INTERVIEW : Saeb Erekat parle de la paix, des élections et du départ d’Abbas
Marwan Barghouti, le leader du Fatah incarcéré dans une prison israélienne depuis 13 ans, est clairement favori pour succéder à Mahmoud Abbas en tant que président palestinien, a affirmé Saeb Erekat, négociateur vétéran et secrétaire général de l’OLP.
Quelques jours avant la prise de parole d’Abbas devant l’assemblée générale des Nations unies à New York, Erekat a affirmé à Middle East Eye qu’il était à l’origine de la démarche visant à convoquer le Conseil national palestinien (CNP) – un organisme qui représente traditionnellement tous les Palestiniens à travers le monde et qui ne s’est pas réuni depuis 19 ans – de sorte qu’il y ait des institutions disponibles lorsque le président, âgé de 80 ans, annoncera sa retraite.
Se déclarant hors course, Erekat a expliqué à MEE que tous les sondages d’opinion indiquent que Barghouti, membre du Comité central, est favori.
« Je pense qu’il est un bon candidat et qu’il devrait d’abord [être autorisé à] sortir de prison [...] Parce que personne n’est plus plébiscité dans les sondages que Marwan Barghouti. Nous sommes une démocratie. Si j’ai 3 ou 5 % en ma faveur, lui en a 40 », a précisé Erekat.
Décrivant Barghouti comme un « véritable homme d’État », il a soutenu que le Fatah devait le faire sortir de prison. Barghouti, membre fondateur du Fatah et partisan d’une solution à deux États, a été reconnu coupable par un tribunal israélien pour son implication dans cinq meurtres de civils pendant la seconde Intifada, bien qu’il le nie. Il est désormais connu sous le nom de « Mandela palestinien » en raison de sa popularité et de son influence politique qui résonne en dépit de sa détention.
Erekat a évoqué pour MEE les défis à venir pour le leadership palestinien.
MEE : Certains ont considéré la démission en août d’Abou Mazen [Abbas] et de quelques autres figures de premier plan du Comité exécutif de l’OLP comme une manœuvre pour unir les partisans d’Abou Mazen autour de lui. D’autres sources indiquent qu’Abou Mazen cherche à prendre sa retraite et à se retirer de la vie politique. Pouvez-vous donc nous éclairer sur ce qui se passe exactement ?
SE : Il y a eu un appel pour convoquer le CNP, qui est l’organisme le plus élevé de l’OLP et qui n’a pas été convoqué depuis 19 ans. C’est moi qui l’ai initié.
Et comme dans toute société démocratique, il y a des spéculations [sur la tentative de rappel du CNP]. Et chacun a son propre esprit, son propre cerveau et sa propre façon d’analyser les raisons pour lesquelles nous avons fait appel au CNP maintenant. J’ai fait appel au CNP parce que j’ai été élu secrétaire général de l’OLP, et je crois que c’est le bon moment.
Ce conseil doit être convoqué chaque année, et non tous les 19 ans. Et beaucoup de choses se sont passées au cours des 19 dernières années.
Il me semble que 90 % des Palestiniens ont moins de 30 ans. J’en ai 60. Je suis le membre le plus jeune du Comité central de l’OLP, et je pense que nous devrions avoir honte de cela. Ainsi, j’ai simplement essayé de faire aller le processus démocratique dans une société démocratique.
Et je respecte tous les points de vue au sujet du départ d’Abou Mazen, de la démission d’Abou Mazen, etc. Abou Mazen est en réalité le père du mouvement national palestinien. Abou Mazen est réaliste. Il dit : « J’ai 80 ans. Je ne peux pas laisser un vide derrière moi. Je dois avoir des institutions derrière. Il faut un nouveau comité de réserve avec l’OLP derrière moi. »
MEE : Pourquoi a-t-il fallu 19 ans ?
