L’âge de pierre récurrent à Gaza
Le 8 juillet marque le premier anniversaire du début de l’opération Bordure protectrice, la transformation de nombreuses portions de la bande de Gaza en décombres par l’armée israélienne.
Selon les Nations unies, 2 251 Palestiniens ont été tués durant l’assaut ; la plupart d’entre eux étaient des civils, et 551 étaient des enfants. En Israël, six civils ont péri.
Etant l’une des régions les plus densément peuplées du monde, Gaza semble aussi avoir un taux exagérément élevé de tragédies par kilomètre carré. En effet, si on regarde la chronologie de l’histoire de Gaza, on est bien en peine de repérer quelque anniversaire d’événement heureux plutôt que désastreux.
Il y a une semaine et demie, par exemple, avait lieu le neuvième anniversaire du début de l’opération israélienne Pluies d’été, du 28 juin 2006, qui avait été suivie de l’opération Nuages d’automne. La convergence météorologique a été à l’origine de la mort de plus de 400 Palestiniens.
Les prévisions pour la suite de l’année comprennent les anniversaires de l’opération Pilier de défense — qui a débuté le 14 novembre 2012 et qui a laissé près de 200 cadavres palestiniens derrière elle — et de l’opération Plomb durci, lancée le 28 décembre 2008. Ce deuxième projet a réduit la population de la bande de Gaza d’environ 1 400 individus, principalement des civils.
Le 15 mai est, bien entendu, un autre grand jour, puisque c’est l’anniversaire de la catastrophe qui a ouvert la voie vers bien d’autres : la mise en place par la force de l’Etat d’Israël en 1948 sur des terres palestiniennes. D’emblée, approximativement 10 000 Palestiniens ont été tués et l’on a fait de 750 000 autres des réfugiés, grâce à la politique d’épuration ethnique sur laquelle l’Etat a été fondé.
Pendant tout ce temps, la facilité d’Israël à manipuler la chronologie lui a permis de s’assurer que l’histoire contemporaine de Gaza reste débordante d’atrocités.
Prenons l’exemple de l’opération Plomb durci, pour laquelle on a fait croire au monde entier que le gigantesque bain de sang dans l’enclave littorale palestinienne était sans aucun doute possible de la faute du Hamas, à qui l’on a reproché d’avoir rompu le cessez-le-feu qui était en place à ce moment-là.
Il semble que la détermination du Hamas à terroriser les civils israéliens à l’aide de fusées, qui étaient en grande partie inefficaces, ait poussé l’organisation à effrontément mettre en danger la vie de son propre peuple, qui est devenu un dommage collatéral acceptable de ce qui était, pense-t-on, une légitime manœuvre israélienne de représailles.
Mais ce que cette version tronquée des événements a avantageusement dissimulé, c’est que, dans le mois qui a précédé l’opération Plomb durci, Israël avait rompu le cessez-le-feu avec le Hamas, provoquant des représailles du Hamas à coups de fusées, qu’Israël a ensuite placées en position numéro un dans la chronologie des événements de l’opération Plomb durci.
L’an dernier également, l’opération Bordure protectrice a été annoncée comme étant menée en représailles contre des tirs de fusées depuis Gaza. Ce qui manque cependant dans la version d’Israël, c’est que ladite agression avait elle-même été perpétrée en réponse aux actions menées par Israël en Cisjordanie, où la disparation et le meurtre de trois adolescents israéliens avaient été exploitées à des fins de meurtres politiques.
Comme le décrit le site Mondoweiss, les soldats israéliens ont « saccagé des centaines de maisons et même des universités, tuant sur leur passage une demi-douzaine de civils et arrêtant bien plus de 500 personnes qui n’avaient rien à voir avec la disparition ou le meurtre des ados israéliens ».
Le lendemain du lancement de l’opération Bordure protectrice, un certain Amos Regev a publié un article dans le journal Israël Hayom, au titre engageant : « Ramenons Gaza vers l’âge de pierre ». A première vue, il semble se placer dans la lignée de la rhétorique militaire israélienne traditionnelle, qui a déjà inclus des menaces de « remonter vingt ans en arrière au Liban » et d’autres formes de harcèlement chronologique.
Mais apparemment, Amos Regev avait pensé son titre « non pas dans le sens de détruire tous les logements et infrastructures », mais plutôt dans celui de l’élimination de « toutes les fusées, les bombes et les armes à feu » à Gaza par une « importante concentration de forces », qui n’impliquerait « pas de frappes localisées à objectif limité ni de frappes chirurgicales ». Selon les conjectures d’Amos Regev, ceci reléguerait le Hamas à « une situation dans laquelle le plus qu’il puisse faire serait de jeter des pierres ».
Quiconque accorde un minimum d’attention à la réalité aura bien sûr conscience qu’un arsenal à base de pierres ne rendrait pas l’existence des Palestiniens moins pénible d’un iota. N’oublions pas les célèbres ordres donnés par Yitzhak Rabin aux soldats israéliens de briser les os des participants de la première intifada — des personnes qui étaient équipées de rocailles, pas de roquettes.
Dans un article de Haaretz datant tout juste du week-end dernier et intitulé « Condamné à mort pour jet de pierres », le journaliste israélien Gideon Levy dénonce la mort de l’adolescent palestinien Mohammad Kosba, fusillé par un colonel israélien. M. Levy constate que Mohammad Kosba est le troisième de sa fratrie à périr sous les coups de feux de soldats israéliens pour avoir perpétré des attaques en jetant des pierres. Le premier frère à mourir était âgé de dix ans ; il ne reste qu’un frère.
Dans le même temps, environ vingt jours après la performance d’Amos Regev dans Israel Hayom, le Daily Beast a utilisé une variante de sa métaphore sous la forme de ce gros titre : « La campagne d’Israël pour renvoyer Gaza vers l’âge de pierre ».
Ecrivant depuis la ville de Gaza, l’auteur de l’article constate que, « [b]ien que l’objectif annoncé de l’offensive d’Israël soit de mettre fin à la menace des fusées et des missiles lancés depuis Gaza ainsi que de détruire le système de tunnels souterrains que le Hamas a construits dans le cadre de sa campagne de guérilla, ce sont des civils qui ont principalement été tués, ou qui ont vu leurs maisons, commerces et communautés anéantis.
Et l’âge de pierre est, semble-t-il, parti pour durer. Dans le cadre de la série d’articles de Haaretz sur l’anniversaire de l’opération Bordure protectrice, Khaled Diab écrit au sujet d’une Gaza encore en ruines, où « les gravats sont une des rares valeurs montantes d’une économie épuisée et assiégée ». Pour cinq ou six dollars par éreintante journée de onze heures, des personnes désespérées poussent des chariots de gravats jusqu’à un broyeur industriel, qui les recycle en graviers à des fins de reconstruction.
Mais, dans l’éventualité où Gaza serait un jour reconstruite, Israël a son propre lot de compétences en matière de recyclage.
- Belen Fernandez est l’auteure de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work, publié aux éditions Verso. Elle est collaboratrice à la rédaction du magazine Jacobin.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteure et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo: un garçon palestinien tenant une pancarte avec l’inscription « Levez le siège de Gaza » lors d’une manifestation du côté gazaoui du poste-frontière d’Erez entre Israël et la bande de Gaza (AFP)
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