Les Etats-Unis ne peuvent pas menacer et négocier avec l'Iran en même temps
Depuis que des négociations sur le programme nucléaire iranien ont commencé en octobre 2013 entre l'administration du président Hassan Rohani et le P5 + 1 - les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies plus l'Allemagne - l'opposition aux négociations et à la résolution de l'impasse entre les deux parties a fait en sorte d’empêcher un accord nucléaire global. Israël, les pays arabes du Moyen-Orient, leurs lobbies à Washington, le Congrès des Etats-Unis, et beaucoup d'autres forces ont été prêts à tout pour empêcher la résolution diplomatique de l'une des questions internationales les plus importantes et complexes.
Inviter Benyamin Netanyahou à prendre la parole devant une session conjointe du Congrès, faire écrire une lettre par 47 sénateurs républicains à l’intention des dirigeants iraniens selon laquelle la prochaine administration américaine pourrait ne pas obligatoirement accepter l'accord sur le nucléaire, préconiser avec le sénateur Tom Cotton (R- AK) le bombardement de sites nucléaires iraniens, exercer une pression sur le président Barack Obama pour soumettre l'accord final pour le vote au Congrès, et inviter Maryam Radjavi à témoigner au Congrès, telles sont toutes les différentes facettes de la même grande tentative de l'opposition à l'accord.
En particulier, l’invitation de Maryam Radjavi, leader du Moudjahidines-e Khalq (MEK), une secte terroriste iranienne qui a soutenu le régime de Saddam Hussein et ses huit ans de guerre d'agression contre l'Iran, et s’est vantée dans le passé d'avoir tué 69 000 soldats iraniens qui défendaient leur pays contre l'armée irakienne, était destinée à provoquer la colère des dirigeants iraniens pour mettre fin aux négociations.
Au Moyen-Orient, il faut voir la guerre d'agression du Yémen par l'Arabie saoudite comme la tentative des Saoudiens d'arrêter les négociations sur le nucléaire en provoquant l'Iran afin qu’il intervienne dans cette guerre. Sous prétexte de se « défendre », les bombardements de l'Arabie saoudite sur le Yémen ont tué plus de 1 400 personnes et blessé plus de 6 000, auxquels s’ajoutent 300 000 personnes déplacées et réfugiées. Les Etats-Unis ont soutenu l'agression, fournissant un soutien logistique et de renseignement à l'Arabie saoudite.
Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, dirige une dictature, mais il n’est pas idiot et ne sera pas facilement provoqué. Il a agi de telle sorte que les Etats-Unis seront tenus pour responsables si les négociations sur le nucléaire échouent. Hormis condamner l'attaque des Saoudiens au Yémen, Khamenei n'a rien fait parce qu'il est bien conscient que des organisations des droits de l’homme, des intellectuels et des militants anti-guerre vont protester contre le bombardement du Yémen avec des bombes à sous-munitions fournies à l'Arabie saoudite par les Etats-Unis, et contre les crimes de guerre.
La tentative par Israël, l'Arabie saoudite, et leurs alliés aux Etats-Unis pour empêcher la réussite des négociations sur le nucléaire n’est pas surprenante. Ce qui est surprenant est que, bien que l'administration Obama soit à la recherche d’un accord sur le nucléaire avec l'Iran, elle ne semble pas être engagée dans ce que les négociations et l'accord impliquent. Le président, le vice-président Joe Biden, le secrétaire d'Etat John Kerry, le secrétaire à la Défense Ashton Carter, et le conseiller adjoint à la Sécurité nationale Benjamin Rhodes ont dit que l'option militaire pour traiter avec l'Iran est toujours sur la table. Ce n’est pas ce qui est attendu par une partie intéressée par la résolution diplomatique du différend nucléaire.
Bien que d'autres provocations n’aient pas été efficaces jusqu'à présent, les menaces militaires américaines pourraient finalement provoquer Khamenei. Dans un discours prononcé le 6 mai Khamenei a déclaré :
« Je ne comprends pas la logique de négociations sous l'ombre de la menace. Nous devrions négocier sous la menace ? C’est comme si on tenait une épée au-dessus de nos têtes [et nous disait de négocier]. La nation iranienne rejette les négociations sous la menace [militaire]. Pourquoi nous menacent-ils ? Pourquoi [les dirigeants américains] insistent-ils sur des actes répréhensibles ? Il [le président] dit que si nous ne faisons pas ceci ou cela, ils [les Etats-Unis] peuvent nous attaquer ... Je ne supporte pas les négociations sous l'ombre de la menace. »
Khamenei a ajouté que, en réponse aux menaces de l'administration George W. Bush d’attaquer l'Iran, il avait déclaré le 22 septembre 2007, que « l'époque où on pouvait attaquer [une nation] sans conséquences est terminée. Vous [le président Bush] ne pouvez pas dire que nous [les Etats-Unis] allons attaquer l'Iran et partir ensuite ; non, vous serez pris au piège et nous vous poursuivrons [pour riposter et vous punir]. La nation iranienne va chercher à atteindre ceux qui attaquent l'Iran. Nous les poursuivrons ».
