Israël teste ses limites à al-Aqsa
Israël dispose de forces de réserve considérables prêtes à être déployées en temps de guerre. Celles-ci ont été employées au plus fort de la seconde Intifada de 2000-2005, au cours de la guerre au Liban en 2006 et dans les différentes campagnes militaires contre Gaza.
Le 18 septembre, le parlement israélien (Knesset) a donné le feu vert à l’armée pour recruter des réservistes des unités de police aux frontières afin de lutter contre la recrudescence de la violence à Jérusalem. Les chiffres sont moins importants que le message envoyé aux Israéliens : nous faisons face à une grave crise à Jérusalem.
Les affrontements entre les forces de sécurité israéliennes et les activistes palestiniens se sont assurément intensifiés la semaine précédente à l’intérieur et autour du complexe de la mosquée al-Aqsa et ailleurs à Jérusalem. L’événement le plus dramatique a eu lieu à la veille du Nouvel An juif, lorsqu’un habitant juif est décédé d’une crise cardiaque après que sa voiture a été caillassée par des jeunes palestiniens à la « frontière » non marquée mais très présente entre les quartiers juifs et palestiniens de Jérusalem-Est occupée.
Pourtant, jusqu’à présent, l’ampleur des affrontements n’a même pas atteint celle de la « mini-Intifada » qui a éclaté en juillet 2014, après qu’un adolescent palestinien du quartier de Shuafat a été brûlé vif par un groupe d’extrémistes juifs.
La réponse ferme d’Israël et le recrutement de policiers réservistes peuvent être expliqués comme une démonstration de force. Mais par-dessus tout, ceci est lié au fait que l’épisode actuel de violence est considéré comme une bataille pour al-Aqsa, ou le mont du Temple, comme l’appellent les juifs. Depuis près de cent ans, de violents affrontements sur ce site sensible propagent la violence partout en Israël/Palestine.
Des responsables israéliens, comme le ministre de la Défense intérieure Gilad Erdan, essaient de placer les affrontements actuels dans le cadre d’un effort pour rétablir l’ordre dans ce lieu saint et maintenir le statu quo. Les activistes musulmans sur le mont sont décrits comme les responsables de la violence, qui harcèleraient et attaqueraient les « touristes » juifs qui souhaitent simplement visiter le mont du Temple, et collecteraient du matériel semi-militaire comme des pistolets lance-fusées et même des engins explosifs improvisés.
Cette vision est très répandue dans les médias et les cercles politiques israéliens. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a appelé à la fermeté contre les Palestiniens jetant des pierres et a même demandé au procureur général d’autoriser le recours à des snipers contre les manifestants palestiniens à Jérusalem.
Erdan a également laissé entendre que les juges infligeant des peines « modérées » aux Palestiniens reconnus coupables de jet de pierres n’obtiendraient pas de promotion.
Toutefois, Israël est loin d’être innocent dans l’escalade actuelle autour d’al-Aqsa.
Il y a un mois, Erdan a annoncé son intention de proscrire deux organisations palestiniennes, les Murabitun (hommes) et les Murabitat (femmes), dont les membres se confrontent aux visiteurs juifs sur le mont du Temple et les accompagnent en criant « Allah Akbar ».
Il y a deux semaines, des restrictions contre les fidèles musulmans, empêchant les hommes et femmes en dessous d’un certain âge d’entrer à al-Aqsa, ont été réintroduites un an après leur annulation. Aviv Tatarsky, chercheur pour Ir Amim, une organisation israélienne de gauche active à Jérusalem, affirme qu’il s’agissait certainement d’une décision politique, et non policière, dans la mesure où il n’y a pas eu d’affrontements importants dans le secteur durant les mois où le site d’al-Aqsa était ouvert à tous les musulmans.
L’escalade à al-Aqsa
Un jour avant le Nouvel An juif, la police a pris d’assaut le complexe et y aurait trouvé des engins explosifs et d’autres équipements prêts à être utilisés contre les visiteurs et les fidèles juifs appelés à prier devant le Mur des Lamentations, situé juste en dessous de la cour du mont du Temple/al-Aqsa.
Cet assaut a rencontré une résistance violente à l’intérieur même de la mosquée al-Aqsa et a donné lieu à des affrontements avec la police israélienne aux quatre coins des quartiers palestiniens de Jérusalem-Est. Le drame lors duquel l’habitant juif a été tué après qu’une pierre a été projetée contre sa voiture est survenu un jour plus tard.
Comme Erdan et les autres responsables israéliens le savent bien, la grande majorité des juifs visitant le complexe ne sont pas des touristes innocents qui souhaitent seulement admirer la beauté de l’architecture musulmane ancienne qui orne le mont. Il y a également des activistes politiques, allant du ministre de l’Agriculture Uri Ariel, du Foyer juif, parti d’extrême-droite, à Yehuda Glick, un activiste du Likoud qui se rend dans le complexe presque quotidiennement et qui fait pression sur le gouvernement pour que celui-ci accroisse de manière significative la présence juive dans le complexe d’al-Aqsa.
Glick, qui a survécu à une tentative d’assassinat par un tireur palestinien l’an dernier, réclame que la liberté de culte à al-Aqsa ne soit pas limitée aux musulmans, mais soit aussi accordée aux juifs. Il ne cache pas non plus son objectif ultime, qui est de reconstruire le Temple juif sur le mont.
