Iran : une nation coupable
Les policiers sont les seuls inconnus auxquels vous pouvez faire confiance. Voilà ce que je répète à mes enfants depuis qu’ils sont petits, mais il semble que ce ne soit plus le cas aujourd’hui en Iran.
Un policier, sa voiture ou sa moto peut paraître inquiétant aux yeux d’une grande majorité des Iraniens. Non pas que les policiers se comportent de manière brutale envers la population, non, mais parce que chaque Iranien que vous croisez fait quelque chose d’illégal.
Commençons cette exploration de la culpabilité iranienne par les antennes paraboliques. Elles sont présentes sur la quasi-totalité des toits ou des balcons à Téhéran et dans de nombreuses autres villes. Même les villages reculés sont parsemés de disques blancs. Et ceci malgré le fait que, en vertu des lois de la République islamique, il est illégal de posséder ou d’utiliser une antenne parabolique.
La résolution interdisant les paraboles a été approuvée par le parlement en 1994 et transmise au gouvernement l’année suivante pour sa mise en œuvre. La police devait sanctionner tout contrevenant de manière appropriée.
En conséquence, de temps en temps, nous, les Iraniens, voyons et lisons que la police et d’autres agences de maintien de la discipline ont perquisitionné les maisons d’un quartier, puis confisqué et détruit leurs antennes paraboliques.
Donc, toute personne qui possède et utilise ces paraboles transgresse la loi, mais les autres paraboles qui continuent de garnir nos maisons et la désobéissance dont elles témoignent sont largement ignorées par le système judiciaire la plupart du temps.
Pourtant, les sentiments de culpabilité suscités par la violation des lois du pays conduisent à un affaiblissement de l’estime de soi et de l’esprit de recherche de la vérité des citoyens. Par conséquent, on devient plus tolérant envers les autres malfaiteurs.
De même, la population et le gouvernement restent divisés quant à la règle exigeant que les femmes couvrent leurs cheveux. La question du hijab n’est pas clairement expliquée dans le Coran, d’où l’introduction de consignes par les gouvernements islamiques comme celui de l’Iran.
Cette loi n’est que l’interprétation de la foi par l’État et, de ce fait, demeure un sujet de controverse.
Les femmes doivent se couvrir la tête et le corps à l’exception du visage, des mains et des pieds. Cependant, comment, et dans quelle mesure, les cheveux doivent être couverts a toujours été sujet à discussion.
Bien qu’un visiteur puisse sincèrement affirmer qu’il ou elle a constaté que les règles du port du hijab ne sont pas appliquées de manière très stricte en Iran, il n’y a aucune garantie que ce soit toujours le cas et, souvent, l’application diffère d’un endroit à l’autre.
Toute femme qui sort de chez elle, par conséquent, n’est pas absolument sûre de ne pas avoir de problème avec son hijab et, en fonction du lieu et de la situation, elle s’attend toujours à ce que la police des mœurs ou un citoyen conservateur lambda lui demande de replacer son hijab.
Ceci peut alors amener à se sentir coupable de la violation d’une loi, même si celle-ci n’est pas claire. Cela peut contribuer à l’anxiété qui mène à l’isolement social ou à la peur des autres.
Autre source de culpabilité chez les Iraniens : une rémunération inappropriée – c’est-à-dire, lorsqu’un salarié perçoit une rémunération qu’il pense ne pas mériter.
Laissez-moi vous expliquer : le bulletin de salaire d’un employé en Iran comporte divers éléments tels que la rémunération normale, les primes de qualifications, les indemnités de transports et de repas, les allocations familiales et tous les autres compléments de revenus.
Il existe deux éléments de plus, les « heures supplémentaires » et la « rémunération pour mission supplémentaire », qui indiquent si un salarié devrait être récompensé pour avoir effectué des heures supplémentaires ou des missions en dehors de son lieu de travail habituel.
Ces indemnités ne sont pas habituelles et sont souvent payées malgré l’absence d’heures supplémentaires ou de déplacements. Elles sont traditionnellement considérées comme un moyen d’aider des employés ayant besoin d’un coup de pouce financier.
