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Un nouveau parti politique pour l’Algérie et la famille Bouteflika

L’homme d’affaires algérien Ali Haddad aurait l’intention d’entrer en politique avec un nouveau parti

Les rumeurs selon lesquelles Ali Haddad, riche homme d’affaires algérien de 50 ans et proche confident du Président Abdelaziz Bouteflika (78 ans) et de sa famille, pourrait chercher à accéder aux hautes sphères de la politique se sont confirmées le 22 mars lorsque le journal algérien El Watan a rapporté qu’Haddad était sur le point de fonder un nouveau parti politique qui, toujours selon les rumeurs, s’appellerait El Kakhr (« Fierté »).

El Watan affirme que l’aventure politique d’Haddad a non seulement bénéficié du soutien de plusieurs ministres, actuels et anciens, ainsi que de personnalités politiques de premier plan, mais également du soutien financier d’hommes d’affaires qui avaient suivi ses traces dans le financement de la campagne pour la réélection de Bouteflika en 2014.

Les partis politiques et les élections en Algérie ne ressemblent guère à ce qui se passe en Occident. Les élections sont massivement truquées pour assurer l’issue dont le régime autoritaire de l’Algérie a besoin. Alors que les partis d’opposition enregistrés servent à donner un semblant de démocratie, les partis gouvernementaux, à savoir le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND), ont pour fonction principale de contrôler le corps législatif et de faciliter la gouvernance et l’administration régionales.

Crise de succession et chute du prix du pétrole

Pourquoi la création d’un nouveau parti est-elle donc si importante ? La réponse est une question de timing. L’Algérie traverse actuellement deux crises sans précédent. La première consiste en la baisse de quelque 50 % des revenus des hydrocarbures de l’Algérie, qui constituent plus de 95 % de ses recettes d’exportation, suite à la chute des cours mondiaux du pétrole. Des mesures économiques radicales sont nécessaires.

La seconde est que le pays connaît un vide à la tête du pouvoir. Bouteflika, qui règne depuis 1999, affiche non seulement une cote de popularité historiquement basse mais s’est également montré incapable de remplir ses fonctions de Président depuis un accident vasculaire cérébral subi en avril 2013.

Depuis lors, la question de savoir qui dirige le pays revient presque quotidiennement. La réponse est que la fonction de Président, exercée furtivement derrière des portes closes, est en grande partie entre les mains du frère du Président, Saïd Bouteflika, encore plus impopulaire que son aîné, et d’un entourage qui comprend le général Ahmed Gaïd Salah, 75 ans, vice-ministre de la Défense et chef de l’Etat-major, mais décrit par l’ambassadeur américain Ford dans un câble Wikileaks (19/12/2007, ID. 135031) comme étant « le fonctionnaire le plus corrompu de l’appareil militaire », et le général Athman « Bachir » Tartag, ancien adjoint du général Mohamed « Toufik » Mediène, responsable du service de renseignements du pays, le DRS, mais écarté l’an dernier. Cet entourage comprend également le multimilliardaire Ali Haddad, sans doute l’homme le plus puissant du pays à l’heure actuelle.

En outre, alors qu’il apparaît que le Président pourrait finalement être proche de sa fin, les luttes intestines au sein du régime quant à sa succession semblent s’intensifier. Les noms de ses potentiels successeurs (Mouloud Hamrouche, Ali Benflis, Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal, Tayeb Belaiz, Ahmed Gaïd Salah, Saïd Bouteflika) suscitent depuis longtemps l’attention des médias.

Depuis au moins 2009, ce n’est un secret pour personne que Saïd Bouteflika aimerait succéder à son frère. Toutefois, peu d’analystes ont jamais pris au sérieux les ambitions présidentielles de Saïd Bouteflika. Il est réputé inéligible, détesté à la fois par l’armée, en particulier la « vieille garde » du DRS qui reste fidèle à Mediène, et par l’opinion publique, qui le voit comme l’araignée au centre de la toile du système corrompu de la famille Bouteflika qui a transformé l’Algérie en ce que beaucoup considèrent comme un « Etat mafieux ». En outre, les ambitions présidentielles de Saïd Bouteflika, que ce soit pour lui-même ou pour tout membre de son entourage, sont davantage motivées par la nécessité de garantir l’immunité de poursuites pour lui-même et le clan Bouteflika que par un quelconque désir d’améliorer le sort du peuple algérien.

Au cours des derniers mois, le moulin à rumeurs algérois a de nouveau relié le nom de Saïd à la question de la succession mais, de plus en plus, dans le cadre d’une sorte d’arrangement avec Haddad.

L’empire économique d’Haddad

Haddad, qui a suivi une formation en génie civil dans les années 1980, a fondé sa propre entreprise de construction routière en 1988. Au début des années 2000, il a exploité ses relations avec l’entourage de Bouteflika, notamment les ministres Amar Ghoul (ministre des Travaux publics), Abdelmalek Sellal (ministre des Ressources en eau) ainsi que Saïd Bouteflika, pour remporter de nombreux projets majeurs d’infrastructures financés par le gouvernement – ce que certains pourraient qualifier de corruption – et faire de son groupe ETRHB HADDAD le plus grand conglomérat d’Algérie, et de lui-même le plus riche oligarque du pays.