SE : Pour de nombreuses raisons. Certaines raisons sont pratiques, d’autres relèvent de notre responsabilité. Nous faisons des erreurs. C’était une erreur de ne pas le convoquer pendant 19 ans.
MEE : Voulez-vous donc dire que les démissions au Comité exécutif de l’OLP ne visaient personne en particulier ?
SE : Non. Nous voulions voir s’il y avait des questions juridiques techniques, si nous pouvions délibérément le convoquer de manière immédiate et exceptionnelle. Ensuite, nous avons décidé de ne pas le faire et que nous devions convoquer une session ordinaire [et non une session d’urgence], et que nous devions très bien la préparer ; c’est pourquoi je me suis opposé au président [à la mi-septembre] et je me suis réuni avec le comité de l’OLP en tant que secrétaire général. Je leur ai ainsi fait signer une lettre adressée au président du CNP pour la reporter [jusqu’à la fin de l’année], sans le consentement du président.
MEE : Beaucoup de noms ont circulé comme successeurs potentiels lorsqu’Abou Mazen décidera vraiment de prendre sa retraite, si cela arrive un jour.
SE : Si Abou Mazen décide de prendre sa retraite, et s’il dit qu’il n’y a pas de successeurs, nous avons des institutions. Abou Mazen est arrivé au pouvoir par des élections législatives. Et celui qui remplacera Abou Mazen accédera à ce poste par des élections législatives. Quiconque sera plébiscité par le peuple palestinien sera le prochain président.
MEE : Proposeriez-vous votre nom ?
SE : Non. Absolument pas.
MEE : Pourquoi pas ?
SE : Je ne veux pas.
MEE : Mais vous être l’un des membres les plus expérimentés de l’OLP.
SE : C’est un choix. Il y a beaucoup de noms qui circulent. Mais je ne veux pas.
MEE : Les autres noms qui circulent...
SE : Je laisserai ça au peuple palestinien. Nous avons 26 partis politiques. Nous sommes des gens normaux. Nous ne sommes pas parfaits. Et j’estime que les lois sont très ouvertes. Au cours des dernières élections avec Abou Mazen, il me semble que huit prétendants ont concouru contre lui. C’est la vérité.
MEE : Beaucoup des prétendants les plus sérieux qui sont évoqués sont en prison, toutefois.
SE : Alors il faut les faire sortir. Nous devons faire sortir Marwan [Barghouti] de prison. Nous ne contrôlons pas les prisons : c’est Israël qui contrôle les prisons.
MEE : Comment pourrait-il être président depuis une prison, surtout si un changement devait avoir lieu dans un avenir proche ?
SE : Voulez-vous dire que nous ne devrions pas convoquer d’élections avant qu’il soit libéré ?
MEE : Non, mais s’il y avait des élections avant, faudrait-il une alternative ?
SE : D’après mon expérience, Marwan Barghouti est le premier choix dans tous les sondages d’opinion, et j’estime qu’il a parfaitement le droit de briguer la présidence.
MEE : Soutiendriez-vous sa candidature à la présidence ?
SE : Eh bien, c’est au Fatah de décider. Il est membre du Comité central et nous y mettrons son nom, et je pense qu’il est un bon candidat et qu’il devrait d’abord [être autorisé à] sortir de prison [...] Parce que personne n’est plus plébiscité dans les sondages que Marwan Barghouti. Nous sommes une démocratie. Si j’ai 3 ou 5 % en ma faveur, lui en a 40.
MEE : Pourriez-vous décrire son influence actuelle au Fatah, en dehors des sondages ?
SE : Eh bien, il a été élu au Comité central du Fatah [le comité directeur du parti], tout comme je l’ai été. Je pense qu’il jouit d’un soutien considérable. Je connais très bien Marwan, et je pense qu’il est fait pour ce poste. Il est hautement qualifié pour ce poste. C’est un homme d’État, un véritable homme d’État.
