été victimes le 7 octobre dernier.
Ne vous méprenez pas : en tant que féministes, notre credo consistant à croire les femmes et à condamner l’instrumentalisation du viol dans les conflits n’est pas négociable, même dans les situations complexes où les témoignages directs des victimes sont rares et où les preuves proviennent d’entités telles que l’armée israélienne.
Cela dit, l’absence d’une empathie et d’une indignation comparables vis-à-vis du sort des femmes et des enfants palestiniens trahit un double standard choquant et une profonde défaillance morale.
Ce n’est pas la première fois que les féministes occidentales déçoivent. Ce type de féminisme, qui a toujours mis l’accent sur les questions qui plaisent aux goûts occidentaux, ignore souvent les préoccupations des femmes de couleur.
Ire sélective
Ce schéma troublant est tout à fait évident dans ce qu’on appelle généralement le « féminisme impérial ». Prenons l’exemple des protestations des féministes britanniques à la suite du cas tragique de l’Iranienne Mahsa Amini, punie pour son hijab « non conforme », qui lui a coûté la vie.
Comme beaucoup, j’ai été révoltée par l’injustice dont elle a été victime. La réaction mondiale au sort de Mahsa Amini a déclenché un important mouvement féministe, avec un élan de solidarité au Royaume-Uni, où des activistes ont organisé des manifestations spectaculaires en se coupant les cheveux en plein cœur de Londres.
En revanche, la situation désastreuse dans laquelle se trouvent les femmes et les enfants palestiniens à Gaza n’a pas bénéficié d’un plaidoyer aussi fort et passionné. C’est comme si l’ire et le pouvoir féministes se manifestaient de manière sélective pour les questions qui correspondent à un récit de libération résolument occidental, laissant d’autres questions, comme celles de la Palestine, dans l’ombre.
L’histoire du féminisme impérial ressemble à un disque rayé, répétant les mêmes erreurs sans en tirer de leçons. Drapé dans la noble notion de « libération », il impose souvent les valeurs occidentales aux femmes du monde entier, semant le chaos dans son sillage.
Ce discours s’apparente à celui utilisé pour l’Afghanistan et l’Irak, articulé autour de la libération des « femmes de couleur » des « hommes de couleur ». Pendant ce temps, le sort réel et permanent des femmes palestiniennes est à peine plus qu’une note de bas de page
Prenons l’exemple de l’Irak, où l’intervention militaire a été en partie présentée comme une tentative de libérer les femmes de la tyrannie. Cette logique, qui consiste à utiliser les droits des femmes comme couverture pour la guerre, ne prend pas en compte ce qui se passera par la suite, ni ce que les femmes irakiennes veulent vraiment et ce dont elles ont besoin.
Sans surprise, cette intervention a provoqué des troubles, une augmentation de la violence et l’effondrement du tissu social qui assurait la cohésion des communautés, rendant la vie encore plus difficile, en particulier pour les femmes.
Ce même discours occidental visant à « libérer » les femmes afghanes de l’emprise des talibans a d’abord créé pour elles de nouvelles opportunités dans les domaines de l’éducation et de l’emploi. Mais des années de bouleversements et d’instabilité ont suivi, laissant les Afghanes dans une situation précaire aujourd’hui.
Là encore, cette forme de féminisme ne tient pas compte du fait que les femmes, où qu’elles soient, possèdent leur propre voix et leur propre résistance. Le féminisme impérial perpétue subtilement la notion de supériorité des méthodes occidentales, tout en négligeant la riche mosaïque de points de vue des femmes irakiennes et afghanes, ainsi que les féministes locales qui luttent pour le changement dans leur pays.
Sombre cycle
En Palestine, le sombre cycle de l’histoire se répète. L’impérialisme et le colonialisme occidental tissent leur récit habituel, affirmant que les femmes palestiniennes ont besoin d’être « sauvées » du Hamas, catégorisé comme groupe terroriste par le Royaume-Uni et dans d’autres États.
Ce discours s’apparente à celui utilisé pour l’Afghanistan et l’Irak, articulé autour de la libération des « femmes de couleur » des « hommes de couleur ». Pendant ce temps, le sort réel et permanent des femmes palestiniennes est à peine plus qu’une note de bas de page.
