Pénurie d’eau à Gaza : une calamité « pas si lointaine »
GAZA – Alors que la chaleur du désert enveloppe la petite ville de Beit Hanoun, le calme relatif de la petite ville du nord-est de la bande de Gaza est interrompu par le tintement lointain de « It’s a small world after all ». Un camion parcourt les rues étroites de la ville aride, tandis que son haut-parleur diffuse la petite musique, pour la plus grande joie des enfants et des adultes qui accourent pour l'accueillir. Mis à part l'état délabré de certains des bâtiments aux alentours, cette scène n'a rien de tout à fait singulier, d'autant plus que l'été approche, si ce n'est le constat que ce camion n'est pas là pour vendre des crèmes glacées, mais plutôt pour distribuer de l'eau.
Toute la bande de Gaza est affectée par une pénurie chronique d'eau potable, complétée et intensifiée par une crise énergétique correspondante qui existait bien avant la guerre de cinquante-et-un jours contre Israël, qui s'est déroulée en juillet et en août derniers. La guerre et ses conséquences ont néanmoins influé sur ce qui constituait déjà une urgence grave et omniprésente en aggravant considérablement la situation, et une calamité à part entière pourrait advenir dans un avenir pas si lointain.
Comme la plupart des problèmes qui affligent la bande de 360 kilomètres carrés coincée entre l'Égypte et Israël, la question de l'eau est très complexe et difficile à séparer d'une série d'autres problèmes. Toutefois, la question de l'eau à Gaza est essentielle pour comprendre les déficits structurels sous-jacents qui jouent un rôle important dans le conflit.
James W. Rawley, coordonnateur spécial adjoint des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, a posé le problème comme suit : « Nous avons besoin d'un soutien international pour reconstruire Gaza, pour réparer les dommages [infligés] au cours de l'été, mais nous avons également besoin d'un soutien international pour traiter les questions de développement sous-jacentes, qui se rapportent en bref à deux choses : l'eau et l'énergie. »
Il s'agit en effet de deux des problèmes les plus urgents qui touchent la population de Gaza au quotidien. Alors que des engagements internationaux considérables ont été pris pour la reconstruction de Gaza, notamment lors de la conférence du Caire en octobre dernier, à l'issue de laquelle 4 milliards de dollars avaient été promis pour réhabiliter les logements, beaucoup moins d'actions sont entreprises face aux déficits structurels de Gaza.
La crise de l'eau est définie et exacerbée par trois facteurs : le manque de capacités d'infrastructure, l'augmentation de la demande et la surexploitation de l'infrastructure existante, et une pénurie d'énergie. Chaque problème en chevauche un autre et tous sont en outre synthétisés par le système de distribution de l'eau en lui-même, dévasté lors du conflit qui a sévi l'été dernier. Le résultat est qu'aujourd'hui, 95 % à 97 % de l'eau de Gaza n'est pas potable et que, selon les estimations des Nations unies, il sera impossible de vivre à Gaza d'ici 2020 si des mesures ne sont pas prises immédiatement pour inverser les tendances actuelles.
La bande de Gaza tire toutes ses ressources en eau d'une seule et même source : l'aquifère côtier de Gaza, une formation géologique naturelle souterraine située le long de la côte méditerranéenne. Au cours des dernières décennies, la population de Gaza a connu une croissance exponentielle, et 51 % de ses habitants ont moins de 15 ans. La demande accrue de logements, associée à un manque de matériaux de construction dû au blocus israélien, est à l'origine de la concentration des habitants dans un nombre limité de centres de population. Par conséquent, l'aquifère est surexploité et pourrait ne plus servir au cours des deux prochaines années.
La surexploitation de l'aquifère donne lieu à un nouvel avertissement, potentiellement plus désastreux : l'aquifère est lui-même en train de couler.
Auparavant, l'eau affluait vers la mer depuis l'est, emportant avec elle les déchets de grands centres de population allant jusqu'à la vallée du Jourdain. Selon le Service des eaux des municipalités côtières (SEMC), l'aquifère a coulé de 40 mètres au cours des dernières décennies en raison de la surconsommation, caractérisée par un taux d'extraction trois fois plus élevé que le taux de recharge de l'aquifère. Étant donnée la baisse du niveau de l'aquifère, ce dernier reçoit à la fois l'eau salée depuis la mer à l'ouest et les écoulements des fosses septiques locales ou les engrais des terres agricoles (chimiques et biologiques) provenant de l'est. De par sa teneur en eau salée, la plupart de l'eau de Gaza est trop salée pour être bue ou pour un usage agricole. De même, l'eau salée détériore rapidement les lignes de pompage de Gaza, entravant ainsi la capacité même du gouvernement à distribuer l'eau.