Khamenei a ajouté que pour que les sanctions économiques imposées à l'Iran soient levées, l'Iran a besoin de négocier avec le P5 + 1, mais que les Etats-Unis ont encore plus besoin des négociations. « L'Iran va survivre même avec des sanctions », a déclaré Khamenei, « mais la seule réussite pour les Etats-Unis [lors des négociations] serait de prétendre qu'ils ont forcé l'Iran à la table des négociations pour lui imposer sa volonté [si elles échouent] ».
Dans le même discours, non seulement Khamenei n’a pas bloqué la poursuite des négociations, mais il a aussi dit aux diplomates iraniens de les continuer, en gardant à l'esprit les lignes rouges de l'Iran. Il a dit qu'il rejetait les humiliations et les menaces faites à l'Iran, ajoutant que les sanctions économiques les plus invalidantes imposées à l'Iran dans l'histoire auraient menées toute autre nation à l'effondrement, mais pas l'Iran.
Le problème auquel l'administration Obama est confrontée est de surmonter la propagande de l'opposition aux négociations aux Etats-Unis et au Moyen-Orient par l'Arabie saoudite, Israël et leurs alliés. Pour ce faire, cette propagande présente constamment l'Iran comme une menace, déclare que l'option militaire est toujours sur la table, et déclare son plein soutien à Israël et à d'autres alliés des Etats-Unis dans cette région. Alors qu’il est vrai que parler de l'option militaire est probablement censé signifier « dompter » l'opposition, la crédibilité de la menace est douteuse, étant donné les conditions actuelles au Moyen-Orient. Khamenei ne semble pas pour le moment prendre les menaces au sérieux, et si cela est vrai, alors l'utilité de la menace est également douteuse.
L'administration Obama ne cesse de répéter que l'Iran a fait de nombreuses concessions, sans obtenir quelque chose d'important en retour ; que le régime d'inspection des sites nucléaires et même non nucléaires de l'Iran sera en place en permanence, et que toutes les sanctions économiques ne seront pas levées ; seules certaines seront supprimées au fil du temps.
On ne sait pas si une telle politique de complaisance va satisfaire l'opposition. Mais, si elle se poursuit, elle peut éventuellement convaincre Khamenei que les négociations sur le nucléaire avec le P5 + 1 ne sont pas utiles, et que les Etats-Unis continuent à poursuivre « l’irakisation » et la « libysation » de l'Iran.
Khamenei a suggéré que si un accord honorable et équitable est conclu avec le P5 + 1, alors cela ouvrira la porte à des négociations entre l'Iran et les Etats-Unis aussi sur d'autres questions d'intérêt mutuel. Est-il rationnel ou sage de répondre à une telle proclamation par les menaces militaires ? Est-il rationnel d'exiger de l'Iran de ne même pas avoir des armes défensives, tout en vendant pour des dizaines de milliards de dollars la plupart des armes offensives sophistiquées (comme les chasseurs F-35) à des adversaires de l'Iran dans cette région ? Peut-on défendre moralement le double jeu des Etats-Unis qui soutient ses alliés meurtriers dans la région ? Le double jeu présente-il une image démocratique des Etats-Unis en tant que défenseur du respect des droits de l’homme ?
Souvent, des tensions entre deux nations, basées de chaque côté sur un malentendu sur les propos de l’autre, conduisent à des guerres destructrices. L'utilisation inutile des menaces militaires à un moment où les négociations nucléaires avec l'Iran atteignent leur conclusion peut entraîner l'échec des efforts diplomatiques, et ouvrir la voie à une autre longue guerre dans la région, cette fois contre l'Iran. Est-ce ce que veulent les Etats-Unis ?
- Akbar Ganji est un journaliste et écrivain iranien. Il a été décrit comme un « dissident politique iranien prééminent », et un « journaliste pro-démocratie très populaire » qui a franchi régulièrement les « lignes rouges » de la censure de la presse. Partisan de la révolution islamique étant jeune, il est devenu désabusé au milieu des années 1990 et a purgé une peine à la prison Evin de Téhéran de 2001 à 2006, après avoir publié une série d'articles sur le meurtre d’auteurs dissidents connus sous le nom de Meurtres en Série iraniens. En prison, il a publié un manifeste qui l'a désigné comme étant le premier « dissident célèbre, musulman croyant et ancien révolutionnaire » à appeler à un remplacement du système théocratique de l'Iran par « une démocratie ».
Cet article a été traduit par Ali N. Babaei
Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de MEE.
Photo : La salle de crise pendant des négociations sur le nucléaire iranien (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par Emmanuelle Boulangé.
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