MEE : Le Hamas a critiqué les manœuvres récemment entreprises par le CNP, soutenant que celles-ci n’ont rien à voir avec la réconciliation. Comment décririez-vous ce moment dans la réconciliation Fatah-Hamas ? A-t-elle même progressé ?
SE : Je pense que nous avons une chance. Je pense que repousser la réunion du comité du CNP pourrait être l’occasion d’une réconciliation nationale. Je pense que tout le Hamas doit simplement accepter de former un gouvernement d’unité nationale, permettre au gouvernement d’opérer à Gaza, et signer pour quelque chose qui stipule qu’en cas de divergence, cela se réglera par les urnes, et non par les armes.
MEE : Les sondages ont montré que près de 74 % des Palestiniens préfèrent la méthode du Hamas face à Israël et à l’occupation.
SE : Je n’ai pas vu cela...
MEE : Cela a été mentionné dans une interview que vous avez faite avec la BBC.
SE : Vous voyez... Les urnes, pas les balles. Si les gens veulent choisir le Hamas, c’est leur droit. Ils ont choisi le Hamas la dernière fois en 2006. S’il y a des élections démocratiques, le Hamas devrait s’y présenter. Nous sommes déterminés à les vaincre sous l’étendard du Fatah. Imaginez que vous demandiez à Obama de soutenir Donald Trump ! Le ferait-il ? C’est ce que vous me demandez ? Soutenir le Hamas ? Prenez-nous au sérieux, pour l’amour de Dieu. Nous sommes une démocratie à part entière. Ceci est très simpliste...
MEE : Ma question était de savoir si le gagnant d’un scrutin formera le gouvernement.
SE : Le Hamas a gagné en 2006, et je me souviens de mon discours devant mes électeurs à Jéricho en 2006. Et lorsque [le dirigeant du Hamas] Ismaël Haniyeh est venu soumettre son nom pour le gouvernement, je lui ai dit : vous êtes mon Premier ministre. Vous êtes le Premier ministre palestinien, vous avez gagné ! Nous acceptons cela, bien entendu. Quiconque gagnera les élections sera le président palestinien.
MEE : Comment l’absence de réconciliation et ces mouvements au sein du comité du CNP, affectent-ils Abou Mazen avant sa prise de parole devant les Nations unies [le 29 septembre] ? Cela l’affaiblit-il ?
SE : Eh bien, le principal problème d’Abou Mazen n’est pas le CNP, ni la politique palestinienne. Nous sommes une démocratie vivante. Notre principal problème est un dénommé Benjamin Netanyahou [le Premier ministre israélien], qui a abandonné le processus de paix, qui a choisi les colonies et le diktat plutôt que les négociations, qui a ouvertement déclaré qu’il n’acceptera la signature d’aucun accord et qu’aucun État palestinien ne verra le jour en sa présence. C’étaient des déclarations publiques. Voilà donc le véritable problème d’Abou Mazen, et je pense qu’Abou Mazen doit définir sa relation avec Israël. Continuer comme si de rien était et maintenir le statu quo, comme le souhaite Benjamin Netanyahou, est impossible.
MEE : Avez-vous dit que vous deviez abandonner [les accords de paix d’Oslo] ?
SE : Je pense que c’est Netanyahou qui l’a fait pour nous. Il n’y a pas d’accords d’Oslo. Nous sommes dans la zone A, mais les Israéliens peuvent venir vous arrêter... Eh bien, ils ne peuvent pas vous arrêter [vu que vous êtes un ressortissant étranger, mais] ils peuvent m’arrêter. Ils peuvent entrer dans une zone à laquelle ils ne devaient pas toucher. Ils n’étaient pas censés mettre un pied dans la zone A. Ils ont pris notre juridiction, notre économie et notre territoire. Ils ont démoli des foyers dans la zone A ! Donc la question à Netanyahou est la suivante : y a-t-il des accords d’Oslo ? En 1993, lorsque nous avons signé, il a dit : « si je devais faire une dernière chose, ce serait d’enterrer Oslo ». Et il l’a fait.
