La forteresse israélienne : les hauts et bas de la vente d’armes et de la cybersurveillance
L'industrie militaire en Israël a toujours eu ses hauts et ses bas. Après l'occupation de 1967 et l'embargo français sur les armes destinées à Israël, des investissements massifs de l'État dans la production d'armes ont fait de cette industrie l'un des plus grands secteurs industriels d'Israël.
Le ministère israélien de la Défense achète beaucoup de ces armes, mais les exportations sont une source essentielle de financement pour l'industrie. Jusqu'aux années 1980, l'industrie de l'armement israélienne se distinguait moins par sa qualité que par sa volonté d'écouler ses productions en violant des embargos sur les armes et en approvisionnant des milices et des régimes tyranniques.
La fin de la guerre froide et le processus de paix d'Oslo ont été un moment difficile pour l'industrie de l'armement israélienne, mais la reprise est survenue rapidement avec le déclenchement de la deuxième intifada en 2000. Les exportations d'armes ont également augmenté dans la course aux armements après les attentats du 11 septembre 2001, et « la guerre contre le terrorisme » lancée aux États-Unis par le président Bush a été l'occasion d'une juteuse opportunité pour les entreprises israéliennes.
Testés sur les Palestiniens
Dans les années qui suivirent, l'avantage des entreprises israéliennes dans le secteur de l'armement est devenu incontestable. Les entreprises israéliennes pouvaient revendiquer le fait que leurs équipements étaient testés sur des personnes réelles, car les technologies militaires nouvellement développées ont tout d'abord été vendues à la police militaire israélienne et utilisées dans les Territoires palestiniens occupés (TPO). L'utilisation des TPO comme laboratoire pour les armes israéliennes a été étudiée de près par Naomi Klein, Neve Gordon, et dans le film The Lab, et cela n'a pas été démenti par les autorités israéliennes. Les donneurs d'ordre israéliens se sont ouvertement vantés du fait que les opérations militaires donnaient d'indéniables avantages commerciaux aux entreprises d'armement israéliennes.
Le pic des exportations d'armes israéliennes semble s'être produit en 2009. En décembre 2008, Israël a lancé l'Opération plomb durci. Neuf soldats israéliens sont morts dans les combats, et 1 398 Palestiniens. Après l'attaque, l'armée israélienne a organisé une exposition spéciale des nouvelles technologies utilisées dans l'attaque et les ventes d'armes d'Israël ont grimpé en flèche dans les années 2009-2010. Elbit Systems, qui est la plus grande entreprise privée israélienne de productions d'armements, a réalisé ses profits record en 2009.
Les gouvernements intéressés à contrôler et à contenir de larges populations démunies et revendicatives sont devenus les plus gros clients d'armes israéliennes : le Brésil, l'Inde et le Mexique sont parmi les premiers. Les ventes d'armes à l'Afrique continuent d'augmenter, même si le ministère israélien de la Défense refuse de nommer précisément les pays de ce continent auxquels il vend des armes, et refuse de commenter les preuves publiées sur les ventes d'armes au Sud-Soudan.
Promesses non tenues
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les armées et les grandes compagnies manifestent de l'intérêt pour une technologie testée dans des conditions réelles, et préfère cela à des produits de fabricants d'armes de pays en paix. Cependant, il faut se demander ce que cette technologie est censée exactement réaliser. En d'autres mots, l'expérience a-t-elle été concluante ?
Lorsque le général de brigade Gal Hirsch a quitté l'armée en 2006, il a lancé - comme beaucoup d'autres officiers israéliens à la retraite - sa propre entreprise d'armements. Hirsch a vendu du matériel militaire au gouvernement géorgien, lequel n'a cependant guère été capable de ralentir l'avance de l'armée russe dans la guerre entre la Géorgie et la Russie en 2008. C'était un rappel pour les clients potentiels d'armes israéliennes, que l'armée israélienne n'a pas été engagée dans une guerre conventionnelle depuis 1973, et que ses technologies ont été perfectionnées pour une utilisation contre les civils palestiniens, pour la plupart non armés. Ce ne sont pas des technologies servant à gagner des guerres mais à dominer des populations civiles.