La pollution est à l'origine d’une teneur astronomiquement élevée en chlorure de fer, les taux dans les échantillons prélevés dans les puits pouvant atteindre 3 000 milligrammes par litre (mg/l), bien au-delà de la limite de 250 mg/l imposée par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Les échantillons prélevés dans 230 puits de Gaza ont révélé des taux tout aussi alarmants d'azote, atteignant 300 à 400 mg/l, ce qui dépasse largement la limite de 70 mg/l fixée par l'OMS.
Malgré les dangers sanitaires élevés et le risque d'endommager de façon permanente la seule ressource en eau de la bande de Gaza, les responsables affirment ne pas avoir d'autre choix que d'utiliser l'eau de l'aquifère.
« Le problème concerne la qualité et la quantité » d'eau, explique un chimiste travaillant au Bureau régional du SEMC à Khan Younès. « Chaque personne a besoin de 70 à 90 litres d'eau par jour, et il faut au moins 150 litres pour couvrir ce besoin. » Il n'existe tout simplement pas d'autre site capable de répondre à ce genre de demande.
« Lorsque l'eau est salée, elle endommage les principaux appareils de la maison, la machine à laver, les robinets, tout dans la maison. Il est également impossible de se doucher ou d'irriguer avec cette eau. C'est donc un cycle infernal. On ne peut pas utiliser l'eau salée, car cela endommagerait les appareils ménagers », a expliqué à Middle East Eye Mahan Rashar, directeur général adjoint du SEMC. « Les gens ne peuvent pas boire cette eau, mais s'ils l'utilisent pour d'autres activités, elle occasionne des dégâts. C'est un désastre. 95 % de l'eau est polluée [...] C'est comme extraire de l'eau d'un cadavre. »
Les familles tentent de compenser cette pénurie en achetant de l'eau à des entreprises privées, qui la livrent à l’aide de camions. L'eau des entreprises privées est chère ; elle est produite par conversion d'eau saumâtre (une eau avec une salinité légèrement plus faible que l'eau de mer) dans de petites usines de dessalement non réglementées, disséminées dans toute la bande de Gaza. Selon un rapport récent de l'ONU, la qualité de l'eau potable produite de cette manière est discutable.
Depuis la fin de la guerre, les municipalités locales ont commencé à livrer de l'eau à l'aide de fourgonnettes et de camions-citernes, en surexploitant les puits qui sont restés intacts à l'issue du conflit.
MEE a rencontré Ramsey Ahmed, assistant du directeur général de la municipalité de Gaza, alors qu'il supervisait la reconstruction du réservoir d'al-Mutar. « Nous essayons de surexploiter les puits et d'en construire de nouveaux. Mais nous n'avons pas suffisamment de matériaux et il y a un problème avec l'électricité. Nous n’avons pas de capacité d'accumulation. Le problème consiste donc à être en permanence en mesure de travailler et de distribuer l'eau. »
Le système d'eau est davantage accablé par le creusement de puits illégaux à proximité des puits opérationnels par des agriculteurs pauvres.
Mohammed, 40 ans, cultive des fruits et des légumes dans la ville de Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza. Pour un agriculteur gazaoui, il s'en sort remarquablement bien : il produit une culture diversifiée sur une assez grande bande de terre. Pourtant, il est à la fois révélateur et inquiétant pour l'avenir de Gaza de constater que même un agriculteur relativement aisé pourrait ne pas être en mesure de maintenir son entreprise à long terme en raison du coût de l'importation de l'eau et des pénuries d'électricité. Il est de plus en plus inquiet quant à sa capacité à préserver ses productions, car malgré les instructions qu'il reçoit de la part d'ONG internationales sur les techniques de conservation, il n'a ni les capacités, ni les matériaux de construction nécessaires pour y parvenir. « De mauvais jours sont à venir, je pense », a indiqué Mohammed à MEE.
Suite à une année de forte pluviosité dans la région, le besoin d'une source stable d'eau potable ne fera qu'augmenter, les réseaux hydrauliques et l'approvisionnement étant mis à rude épreuve au cours des mois d'été.
