La vie dans les bidonvilles du Caire
LE CAIRE – Le 26 août dernier, les forces de police égyptiennes ont fait irruption dans le bidonville de Sudan Nest, situé près du quartier de Dokki au Caire.
La police a évacué de force les habitants du bidonville et des bulldozers ont détruit les habitations de fortune devant les yeux de leurs propriétaires. Lorsque les habitants en colère ont essayé d’empêcher les démolitions, la police les a aspergés de gaz lacrymogène.
« Au moins, ceux qui sont en prison savent que leur souffrance finira un jour », a déclaré Oum Baraka, une résidente de Sudan Nest âgée de 55 ans. « Ils rêvent d’une vie meilleure dans leur maison avec leur famille. »
« Les gens qui vivent ici, eux, sont dans une prison plus grande et n’osent même pas rêver d’un meilleur avenir », a-t-elle poursuivi en contemplant les ruines de ce qui était sa maison avant l’expulsion.
Selon David Sims, auteur du livre Understanding Cairo, « sur les 17 millions d’habitants que compte le Grand Caire en 2009, au moins 11 millions, soit 63 %, vivent dans des zones qui ont été développées de façon informelle ou illégale depuis 1960 ».
Ces chiffres ont fortement augmenté, tout particulièrement suite à la construction d’un nombre toujours plus grand de bidonvilles en raison de l’anarchie et de l’insécurité qui ont accompagné les troubles politiques en Égypte au cours des quatre dernières années.
Les bidonvilles ont commencé à apparaître au Caire dans les années 1950 pour des raisons variées, notamment la migration interne d’Égyptiens cherchant de meilleures conditions de vie, l’expansion de l’économie capitaliste, la surpopulation et les taux de natalité élevés.
Les politiques sociales adoptées par l’ancien président Gamal Abdel Nasser, consistant à fournir aux personnes défavorisées des logements peu coûteux, avaient ralenti la croissance des bidonvilles, mais les effets du néolibéralisme associés aux politiques des présidents Anouar el-Sadate et Hosni Moubarak ont eu des conséquences néfastes sur le secteur du logement, qui s’est transformé en un système fondé sur la propriété plutôt que sur la location. Ceci a poussé les familles à faible revenu hors du marché de l’immobilier formel, les contraignant à habiter dans des bidonvilles par manque d’alternatives abordables.
Moubarak a tenté de remédier à ce problème en construisant de nouvelles villes dans le désert qui entoure Le Caire, telles qu’Obour et la Ville du 15-Mai. Mais celles-ci se sont révélées être une solution inadaptée, se trouvant loin du Caire et manquant des services essentiels comme des écoles et des hôpitaux.
Dans un récent rapport, l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS) a indiqué que l’Égypte comptait plus de 1 000 bidonvilles, plus de 300 d’entre eux étant situés dans la région du Grand Caire.
Les bidonvilles d’Égypte ne répondent à aucune planification urbaine. Les rues sont souvent très étroites (moins d’un mètre de large) et, en l’absence de permis de construire, il n’y a ni aération ni lumière naturelle. La toiture de beaucoup de ces maisons est en bois.
Les habitants de ces zones n’ont pas accès aux services de base comme l’électricité ou le raccordement à l’eau et à un système d’égouts, et font face à la chaleur extrême en été et au froid durant les longues nuits d’hiver.
Une récente étude du Centre national de recherche a confirmé qu’il y avait une augmentation des cas d’asthme, d’allergie et d’insuffisance rénale parmi les habitants des bidonvilles en raison du manque d’hygiène et d’eau potable.
Oum Amro, une habitante du bidonville de Ramlet Boulak âgée de 58 ans et dont le fils Amro est actuellement traité dans un hôpital public pour insuffisance rénale, a expliqué à Middle East Eye les difficultés auxquelles sa famille était confrontée.
« Je n’ai aucune façon de subvenir à mes besoins. Je n’ai même pas assez d’argent pour aller rendre visite à mon fils à l’hôpital et lui apporter de la nourriture. Je passe juste mon temps avec ma vieille mère dont la survie dépend de la sadka [charité] des gens. »
Les résidents des bidonvilles ont aussi connu des désastres naturels, notamment un éboulement en 2008 qui a fait des dizaines de morts dans le district de Duwayqa.
La plupart des habitants de ces zones d’habitation informelle vivent sous le seuil de pauvreté, gagnant moins de 3 dollars par jour. Ils occupent souvent des emplois simples, comme vendeurs de fruits et légumes, chauffeurs de taxi ou agents de sécurité.
Les femmes âgées vendent de la nourriture faite maison devant chez elle, tandis que les plus jeunes travaillent comme femmes de ménage ou baby-sitters dans les quartiers plus aisés. Les enfants traînent dans les rues à la recherche de quelque chose à manger ou d’un travail temporaire leur permettant de gagner une livre égyptienne ou deux.
Cheikh Saïd, un père de 45 ans qui travaille comme potier et possède un petit atelier dans la zone de Bahr al-Bakar, décrit ses difficiles conditions de vie. « Cet atelier est la seule chose que j’ai au monde – si j’arrêtais de travailler pendant une journée, juste une journée, nous n’aurions pas de nourriture à mettre sur la table ce jour-là. »
Comme si ce n’était pas assez dur pour les habitants des bidonvilles, la seule solution que le gouvernement ait semble-t-il trouvée pour faire face à cette bombe sociale à retardement a été l’évacuation forcée.
Les vidéos choquantes de ce qui s’est produit ce jour-là ont envahi les réseaux sociaux, provoquant la colère des internautes face à la cruauté de la police vis-à-vis de ces personnes démunies.
Selon Mohamed al-Feki, chercheur au Centre égyptien pour le droit au logement (ECHR), « régler ce problème par la violence est la pire chose que le gouvernement puisse faire. Au lieu de travailler sur les raisons qui contribuent à aggraver le problème des bidonvilles du Caire, le gouvernement a fait le choix de se créer des ennemis parmi les résidents de ces zones, ce qui pourrait provoquer à l’avenir une réaction violente contre les autorités. Et ces dernières ne pourront pas mettre ça sur le dos des Frères musulmans ».
Traduction de l’anglais (original).
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