Même l'objectif de dominer totalement une population civile échappe à l'armée israélienne. L'attaque de 2008-2009 n'a pas assuré la domination israélienne sur Gaza. Une autre attaque a été lancée en 2012, et une autre en 2014. Le dernière s'est produite il y a un an, le 8 juillet 2014, et s'est conclue par une amère déception côté israélien. Malgré les destructions massives et 2 104 morts palestiniens, l'armée israélienne n'a pu forcer le gouvernement du Hamas à signer un cessez-le feu et elle a dû poursuivre ses attaques durant 51 jours, l'une des plus longues guerres dans l'histoire d'Israël.
L'armement de pointe n'a pas empêché la perte de 65 soldats israéliens et quatre civils tués dans les combats, et n'a pas empêché un énorme dommage pour l'économie israélienne, principalement dans le secteur du tourisme.
En effet, la Grande-Bretagne et la France ont annulé leur participation dans les foires aux armements qui ont suivi l'opération militaire de 2014, et les entreprises israéliennes ont commencé à se faire du souci sur un embargo possible de leurs armes, une indication que l'approche israélienne de l'usage de la force brutale est en train de perdre en popularité, même parmi certains des plus grands exportateurs d'armements à l'échelle mondiale.
Au début de l'année 2015, le ministère israélien de la Défense a publié des chiffres attestant que les ventes d'armes israéliennes sont en déclin.
Comme l'image de la « forteresse israélienne » se fissure, les clients potentiels d'Israël sont obligés de se rendre compte qu'aussi avancée qu'elle puisse être, la technologie militaire israélienne ne peut être un substitut à un processus politique. Même les armes les plus sophistiquées ne parviennent à réduire au silence la population palestinienne vivant sous occupation.
Guerre cybernétique
Le nouveau mot préféré du Premier ministre Netanyahou est : « cyber ». Il en parle très souvent comme du nouveau terrain pour l'avance technologique israélienne. Bien que le mot « cyber » n'a pas nécessairement de connotations militaires, il en a certainement en Israël.
En 2012, Netanyahou a mis en place un « bureau national pour la cybernétique » afin de promouvoir les entreprises de sécurité privées et encourager leur participation dans ce domaine technologie en particulier. L'armée israélienne installe de son côté un nouveau « commandement cybernétique », qui doit devenir opérationnel en 2017. Il a été révélé que la fameuse unité israélienne de renseignement « 8 200 » est en fait une unité de cyber espionnage. Une lettre signée par 34 soldats de l'unité a révélé que l'unité utilise ses outils technologiques pour collecter des informations privées sur les Palestiniens afin de les soumettre au chantage et les forcer à collaborer avec le renseignement israélien. En effet, 2014 est la première année où les exportations de produits « cybernétiques », qui ont atteint 6 milliards de dollars, ont dépassé les exportations d'armes d'Israël qui ont été de 5,66 milliards de dollars.
Les investissements massifs dans les technologies de surveillance, de piratage et de cyber sécurité indiquent un changement de direction dans la philosophie de l'industrie de l'armement en Israël. Le secteur de l'armement n'a pas été en mesure de vendre les outils garantissant une victoire militaire dans les conflits armés, et il cherche à se spécialiser dans la vente de moyens pour la répression. Les TPO restent le laboratoire israélien de test, et les citoyens des gouvernements qui achètent les nouveaux produits cybernétiques des sociétés israéliennes devraient se demander si leurs gouvernements ne souhaiteraient pas utiliser contre eux les mêmes mécanismes de contrôle que ceux utilisés par Israël sur les Palestiniens.
Shir Hever est un étudiant de troisième cycle à l'université Libre de Berlin, et un économiste auprès du Centre d'information alternative.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Un technicien de la société Elbit Systems utilise une station de contrôle au sol servant à piloter des drones, lors d'une présentation devant les médias des systèmes réalisés par cette société internationale, à Haïfa le 25 février 2010 (AFP)
Traduction de l’anglais (original) par Lotfallah.
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