MEE : Certes, mais la reconnaissance de l’État d’Israël est un élément clé des accords d’Oslo. Dans ce cas, quel est le but d’affirmer que vous annulerez les accords [comme l’Autorité palestinienne a menacé de le faire plus tôt ce mois-ci] ?
SE : En effet, c’est le principe clé. Si nous avons une Autorité palestinienne sans aucune autorité, si nous subissons une occupation gratuite et un blocus continu de Gaza, c’est impossible. C’est stupide de continuer comme cela ! Nous n’avons pas un écriteau « stupide » sur le front. Netanyahou a enterré le processus de paix. Netanyahou n’est pas un partisan de la solution à deux États. Il veut un État et deux systèmes. Regardez ce qu’il fait à la mosquée al-Aqsa, le sanctuaire le plus sacré pour les Palestiniens. Dans cinq ans, les gens se demanderont : pourquoi ne pouvons-nous pas avoir un règlement politique à un conflit religieux ? Oh ! C’est dans l’ADN des Arabes [dira-t-on], mais pouvez-vous me donner la différence entre un voyou qui met un journaliste à genoux et l’égorge dans le soi-disant État islamique, et un voyou qui brûle [et tue] Ali Dawabsha, un bébé de 18 mois, au nom de l’État juif ?
MEE : Étant donné que l’atmosphère est devenue si délétère, est-ce que déclarer publiquement que « [vous débattriez] officiellement quant à une fin des accords d’Oslo » est utile ?
Il n’y a pas d’accords d’Oslo. Nous n’avons pas ces accords. Où sont-ils ? Mahmoud Abbas peut-il se rendre à Amman sans que Netanyahou accepte son départ ?
MEE : Cette démarche prend-elle en compte le public israélien ?
SE : Non. Je pense que le public israélien ne nous voit même pas. Ils ont décidé d’ignorer les faits et de dire que nous n’existons pas. Ils ne nous voient pas. Netanyahou leur dit : « Je suis chazak [fort], je suis ferme, je ferai tout ce que je veux, j’irai au Congrès américain, je défierai Obama, je défie les Européens, je défie le monde entier ». Les gens aiment entendre ce genre de choses.
MEE : Vous avez dit, et j’utilise ici un terme large, que les « rejectionnistes », à travers leurs actions, se renforcent mutuellement. Comment mettez-vous un terme à cela ?
SE : J’y mets un terme en disant que le judaïsme n’est pas une menace pour moi en tant que Palestinien, en tant que musulman. Le judaïsme est l’une des grandes religions de Dieu, comme le christianisme et l’islam, et ce conflit est une question politique, pas religieuse. Et personne ne doit aller à la mosquée, à l’église ou à la synagogue pour se servir de Dieu. Nous allons dans ces lieux pour le culte, pour vénérer Dieu. Nous y allons pour la réconciliation, pour la paix, pour le pardon. Ceci est la véritable essence de la religion. Malheureusement, aujourd’hui, en 2015, certains parmi nous croient que quand ils vont à la synagogue, à l’église ou à la mosquée, ils doivent se servir de Dieu, et Dieu est devenu un courtier de terres. Il attribue des terres par ci par là. Et beaucoup de gens ont tendance à oublier que lorsqu’Abraham a reçu ces terres, il avait deux fils. Est-ce que Dieu favorise un fils ? Non. C’est pourquoi la seule option est que ce conflit soit résolu en vertu de la solution à deux États. Pour que l’État de Palestine vive côte-à-côte avec l’État d’Israël selon le tracé de 1967. Il n’y a pas d’autre solution. Il n’existe pas de solution à un seul État ; une solution demande deux parties. [À l’heure actuelle,] Israël ne fera jamais partie de la solution. Ainsi, si Netanyahou ne veut pas de l’option A, il prépare l’option B.
