Egypte : la terreur au nom de la sécurité d’Etat
Aussi ahurissants et outrageux que puissent être les récents procès de masse et les condamnations à la peine de mort de Mohamed Morsi – le premier Président démocratiquement élu d’Egypte – et d’une dizaine de cadres de son parti interdit, Liberté et Justice, ils ne sont pas surprenants. En relativement peu de temps, après l’éviction du gouvernement Morsi par un coup d’Etat militaire, le régime de Sissi a battu le record de la violence d’Etat, de la répression et des arrestations, emprisonnements et condamnations à la peine de mort de masse, excédant tout ce qu’a pu connaître l’Egypte au cours de son histoire moderne.
L’euphorie générée par le renversement d’Hosni Moubarak est oubliée depuis longtemps. Un régime autoritaire a été restauré sous la présidence de Sissi, légitimé par la nomination au sein du système judiciaire de personnalités de l’ère Moubarak et servi par une armée qui a laissé derrière elle une trainée de sang et de répression. Prenez l’exemple du massacre de 817 civils en août 2013 sur la place Rabia el-Adaouïa. A cette occasion, l’armée – selon une enquête majeure de Human Rights Watch – a « systématiquement et délibérément tué des manifestants, pour la grande majorité non armés, sur des bases politiques » et ses actions « équivalent probablement à des crimes contre l’humanité ». Human Rights Watch recommande que « des hauts gradés des [services de] sécurité égyptiens soient assignés en justice », y compris Abdel Fatah al-Sissi, qui était ministre de la Défense au moment des faits et avait la responsabilité générale du rôle de l’armée à Rabia.
Quelque 40 000 Egyptiens ont été arrêtés et emprisonnés, tant des membres des Frères musulmans que d’autres voix significatives de la dissidence. Nombre d’entre eux ont été soumis à des tabassages, actes de torture, viols et refus de soins médicaux nécessaires. D’autres critiques du régime ont été accusés publiquement d’être coupables d’espionnage ou de soutenir le terrorisme et ont vu leurs entreprises, propriétés et comptes bancaires saisis ou confisqués.
Alors que des organisations de défense des droits de l’homme ont documenté et dénoncé ces violations massives des droits de l’homme, trop de gouvernements gardent le silence ou émettent des critiques à peine audibles. Les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) ont exprimé leur préoccupation et leur mécontentement, mais se sont bien gardés d’une condamnation vigoureuse. Aussi inimaginable que cela puisse paraître, l’administration Obama a refusé de qualifier de coup d’Etat la prise de pouvoir de Sissi par voie militaire. En dépit de la violence, de la terreur et des violations des droits de l’homme commises effrontément sous Sissi, le secrétaire d’Etat John Kerry a même décrit l’Egypte de ce dernier comme étant sur le chemin de la démocratie.
Les Etats-Unis et l’Union européenne semblent incapables ou tout simplement non disposés à en déduire que leurs timides initiatives diplomatiques tombent, au Caire, dans l’oreille d’un sourd. En parallèle, ils s’activent à renforcer leurs liens avec les régimes du Golfe, ceux-là même dont le soutien financier et la couverture diplomatique permettent au régime de Sissi de briser les espoirs démocratiques en Egypte. Alors que les Etats occidentaux et leurs entreprises signent des contrats juteux avec des régimes du Golfe et établissent des centres et initiatives anti-terroristes au nom de la lutte contre l’Etat islamique et le terrorisme, l’acquiescement et le soutien actif à ces mêmes alliances donnent à Sissi la couverture dont il a besoin pour écraser tout élan démocratique en Egypte et alimenter davantage les griefs qui ont permis l’essor du terrorisme.
Une erreur fatale a en effet fait suite au coup d’Etat en Egypte : les Etats-Unis et l’UE sont retournés à leur vieille croyance selon laquelle la stabilité est mieux garantie en supportant des alliés autoritaires. Non seulement cette politique est contraire aux principes et valeurs occidentaux d’auto-détermination, de démocratie et de droits de l’homme ; elle assure le contraire même de la stabilité. Le soutien à des régimes autoritaires et répressifs comme en Egypte et ailleurs nuit à la sécurité de l’ouest et de la région et s’avère un outil de recrutement particulièrement efficace pour l’Etat islamique. Si les quinze dernières années nous ont appris au moins une chose, c’est que la répression engendre la violence, non seulement contre ceux qui la pratiquent directement, mais aussi contre leurs mécènes, soutiens et acolytes. L’autoritarisme – loin d’être la solution au Proche-Orient – est en fait « le » problème.
- John L. Esposito est professeur de religion & relations internationales et d'études islamiques à l'université de Georgetown. Il est également fondateur et directeur du centre Prince al-Walid ben Talal pour la compréhension entre musulmans et chrétiens à la Edmund A. Walsh School of Foreign Service de l'université de Georgetown. Esposito a officié en tant que consultant auprès du Département d'Etat américain et d'autres agences étatiques, de gouvernements et entreprises européennes et asiatiques, ainsi qu'auprès d'universités et de médias du monde entier.
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Photo : officier de la police montée égyptienne montant la garde à l’extérieur de l’académie de police du Caire pendant le procès du Président islamiste déchu, Mohamed Morsi, le 16 mai 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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