Pourquoi avoir peur d’une intifada ?
Un mème révélateur a circulé sur les réseaux sociaux au cours de la dernière semaine : « Je m’appelle Fadi. J’ai 19 ans. J’étais poursuivi par des colons israéliens. J’ai donc couru vers la police israélienne pour appeler à l’aide. Ils m’ont abattu. » Accompagnant ces mots, l’enregistrement vidéo du meurtre de Fadi Alloun, poursuivi par des colons scandant « Mort aux Arabes », est devenu viral.
La mort d’Alloun symbolise l’impasse dans laquelle les Palestiniens de Cisjordanie se trouvent, sur leur propre terre occupée, où ils sont traqués par des colons armés qui bénéficient de la pleine protection de l’armée israélienne, alors que l’Autorité palestinienne, chargée de « coordonner la sécurité » avec les forces israéliennes, échoue une nouvelle fois à protéger ses citoyens.
Depuis la mort d’Alloun, au moins sept autres Palestiniens ont été tués, plus de 500 Palestiniens ont été blessés et des dizaines d’autres ont été arrêtés, tandis que les violents affrontements avec l’armée israélienne se propagent dans toute la Cisjordanie. Davantage de Palestiniens risquent d’être victimes de cette dernière série de « violents affrontements », le Premier ministre Benjamin Netanyahou ayant promis une « guerre totale » contre les Palestiniens, qui continuent de descendre dans les rues. L’escalade de la violence a suffi pour parler d’une « troisième Intifada », et diverses figures politiques et certains médias ont mis en garde contre une telle évolution, comme s’il s’agissait d’annoncer une détérioration significative des conditions de vie des Palestiniens en Cisjordanie.
Est-ce une troisième Intifada en devenir ? Comment peut-on définir ou reconnaître exactement une intifada, ce terme arabe qui est entré dans le discours et les dictionnaires occidentaux, et qui est désormais couramment utilisé par le mouvement #BlackLivesMatter pour décrire la rébellion populaire contre la violence des forces de l’ordre aux États-Unis ? Et pourquoi une intifada serait-elle une évolution négative, quelque chose à craindre, s’il est effectivement question d’une rébellion, d’un soulèvement contre un mastodonte raciste, brutal, meurtrier et occupateur ?
Ce qui pose la question suivante : comment comprendre l’idée de « guerre totale » contre les Palestiniens, par opposition à la violence meurtrière à laquelle Israël se livre quotidiennement ? Les violations des droits de l’homme les plus élémentaires commises à l’encontre d’un peuple depuis sept décennies ne sont-elles pas déjà « une guerre totale » contre ce peuple, quand celles-ci sont mises en œuvre à travers l’apartheid, la dépossession, la privation de droits, les démolitions de maisons, les restrictions à la liberté de mouvement, la violence structurelle universelle, et, dans la bande de Gaza, un siège qui équivaut à un génocide ?
Tout journaliste qui couvre la Palestine/Israël sait qu’il est extrêmement facile à un moment donné de mentionner un nombre exact de victimes israéliennes, s’il y en a eu, au cours de la semaine précédente, alors même qu’il est quasiment impossible de donner à ce même moment mieux qu’un nombre approximatif de victimes palestiniennes. Devons-nous compter dans les « victimes » les Palestiniens qui meurent de malnutrition ? Et que dire de ceux qui meurent à cause du manque d’accès aux soins ? Qu’en est-il des fausses couches dues au stress ? Et quels mots devons-nous employer pour décrire la situation à Gaza, cernée par les assauts terrestres, aériens et maritimes brutaux et récurrents d’Israël destinés à « tondre le gazon » ?
Comment définir le concept de « conflit de faible intensité » par opposition à la « guerre totale » ? Est-ce que les peuples, disons, d’Angleterre ou des États-Unis, considéreraient comme vivables les conditions subies par les Palestiniens sous l’occupation, dans ces périodes où il n’est pas question d’une « guerre totale » ? Pourquoi donc avoir « peur » d’une intifada ? Est-ce la peur d’une modification du statu quo dans lequel les figures politiques sont investies, un statu quo fait de pourparlers de paix qui n’ont jamais donné lieu à la paix et de feuilles de route qui ne mènent nulle part, tandis que le complexe militaro-industriel devient de plus en plus meurtrier ?
« Ce qui nous attend ici pourrait être quelque chose de comparable à une nouvelle intifada », a estimé Martin Schäfer, porte-parole du ministère fédéral allemand des Affaires étrangères. « Cela ne peut être dans l’intérêt de personne : cela ne peut être souhaité par personne en Israël, ni par aucune figure politique palestinienne responsable. »
Mais voici une partie du problème : les figures politiques palestiniennes réellement responsables ne sont pas aux commandes. La prétendue « Autorité palestinienne » de Mahmoud Abbas n’est pas responsable de la sécurité du peuple palestinien et n’est pas responsable devant les Palestiniens, en plus d’être un sous-traitant de l’occupation. Comme la plupart des figures politiques, Abbas est plus investi dans le processus que dans la paix véritable. Les « Palestiniens responsables » sont les civils qui persévèrent avec ténacité pour tenter de survivre, d’aller à l’école, de travailler, de nourrir leur famille, d’avoir des rêves et des ambitions, et d’être libres et souverains. Les Palestiniens responsables se rebellent contre l’injustice et la violence.
Les intifadas sont bénéfiques. Elles permettent de révéler au monde entier que les Palestiniens n’ont pas accepté et n’accepteront pas l’oppression. La troisième Intifada doit être dirigée contre l’occupation continue entreprise par les forces israéliennes ainsi que contre leur sous-traitant, l’Autorité palestinienne. C’est seulement à ce moment-là que la farce des accords de paix et des feuilles de route pourra être enfin jetée dans la poubelle de l’histoire, là où est sa place.
Une escalade de la violence israélienne, que ce soit la « violence étatique » ou la « violence colonialiste facilitée par l’État », associée à une escalade de la résistance des Palestiniens en colère (il y a toujours une résistance, mais celle-ci change sur le plan qualitatif en réponse à l’escalade de la violence israélienne) ne donne pas nécessairement lieu à une troisième Intifada. Pourtant, la bonne combinaison d’éléments est bien là, le climat est propice et une intifada peut en effet être en train de couver. L’espoir, et non la peur, est que cette fois, celle-ci soit dirigée à la fois contre Israël et contre toutes les personnes impliquées dans la farce que forment les « pourparlers de paix ». Le moment est venu d’agir.
- Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique issue de la diaspora palestinienne. Elle travaille actuellement sur son deuxième livre, Who You Callin’ "Demographic Threat" ? Notes from the Global Intifada. Professeure (retraitée) d’études sur le genre et la mondialisation, elle est membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (USACBI).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des jeunes Palestiniens lancent des pierres sur des véhicules militaires israéliens lors d’un assaut des soldats israéliens dans la ville de Naplouse (Cisjordanie), le 6 octobre 2015. (AA)
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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