Sur le terrain, il crée un système d’apartheid, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, comme ce qu’il y avait en Afrique du Sud. Pour l’amour de Dieu, j’ai cette carte d’identité [il sort sa carte d’identité verte, destinée aux citoyens de Cisjordanie], délivrée par les Israéliens ; voici mon numéro, il est en vert. Les Israéliens l’ont en bleu. Ma plaque d’immatriculation est blanche et verte, la leur est jaune. Et il y a des routes que je ne peux pas utiliser là-bas, seuls les Israéliens peuvent les utiliser. Donc, si les gens ont le culot, l’éthique et l’absence de scrupules pour tolérer un tel système, ils devraient regarder dans le miroir et voir vraiment l’avenir de leurs enfants. Parce qu’avec une telle mentalité, il y aura ceux qui évolueront vers d’autres options. Il y a des enfants de la classe moyenne supérieure qui viennent aujourd’hui en Cisjordanie depuis les États-Unis, et ils croient que s’ils peuvent nuire aux Palestiniens, les brûler, déraciner des arbres, alors ils se rapprocheront de Dieu ! Je ne pense pas que vous voulez qu’ils soient vos voisins quand vous arrivez à New York !
MEE : Je viens de Toronto.
SE : Ou Toronto ! Peu importe l’endroit !
MEE : Il y a également eu des kamikazes [palestiniens].
SE : Je tiens à vous dire que je n’exclus aucune forme d’extrémisme. Je vous l’ai dit, les voyous qui se servent de l’islam, je les considère comme des voyous. Comme des meurtriers. Je suis très cohérent avec moi-même. Et je vous le dis, le judaïsme, pour une personne comme moi, ne représente pas une menace. L’islam ne devrait pas non plus en être une. Ces religions font partie des grandes religions. Et c’est dans cette situation que nous nous trouvons.
Si Benjamin Netanyahou veut que les juifs du monde entier le soutiennent aveuglément, je ne peux pas l’en empêcher. Tout comme je ne peux empêcher ce qui est sur les lèvres des gens, ni leur façon de penser. Mais je peux vous assurer que les chrétiens et les musulmans de cette région ne seront pas convertis au judaïsme, et que les juifs et les Israéliens, après 5 700 ans, ne seront pas convertis au christianisme ou à l’islam. Alors que feront-ils de moi ?
MEE : Certes, en effet. Néanmoins, avec tout le respect que je vous dois, de nombreux Israéliens classent Barghouti dans cette deuxième catégorie que vous avez mentionnée, de par ses actions au cours de la première Intifada, et en particulier de la seconde Intifada, [lors de laquelle il a été accusé d’être un membre de haut rang des Brigades des martyrs d’al-Aqsa].
SE : Non. Barghouti a été jugé et condamné de manière injuste, et Barghouti est des nôtres, c’est un homme de paix. Il était l’un des principaux leaders du camp auquel j’appartiens, pour la reconnaissance de l’État d’Israël.
MEE : Mais il a perdu ses illusions, n’est-ce pas ?
SE : Je sais ce que Barghouti défend. Je sais qu’il est un partisan de la solution à deux États. Je sais qu’il souhaite la paix. Je sais qu’il souhaite que le conflit prenne fin et laisse place à une solution à deux États. Je le connais très bien.
MEE : Lors des élections, Yuli Edelstein, président (Likoud) de la Knesset, a fait part de la frustration qu’il éprouve chaque fois qu’il participe à une conférence régionale avec son homologue jordanien, car ils finissent par se disputer pendant trois heures au sujet du statut final de Jérusalem. Il a dit qu’il fallait parler des autres intérêts communs entre vous et les Israéliens, au-delà de la sécurité : l’emploi des jeunes, la santé publique, etc. Vous avez évoqué la nécessité absolue d’étendre l’autorité de l’AP au-delà de la sécurité et de la trésorerie. Ce qui était sous-entendu, c’était l’idée d’étendre progressivement les institutions palestiniennes, au lieu de tout élaborer d’un coup et à toute vitesse sous le contrôle considérable du public. Que penseriez-vous si un tel arrangement était proposé, à condition que la phase finale soit clairement un État palestinien ?