L’employé qui reçoit cette récompense, même si les sommes sont souvent insignifiantes, doit attester que la mission ou le déplacement a été effectué en signant un document qui indique qu’il est resté plus longtemps ou est parti en voyage d’affaires.
En signant cette fausse déclaration, le salarié peut avoir mauvaise conscience et cela implique également qu’il n’a aucune envie de lutter contre d’autres types de corruption au travail.
Les paradoxes de la culpabilité affectent également les hauts responsables du pays. Facebook est bloqué ici en Iran, mais le ministre des Affaires étrangères iranien, Javad Zarif, l’utilise régulièrement et, selon certaines sources, il a près de 200 000 fans.
Il possède également un compte Twitter, un autre site bloqué dans le pays. Ainsi, une haute autorité islamique utilise des outils illégaux en étant présent sur les réseaux sociaux assez ouvertement, alors que techniquement, cela est considéré comme un crime.
Faire une demande de prêt peut aussi faire de vous un potentiel criminel.
Il existe un prêt relativement facile à obtenir pour les choses considérées comme des « produits nécessaires », c’est-à-dire pour acheter des appareils ménagers tels qu’un Frigidaire, marque répandue d’électroménager en Iran, ou une cuisinière.
Dans ce cas, le demandeur, en plus de fournir des documents généraux prouvant son identité, doit présenter une facture pro forma pour les appareils qu’il ou elle est sur le point d’acheter. Toutefois, il s’agit, comme beaucoup de choses, d’une simple formalité – le véritable but de l’opération étant l’argent.
Le magasin qui émet la facture pro forma et le demandeur ont tous deux enfreint la loi, ce que le personnel sait aussi très bien.
Enfin, il y a la culpabilité par association.
Pendant et après l’élection présidentielle controversée de 2009, un mouvement appelé le Mouvement vert, plus ou moins soutenu par au moins la moitié de la population de Téhéran, est apparu.
Quelques mois plus tard, cependant, lorsque le mouvement a été progressivement réprimé, les partisans de la ligne dure au pouvoir ont rendu tabou le fait de soutenir ou même de sympathiser avec le Mouvement vert.
Partout dans les médias, que ce soit à la télévision, à la radio et dans les journaux, les mots Mouvement vert ont été abandonnés et remplacés par le mot « complot ». Tout le monde dans le pays, même parmi ceux qui travaillent au sein des rédactions, étaient d’accord avec ce changement – et donc, une fois encore, la nation était divisée.
La télévision, ou plus exactement les médias officiels, ont commencé à qualifier le Mouvement vert de tentative de complot. Les partisans du Mouvement vert ont été contraints d’accepter ce nouveau titre. Un tel qualificatif est suffisant pour permettre au système d’évincer des éléments indésirables.
Donc, des millions de personnes se sont retrouvées à faire inconsciemment partie d’un crime majeur qu’elles n’avaient même jamais considéré comme un crime.
Il pourrait y avoir une certaine logique derrière le fait de regarder délibérément de l’autre côté face à de tels exemples de violation de la loi. Tout d’abord, les sentiments sous-jacents de culpabilité peuvent influencer notre ego et nous rendre plus accommodants et désintéressés. Cela peut entraîner un comportement de soumission.
La seconde raison pourrait bénéficier davantage encore à l’État. Fermer les yeux sur certains comportements lui donne la possibilité de les utiliser contre les non-conformistes en cas de besoin.
Par exemple, si quelqu’un en Iran est interviewé par les médias étrangers de temps en temps, même s’il n’existe aucune loi contre cette activité, l’État pourrait décider soudainement que d’autres activités illégales de l’individu, auparavant ignorées, sont désormais une priorité et méritent d’être examinées. Le domicile de cette personne pourrait être perquisitionné à point nommé et elle pourrait être arrêtée pour possession d’articles illégaux – ce qui serait parfaitement vrai.
- Dadbeh Gudarzi est le chroniqueur de MEE en Iran. Il écrit sous un pseudonyme.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des Iraniennes regardent les vagues s’écraser sur les rochers de la côte du golfe d’Oman dans la ville de Chabahar, au sud de l’Iran, le 12 mai 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].