Si Glick se montre plutôt évasif quant au sort des lieux de prière musulmans actuels, d’autres, comme le ministre de l’Agriculture Uri Ariel, ont fait part de leur souhait de voir le dôme du Rocher être détruit et remplacé par le Troisième Temple. Il n’est pas étonnant que les Palestiniens s’énervent à l’idée de voir des « touristes » tels qu’Ariel ou Glick déambuler à proximité de ces lieux.
Cet objectif semble évidemment plutôt impossible à réaliser. Ainsi, il se pourrait qu’Israël se contente d’avancées de moins grande ampleur, en divisant par exemple les zones de visite ou même les heures de prière dans la zone entre les fidèles juifs et musulmans.
Le modèle d’Hébron
À Hébron, le Tombeau des Patriarches (mosquée Ibrahimi), où l’armée israélienne a forcé une partition de ce lieu saint entre les fidèles juifs et musulmans, est un exemple peu flatteur. Celle-ci a abouti au massacre de 29 musulmans par un tireur juif en 1994.
Miri Regev, actuelle ministre de la Culture, a indiqué à MEE en octobre 2014, alors qu’elle officiait encore en tant que présidente de l’influente commission des Affaires intérieures à la Knesset, qu’elle « [s’efforçait] de faire en sorte que chaque citoyen d’Israël, qu’il soit musulman, chrétien ou juif, puisse prier dans les lieux sacrés de sa religion. Il est inconcevable qu’il y ait une liberté de culte pour les musulmans sur le mont du Temple, mais pas pour les juifs. » À Hébron, « cela fonctionne très bien », a-t-elle soutenu.
Erdan et Netanyahou se sont engagés à maintenir le statu quo à al-Aqsa, instauré depuis le début de l’occupation de Jérusalem-Est par Israël en 1967. Il se peut toutefois que, sous le couvert de la « liberté de culte », se cache le même objectif mentionné par Regev il y a à peine quelques mois.
Comme le constate le chercheur Aviv Tatarsky, la violence des Palestiniens sur le mont du Temple contre les « visiteurs » juifs pourrait aider Erdan et Netanyahou à présenter comme quasiment inévitable la décision d’une séparation des heures de visite et de prière sur le mont entre fidèles juifs et musulmans. La décision d’empêcher les Murabitun et les Murabitat d’accéder à al-Aqsa et l’intention future d’interdire les fidèles musulmans de rester la nuit dans l’enceinte de la mosquée peuvent s’inscrire dans ce même processus. Erdan se targue du fait que depuis que ses nouvelles mesures ont été adoptées, le nombre de juifs visitant le mont a été multiplié par six.
Le rôle de la Jordanie
Pourtant, Israël n’a pas uniquement affaire aux Palestiniens au sujet d’al-Aqsa. En vertu du traité de paix entre Israël et la Jordanie, le royaume hachémite jouit d’un statut spécial à al-Aqsa. Il paie même les salaires des responsables du Waqf (les responsables des donations islamiques qui sont chargés de la gestion des sites) au Haram al-Sharif, ou mont du Temple.
En novembre dernier, lorsque des affrontements similaires ont éclaté à al-Aqsa, le roi Abdallah de Jordanie a convoqué Netanyahou à Amman pour l’avertir des conséquences d’une modification du statu quo dans la zone. Le lendemain, Netanyahou a ordonné d’ouvrir les portes d’al-Aqsa à tous les fidèles musulmans et limité les visites de figures politiques israéliennes sur le mont du Temple.
Aujourd’hui, les choses pourraient avoir changé. Le nouveau gouvernement Netanyahou formé après les élections de mars est composé exclusivement de partis de droite. Les nouveaux ministres, tels que Miri Regev à la Culture et Ayelet Shaked à la Justice, tentent de mettre à exécution leurs convictions politiques.
Regev menace de priver les institutions culturelles arabophones de financements publics si celles-ci refusent de souscrire à l’idée qu’Israël est un État juif. Shaked veut quant à elle mener une attaque contre l’indépendance de la Cour suprême israélienne. Dans une telle atmosphère, il est plus aisé pour le ministre Erdan d’envisager une modification du statu quo à al-Aqsa en faveur des activistes politiques juifs tels que Glick.
Les affrontements qui ont éclaté après l’assaut contre al-Aqsa en début de semaine dernière se sont répandus dans tout Jérusalem-Est et semblent voués à s’intensifier, même si ceux-ci n’ont pas encore atteint la Cisjordanie. L’attaque à la roquette tirée depuis Gaza contre la ville israélienne de Sdérot vendredi dernier, la première à toucher une zone peuplée depuis l’opération « Bordure protectrice » menée à l’été 2014, peut encore être considérée comme une escalade limitée.
Tatarsky estime que comme en novembre dernier, la pression exercée par la Jordanie, où le roi a averti Israël lors de sa rencontre avec le Premier ministre David Cameron en début de semaine que son pays « n’aura pas d’autre choix que de prendre des mesures » si Israël viole le statu quo à al-Aqsa, aura une influence sur Netanyahou.
Peut-être. Toutefois, au vu de la fougue actuelle du gouvernement israélien, la situation peut également prendre d’autres tournures. Auquel cas recruter des réservistes vétérans de la police aux frontières ne sera pas suffisant.
- Meron Rapoport, journaliste et écrivain israélien, a remporté le prix Naples de journalisme grâce à une enquête qu’il a réalisée sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
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Crédit photo : un drapeau israélien flotte sur le toit d’une colonie israélienne à Jérusalem-Est, en face de la coupole de la mosquée al-Aqsa
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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