Israël a apporté une aide en fournissant cinq millions de litres d'eau supplémentaires à la bande de Gaza, un engagement récemment doublé pour passer à dix millions de litres. La question de savoir comment apporter cette eau aux habitants a cependant été accentuée par les dommages causés au système hydraulique pendant la guerre de juillet et août dernier (estimés à 33,38 millions de dollars). Le réservoir d'al-Mutar, où Israël s’approvisionne en eau supplémentaire, a également été endommagé pendant la guerre ; de ce fait, l'Autorité de l'eau palestinienne ne peut pas encore pomper l'eau pour la distribuer aux résidents. Vingt-six puits ont ainsi été endommagés ou complètement détruits, tout comme deux usines de traitement et six centres de distribution. Selon un rapport du SEMC, plusieurs zones autour de la bande de Gaza pourraient nécessiter un réaménagement total de leur réseau d'eau, suite à un afflux de réfugiés qui se sont déplacés vers ces zones au cours de la guerre et qui sont incapables de repartir en raison de la perte de leur foyer lors du conflit.
C'est le cas dans les camps de réfugiés situés dans la partie est de Khan Younès, où les habitants vivent dans des logements collectifs improvisés.
Hatem Abou Taha Eltayef, directeur du bureau régional du SEMC à Khan Younès, a évoqué auprès de MEE les difficultés rencontrées pour approvisionner les réfugiés en eau : « Khan Younès abrite environ 230 000 habitants, qui occupent approximativement 5 700 kilomètres carrés. Pendant la dernière guerre à Gaza, environ 100 000 habitants de la partie orientale de Khan Younès ont subi des dommages, [dont] 80 % se sont déplacés à Khan Younès pendant la guerre, à cause de la guerre, de l'agression, etc. Mais ces zones ne sont pas préparées à accueillir des personnes. Il faut installer des toilettes, il faut installer des douches, il faut les approvisionner en eau et en nourriture, et cela a été un casse-tête considérable pour la municipalité et les autres intervenants sur ce site. »
Une stratégie pour faire face à la crise de l'eau à Gaza a été mise en place il y a un certain temps. La première priorité est la construction d'une usine de désalinisation permanente à Gaza. Les projets de construction d'une usine remontent à 2004, mais celle-ci doit encore être construite. Aujourd'hui, le site de prédilection pour l'usine est exploité en tant que bassin de nettoyage des eaux usées, qui traite 15 000 mètres cubes de matériaux d'épuration, bien qu’il soit conçu pour en traiter seulement 13 000 . L'état de délabrement des matériaux signifie que des agents pathogènes s'introduisent dans l'aquifère en passant par le sable, et de plus en plus, l'Autorité de l'eau à Khan Younès n'a pas d'autre choix que de déverser l'excès d'eaux usées dans la mer, portant ainsi atteinte à la vie marine locale.
« Je n'ai plus nagé dans la mer depuis neuf ans », a déclaré Abou Eltayef.
« Une usine de cette taille nécessite une situation politique stable à Gaza », a indiqué Mahan Rashar, directeur général adjoint du SEMC. « Au-delà de la volonté des donateurs de payer, il y a aussi la crise de l'énergie qui nous touche à Gaza [...] Comment faire tourner une usine sans électricité et sans personnel sur le terrain ? »
Des projets sont en cours pour construire trois petites usines de dessalement temporaires sur trois sites distincts à travers la bande de Gaza ; la première de ces usines devrait être achevée l'année prochaine. Il existe également des projets de construction d'un gros bassin de rétention d'eau, qui, selon les responsables, permettrait à la fois de résoudre le problème de l'écoulement et accorder à l'aquifère une période de repos et de reconstitution tant nécessaire. Le SEMC travaille actuellement en partenariat avec des organisations comme la Banque mondiale, KFW et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), entre autres, pour la reconstruction et l'entretien du réseau hydraulique. En raison du blocus israélien, les matériaux nécessaires à la reconstruction sont cependant très difficiles à trouver, et celle-ci se fait petit à petit.
« Les affaires sont très lentes », a déclaré Bahar, ingénieur de chantier, lors de la reconstruction d'un puits à eau surplombant la ville de Gaza. Interrogé au sujet du manque de financement pour des projets d'infrastructure à long terme, Mohammed, son assistant de 24 ans, a haussé les épaules, indiquant à MEE qu'il pensait que d'ici deux ans, il reviendrait ici pour reconstruire une nouvelle fois ce même puits.
Traduction de l'anglais (original) par VECTranslation.
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