Aujourd’hui, son empire ETRHB s’étend sur quasiment tous les aspects de l’économie algérienne. S’appuyant principalement sur des contrats financés par le gouvernement, le groupe ETRHB HADDAD prend part à une série de programmes de travaux publics incluant des barrages et des projets majeurs d’hydrologie, de construction de routes, de logement et autres.

Une grande partie des pétrodollars du pays sont recyclés dans le groupe Haddad par l’attribution des contrats de Sonatrach (la compagnie pétrolière nationale). ETRHB est également investi dans les systèmes de transport ferroviaire (chemin de fer et tramways), la machinerie lourde, les concessions automobiles, le tourisme (marinas et hôtels), les médias (deux journaux, Le Temps d’Algérie et Wakt Eldjazair, ainsi que deux chaînes de télévision privées, Dzair TV et Dzair News) et les stades (il dispose notamment de 83 % des parts de l’USM Alger, un club de football de première division).

Plus récemment, Haddad s’est inscrit auprès de l’ALNAFT, l’autorité de régulation des hydrocarbures, pour obtenir le droit automatique de soumettre des offres pour des appels pétroliers et gaziers. Il ne l’a pas encore fait, mais il pourrait s’associer à une compagnie pétrolière étrangère pour de futurs appels d’offres gouvernementaux. Il s’est également lancé dans la branche haute technologie du secteur de la santé, se spécialisant en particulier dans le traitement du cancer. Il aurait également un œil sur Air Algérie, la compagnie aérienne nationale, actuellement en difficulté.

Au cours des années 2000, Haddad aurait enrichi le clan Bouteflika grâce aux dessous-de-table issus des contrats gouvernementaux. Son passage d’« oligarque en chef » au statut possible de personne la plus puissante d’Algérie a été permis par l’« élection » improbable de Bouteflika pour un quatrième mandat en avril 2014. Lors d’une réunion du puissant Forum des chefs d’entreprise (FCE) un mois avant l’élection, Haddad avait persuadé de nombreux hommes d’affaires algériens à soutenir financièrement Bouteflika.

L’heure de la paye pour Haddad

C’est maintenant l’heure de la paye. En novembre, Haddad a été élu président de la FCE sans rencontrer d’opposition. Ensuite, avec l’apparition presque immédiate de la crise économique, le gouvernement a appelé les hommes d’affaires d’Algérie, en grande partie à travers Haddad et le FCE, à l’aider à présenter un projet de réponse stratégique à la crise. Selon un analyste algérien, c’était comme si l’on avait demandé au renard de garder le poulailler ; un autre analyste a parlé de « démocratisation de la corruption ». En novembre dernier, Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs peu favorable au système de corruption du gouvernement, a accusé Haddad de « berlusconiser » la politique algérienne et de se comporter comme s’il était le Premier ministre.

Alors qu’il a déjà beaucoup à faire, pourquoi Haddad envisage-t-il de former un parti politique ? Une explication possible est qu’il peut s’agir d’une réplique de la stratégie adoptée en 1998, lorsque le gouvernement a créé le RND pour donner une impression de démocratie et former une alternative au FLN, alors impopulaire et rétrograde. Le FLN et le RND sont désormais à la fois dépassés et embourbés dans des querelles intestines. Dans des élections libres et ouvertes, ils auraient du mal à rassembler 10 % de votes en leur faveur. Un nouveau parti, moderne, avant-gardiste et axé sur le monde des affaires, pourrait donner au gouvernement un visage nouveau et plus présentable, comme ce fut le cas pendant une courte période après 1998 avec la formation du RND.

Quant aux ambitions politiques d’Haddad, d’aucuns prétendent que ce dernier vise la présidence à titre personnel. Ceci permettrait de protéger les intérêts de la famille Bouteflika. Cependant, d’autres pensent qu’il pourrait créer ce parti afin d’en faire un tremplin pour Saïd Bouteflika. Bien que Saïd soit réputé inéligible en dépit des trucages de scrutins, le nouveau parti, s’il est formé à temps, pourrait être utilisé pour imposer des changements dans la constitution, notamment la création du poste de vice-Président, auquel Saïd Bouteflika, ou peut-être Haddad en personne, pourrait être nommé, et qui serait ensuite « intégré » à la présidence par le biais, par exemple, de l’application de l’article 88 de la constitution, relatif à l’incapacité médicale du Président d’exercer ses fonctions.

Les manœuvres politiques d’Haddad, surtout si celles-ci sont considérées comme encourageant ou préservant les intérêts de la famille Bouteflika, ne seront pas du goût de nombreux membres de l’armée, en particulier de ceux qui sont encore fidèles au chef du DRS, « Toufik » Mediène. Cependant, alors que l’économie dérape et qu’Haddad agit déjà comme un Premier ministre, ses ennemis ne se trouvent pas dans une position de force pour prendre des mesures contre lui.
 

Jeremy Keenan est professeur et chercheur associé à l’Ecole des études orientales et africaines de l’université de Londres. Il a écrit de nombreux livres, dont The Dark Sahara (2009) et The Dying Sahara (2012). Il officie en tant que consultant sur le Sahara et le Sahel auprès de nombreuses organisations internationales, dont l’ONU et la Commission européenne.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : le président algérien Abdelaziz Bouteflika, 78 ans, s’est montré incapable de remplir ses fonctions depuis un accident vasculaire cérébral subi en avril 2013 (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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