Ce manquement flagrant amène à se demander pourquoi seules les femmes israéliennes reçoivent des marques d’intérêt ou de sympathie de la part de certaines féministes occidentales. Est-ce parce qu’elles sont perçues comme plus proches des idéaux féministes occidentaux, et donc jugées plus « dignes » ?
Pendant que le féminisme occidental, relayé par les médias, s’attache à dépeindre Israël comme un simple opprimé qui riposte au terrorisme, et que toute critique des actions israéliennes est rapidement considérée comme antisémite, le calvaire des femmes palestiniennes prises au piège du conflit est gravement ignoré. Des rapports de l’ONU font état de violences sexuelles et d’actes de torture subis par des femmes palestiniennes détenues par les Israéliens. Pourquoi n’y a-t-il pas une avalanche d’articles qui défendent leur cause ?
De jeunes enfants sont également détenus et privés de leurs droits. Cela ne provoque-t-il pas quelque chose en vous, cela ne vous pousse-t-il pas à le dénoncer ? Il est intéressant de noter la rapidité avec laquelle de nombreux articles de solidarité avec les femmes israéliennes ont été publiés, alors qu’une simple mention de la violence subie par les femmes palestiniennes semble être trop demander.
Dès lors, au lieu de poser la question éculée demandant à chacun de dénoncer le Hamas, j’inverse la question : pouvez-vous condamner clairement les actions d’Israël et l’oppression persistante des Palestiniens ?
Surmonter les divisions
Le silence de ceux qui devraient être les plus virulents à l’égard de la violence infligée aux femmes et aux enfants de Gaza, doublé de leur fixation sur le Hamas, contredit les principes mêmes que le féminisme prétend défendre. Leur empathie ignore manifestement les souffrances inconcevables auxquelles sont confrontées les femmes palestiniennes : la faim, le manque d’eau potable et la pénurie criante de produits de première nécessité. Certaines mangent de l’herbe pour survivre.
Curieusement, il semble que les réseaux sociaux se soient beaucoup plus emparés des questions de féminisme et de patriarcat à propos d’une Barbie qui n’a pas été nominée aux Oscars que des conditions désastreuses dans lesquelles les femmes palestiniennes accouchent sans soins hospitaliers ni hygiène de base, du manque de matériel d’anesthésie pour pratiquer des césariennes vitales et de la mort atroce de nouveau-nés en raison de l’absence de soins néonatals à cause des pannes d’électricité.
Le silence de ceux qui devraient être les plus virulents à l’égard de la violence infligée aux femmes et aux enfants de Gaza, doublé de leur fixation sur le Hamas, contredit les principes mêmes que le féminisme prétend défendre
Ce silence assourdissant révèle la faillite morale du féminisme occidental qui, trop souvent, ne considère pas les femmes palestiniennes comme dignes de la même empathie que les autres, ce qui revient à les déshumaniser.
Le féminisme, désormais pris au piège de la guerre tribale, semble donner la priorité aux allégeances tribales plutôt qu’à l’unité pour la cause de l’humanité. Il s’agit là d’une profonde déception, qui concerne l’ensemble du spectre politique.
Il est grand temps de surmonter ces divisions et de nous rallier sincèrement au nom de la justice et de l’empathie universelles, en nous rappelant qu’au cœur du féminisme se trouve la croyance inébranlable en la dignité et la valeur de chaque femme, indépendamment de l’endroit où elle vit ou du contexte politique dans lequel elle évolue.
Si les associations féministes et les médias continuent à fausser le récit comme ils l’ont fait, nous risquons de nous rapprocher d’interventions gouvernementales rappelant celles de la France, où la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, a menacé de supprimer les subventions accordées aux associations féministes qui s’écartent du récit israélien du 7 octobre.
Cela pourrait créer un dangereux précédent. Si de telles mesures venaient à se répandre dans le monde, elles pourraient sonner le glas d’un féminisme inclusif et impartial – ce qui reviendrait à dire adieu à un mouvement qui défend les intérêts de toutes les femmes.
- Maryam Aldossari est conférencière en gestion des ressources humaines et en études organisationnelles au Royal Holloway, Université de Londres. Ses recherches portent sur l’inégalité des sexes au Moyen-Orient.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.
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