L’UE doit ouvrir des voies légales et sûres vers l’Europe pour résoudre la crise des réfugiés
Le 20 juillet, le Conseil européen, sous la nouvelle présidence luxembourgeoise, s’est mis d’accord sur un projet de décision visant à « partager le fardeau » des migrants en établissant un mécanisme de relocalisation temporaire et exceptionnelle pour les personnes nécessitant manifestement une protection internationale (Syriens et Érythréens), depuis les « États en première ligne » que sont l’Italie et la Grèce vers d’autres États membres.
Les États membres de l’Union européenne (UE) ne se sont entendus que sur la relocalisation de 32 256 réfugiés au lieu des 40 000 envisagés auparavant. Cela prouve que la solidarité entre les États est un concept qui existe uniquement dans l’article 80 du traité de Lisbonne et non dans la pratique. D’autre part, le manque de volonté en ce qui concerne l’aide aux demandeurs d’asile est devenu une caractéristique déterminante de l’« européanité » commune, avec des frontières ethniques reposant sur l’exclusion de l’Autre à la peau mate ou noire.
Ces derniers mois, une pléthore de réponses mal réfléchies et plutôt improvisées ont été apportées au problème du nombre croissant de personnes qui meurent en Méditerranée en essayant d’atteindre la sécurité en Europe. La crise, qualifiée dès son apparition de « crise des migrants » plutôt que « crise des réfugiés », même si 50 % des personnes montant à bord des bateaux sont des Syriens et des Érythréens qui se voient généralement accorder l’asile en Europe à hauteur de 90 %, est loin d’être terminée : tant que c’est l’été et que la mer est calme, toujours plus de personnes risqueront leur vie à la recherche d’une vie meilleure.
En les qualifiant de « migrants », l’Europe justifie sa réponse largement militaire et exploite habilement la zone grise qui existe entre le droit de demander l’asile inscrit dans l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et le principe de non-refoulement stipulé par l’article 33 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
Le 27 mai, la Commission européenne a présenté son premier dispositif de mise en œuvre comprenant, entre autres, une proposition visant à déclencher la relocalisation d’urgence de 40 000 personnes « qui ont manifestement besoin d’une protection internationale », leur faisant quitter l’Italie et la Grèce au titre de l’article 78(3) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), et une recommandation proposant un programme de relocalisation à l’échelle européenne offrant 20 000 places aux réfugiés à l’extérieur de l’UE.
Le 25 juin, le Conseil européen a conclu que les États membres devraient se mettre d’accord par consensus sur la répartition de ces personnes en se fondant sur la population desdits pays, leur PIB, le nombre de demandes d’asile enregistrées et le nombre de réfugiés déjà réinstallés sur la période 2010-2014, ainsi que le taux de chômage.
Le 9 juillet, les États membres ont convenu de la réinstallation de 20 000 personnes dans l’UE, un chiffre qui a déjà été dépassé.
En revanche, concernant la relocalisation de 40 000 demandeurs d’asile, les ministres ne sont pas parvenus à un accord. Le soi-disant « partage du fardeau » a également été abordé le 20 juillet quand les ministres de l’Intérieur ont discuté du dispositif de mise en œuvre de l’agenda européen en matière de migration qui a été rédigé en mai. Le Conseil adoptera formellement la décision une fois que le Parlement européen aura donné son avis, attendu en septembre. Il convient de souligner que les décisions du Conseil ne sont pas contraignantes et peuvent être adoptées volontairement par les États membres, tandis que les propositions de la Commission ont force obligatoire.
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a exhorté les présidences luxembourgeoise et néerlandaise à diriger la mise en œuvre de l’agenda européen sur les migrations, en mettant notamment l’accent sur les mesures visant à assurer des conditions d’accueil adéquates pour les personnes secourues ; la mise en place d’un mécanisme de réponse efficace par les États membres, y compris la relocalisation ; le projet à l’échelle européenne de réinstallation ainsi que d’autres alternatives légales aux dangereuses traversées maritimes ; et l’examen des causes profondes des déplacements forcés.
Le programme de relocalisation reste la mesure la plus controversée. Il y a là non seulement un manque total d’imagination et de leadership politique, mais aussi un manque de bon sens. Dans la pratique, seuls 3 % des demandeurs d’asile sont renvoyés dans le pays européen où ils sont arrivés (par exemple, ceux qui viennent en Italie par bateau et ont réussi à gagner l’Allemagne sont généralement autorisés à y rester). Les personnes qui ont des liens familiaux ou des liens historiques, linguistiques et autres dans certains États membres devraient être autorisés à aller dans ces pays.