SE : [Rires] Eh bien, vous savez, je lui dirais : « Vous avez 3 000 chars, 2 000 avions de chasse, des armes nucléaires, sa parole contre la mienne au Congrès... Je n’ai aucune chance. » Mais après avoir examiné tout cela, je lui dirais qu’il y a seulement deux options. La première : deux États selon le tracé de 1967, qui puissent vivre et laissent vivre. [Ou la seconde,] un État démocratique et laïc, que les juifs pratiquants n’accepteront jamais, parce qu’ils sont maintenant majoritaires entre le Jourdain et la mer : c’est la réalité de la vie. Enfin, la solution numéro trois, si vous ne voulez pas de la A ou de la B, c’est le système d’apartheid. Pourquoi ne pouvez-vous pas comprendre que cette occupation ne peut être maintenue, ni soutenue ? Vous le faites depuis 48 ans. Chaque année, le bilan est parfois de plusieurs centaines de morts, parfois de milliers, et combien de temps comptez-vous prendre ?
MEE : Ce mécanisme est-il selon vous une réponse trop faible et trop tardive ?
SE : Il n’est pas trop tard, il ne sera jamais trop tard pour une solution à deux États. Je prie, et j’espère, que ces personnes se montreront à la hauteur de la situation et auront également la sagesse de servir leur pays. Car ceux qui croient en cette idée d’imposer ces colonies en Cisjordanie sèment les graines de la destruction d’Israël dans le long terme. Ils le savent, mais ils pensent que quelque chose va se passer, que quelque chose va changer et que quelque chose va arriver. Et selon moi, plus vite nous arriverons à la solution à deux États, plus nous sauverons de vies israéliennes et palestiniennes. Ainsi, je ne comprends pas comment ces gens ne peuvent pas avoir de scrupules en se regardant dans le miroir. Ce sont leurs enfants ! C’est la vie de leur propre peuple ! Les Israéliens savent que nous avons atteint un taux d’alphabétisation de plus de 90 % cette année en Palestine. Ils savent [qu’entre 2007 et 2011,] nous avons connu une croissance économique constante de 8 %. Aujourd’hui, nous avons un taux de chômage de 26 % en Cisjordanie. Pourquoi ? Parce que 60 % du territoire n’est pas le nôtre. Si nous avons ces 60 % du territoire, nous aurons des travailleurs d’Israël et de Jordanie. Ils le savent très bien. C’est donc leur choix de continuer de vous tromper, de vous convaincre, de nous haïr et de ne pas nous faire confiance. Donc voilà, nous pouvons marquer autant de points qu’on le souhaite.
MEE : Bien entendu.
SE : Le fait est que je me souviens d’une rencontre un jour avec Ariel Sharon. Et il m’a mis en colère. Il m’a dit : « Je ne suis pas timide, je ne suis pas timide ».
Je lui ai demandé : « Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous me confier vos yeux pendant dix secondes et me faire confiance ? »
Il m’a dit : « Non, je ne vous fais pas confiance. »
Ce à quoi j’ai répondu : « OK, gardez les yeux ouverts, et venez faire un tour avec moi dans ma ville natale, Jéricho. Observez ces milliers de personnes, et vous comprendrez ce qui va se passer en 2010, en 2015, et ainsi de suite. »
Il m’a dit : « Très bien... Cette question m’empêche de dormir ! » Dans toutes mes années de négociations, la seule personne qui a vu la lumière et qui savait ce à quoi son pays ressemblerait dans 300 ans était un dénommé Yitzhak Rabin. Et parce qu’il a vu la lumière, ils l’ont tué. Ils l’ont abattu ! L’incitation délibérée à la haine contre Rabin par ceux qui gouvernent désormais Israël a entraîné sa mort. Israël a exercé une incitation à la haine dans cette région.