D’autre part, il est évident que les gens ne resteront pas dans les pays comme Malte ou la Grèce où il n’y a aucune infrastructure, aucune opportunité et, surtout, aucune volonté politique de la part de ces sociétés d’accueil de les y voir reconstruire leur vie. Dans ce cas, les conditions d’accueil devraient être améliorées et des programmes d’intégration devraient être élaborés. Alors seulement, les migrants et les réfugiés pourront décider d’y rester.
En outre, l’idée d’examiner les causes profondes des migrations forcées – ce qui impliquerait, par exemple, que l’Europe assume la responsabilité des échecs de ses politiques étrangères – a été remplacée par des propositions dangereuses sur le plan politique et tout simplement inapplicables : la création de « points névralgiques » de Frontex et du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) dans les pays instables connus pour leur piètre bilan des droits humains, comme le Niger.
Ces « points névralgiques » sont envisagés comme des installations de détention à court terme qui permettraient le départ rapide de ceux qui sont jugés indignes de protection. En effet, l’Union européenne craint que les opérations de recherche et de sauvetage relativement étendues – conçues en réponse à la tragédie à laquelle nous avons assisté en avril lorsque des centaines de personnes se sont noyées – puissent agir comme un soi-disant « facteur d’attraction » et inciter davantage de personnes à tenter cette dangereuse traversée.
La logique sous-jacente est donc de sauver des gens pour ensuite les renvoyer dans leur pays d’origine ou n’importe où hors d’Europe.
On pourrait alors demander si l’Europe sauve réellement des vies ? Un groupe de demandeurs d’asile érythréens a parfaitement illustré les conséquences tragiques du refoulement : l’asile leur a tout d’abord été refusé en Israël, puis ils ont « accepté » d’être envoyés dans un quelconque pays d’Afrique orientale, pour finir décapités par le groupe EI en Libye lorsqu’ils ont une fois de plus tenté de sauver leur vie en prenant cette fois la route de la Méditerranée centrale vers l’Europe.
Ils sont nombreux, à l’instar de ces malheureux Érythréens – qui étaient certainement des réfugiés et non de simples migrants –, à faire de multiples tentatives pour se mettre en sécurité, souvent en vain. Nous ne saurons jamais combien ils sont. Nous ne connaîtrons jamais leurs noms. Nous n’apprendrons jamais quels sont leurs peurs, leurs rêves et leurs aspirations. Ils périront en traversant le Sahara. Ils mourront dans les prisons libyennes ou dans les camps de torture du Sinaï. Ou ils se noieront dans la Méditerranée pendant que les dirigeants européens se chamaillent à Bruxelles à propos de « quotas » et de « solidarité ».
La décision de l’Europe de ne pas ouvrir de voies légales et sûres en Europe et son refus de lever l’obligation de visa pour les ressortissants de pays en crise, comme la Syrie, a des conséquences morales et politiques. Qui décide de qui va mourir sur le chemin vers l’Europe ? Nous.
Le déplacement trop long et souvent brutal des demandeurs d’asile en provenance des pays d’Europe du Sud vers le Nord est un coup porté à la fois au concept de régime d'asile européen commun (RAEC) et à l’espace Schengen. La surveillance en mer qui pourrait se transformer en action militaire, sous réserve de la décision du Conseil de sécurité des Nations unies, non seulement violerait les lois relatives aux conflits armés (les passeurs sont des civils et non une cible militaire), mais pourrait aussi potentiellement alimenter les réponses extrémistes dans une région déjà au bord de l’explosion ; en d’autres termes, désigner les passeurs comme l’ennemi peut devenir une prophétie autoréalisatrice.
Toutefois, les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés ne sont pas une menace pour la sécurité de l’Europe. La sécurisation et la militarisation sont l’expression de la politique de l’Europe, qui, au nom de gains politiques viciés et à court terme, ferme ses portes aux personnes fuyant les violations des droits de l’homme.
- Dr Natalia Paszkiewicz est coordinatrice de projets à l’IARS. Ses études universitaires étaient centrées sur l’anthropologie, les réfugiés et la politique sociale. Elle travaille dans le secteur de l’immigration depuis plus de dix ans, à la fois au Royaume-Uni et à Malte.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des migrants se rendant dans les pays européens marchent sur les voies ferrées d’une gare à Tabanovce, poste frontalier entre la Macédoine et la Serbie, le 16 juillet 2015.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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