Mais comme je vous l’ai dit, certaines personnes dans cette région aujourd’hui croient que si nous ignorons les faits, Israël n’existera plus un jour.
MEE : La pensée sous-jacente aux propos d’Edelstein aurait-elle pu être qu’au lieu de nous embourber avec toute cette couverture médiatique, nous pourrions aller de l’avant si les conditions préalables étaient remplies ?
SE : Il n’y a pas de conditions préalables. Il y a une question : deux États définis selon les frontières de 1967. Nous avons reconnu le droit de l’État d’Israël d’exister sur 78 % de la Palestine historique. Et nous avons accepté des échanges en termes de taille et de valeur. Nous avons accepté d’être démilitarisés, d’avoir Jérusalem-Est comme capitale et d’avoir une ville ouverte pour tous. Ainsi, je ne sais pas ce qu’on pourrait proposer de plus pour faire la paix avec eux. Ils veulent que j’accepte le fait qu’ils ne soient pas partisans de la solution à deux États, parce que s’ils l’étaient, l’affaire aurait été résolue depuis longtemps. Je l’ai reconnu le droit d’exister d’Israël ! Reconnaissent-ils ce même droit pour la Palestine ? Mettez-les au défi ! Demandez-leur, demandez-leur s’ils reconnaissent le droit d’exister de la Palestine ! [Il claque sa main contre la table.] Croyez-vous qu’il est possible de vivre selon le tracé de 1967, ou d’accorder 22 % du territoire à la Palestine ? Telle est la question ! Elle est très ouverte ! C’est clair !
MEE : Au début des accords d’Oslo, il y avait 100 000 colons en Cisjordanie. Aujourd’hui, ils sont bien au-delà de 500 000, ce qui a scindé la Cisjordanie. De nombreux experts ont affirmé publiquement se demander s’il était déjà trop tard pour une solution à deux États. Comment est-il encore possible à ce stade de créer un État palestinien réalisable et fonctionnel ?
SE : Je ne peux pas forcer les Israéliens à faire la paix avec moi : comme vous le savez, la paix intervient lorsque les parties se rendent compte que leurs variables d’intérêt concordent avec la paix. Faire la paix est moins coûteux. Ainsi, le jour viendra où Israël comprendra la nécessité de faire la paix avec nous et nous accordera notre indépendance et notre liberté. Je ne vais pas les laisser être mes maîtres. Je ne vais pas les laisser m’assujettir. Que le diable les emporte, si cette relation prévaut ! Ils ne peuvent pas m’ignorer. Je veux être leur voisin, je ne veux pas que des barrières ou des murs soient érigés entre nous. Je veux entretenir les meilleures relations au niveau académique et culturel. Du théâtre ! Des interactions ! Nous sommes si proches ! Nous sommes si proches en termes de culture, de patrimoine, de religion, et ainsi de suite. Et le jour viendra où ils se rendront compte que la plus grande erreur de l’histoire israélienne a été les activités de colonisation en Cisjordanie. Parmi les erreurs stratégiques des nations, cela a été la plus grande erreur d’Israël. Je pense que les Israéliens et les Palestiniens n’ont pas d’autre option que d’être voisins, c’est la vérité. Je ne demande pas aux juifs de jeûner pendant le Ramadan. Je ne demande pas aux musulmans de célébrer Hanouka ou Roch Hachana. Je leur demande simplement d’accepter et de respecter. Et je ne pense pas que c’est beaucoup. Honnêtement. Ce n’est pas trop demander. Si nous savons accepter et respecter, je pense que nous pourrons arriver à la paix. Arrêtez ces guerres stupides, ces hallucinations et ces stupides sujets de discussion, qui gaspillent tellement de temps dans ce gouvernement en Israël. Ils consacrent tout leur temps à affirmer à quel point ils ont raison, mais nous voulons juste la paix.
Cette interview a été éditée et condensée par souci de clarté.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].