La parodie électorale égyptienne
Les élections parlementaires en cours en Égypte – absurdes à tous points de vue, avec un taux de participation de seulement 26,6 % – sont une preuve supplémentaire du fait que l’Égypte est en train de solidifier un système de gouvernance quasi-autoritaire, et non pas de vivre une renaissance démocratique.
La plupart des nouveaux parlementaires égyptiens seront riches, membres de l’élite, sympathisants de l’actuel président militaire de la nation, et farouchement opposés aux Frères musulmans qui ont gouverné l’Égypte pendant une brève transition démocratique en 2012 et 2013. En bref, ce sera un parlement béni-oui-oui, un parlement qui, plutôt que jouer les contrepoids, sera au service du président actuel Abdel Fattah al-Sissi.
Ce dernier a récemment approuvé une nouvelle loi électorale qui, dans les faits, annihile l’influence des partis politiques égyptiens. Selon cette loi, près de 80 % des sièges parlementaires seront attribués à des individus. Ce système individuel, qui a aidé l’ancien dictateur égyptien Hosni Moubarak à consolider son pouvoir dans les années 80 et 90, privilégie l’élite fortunée ayant des liens avec l’establishment égyptien, dont Sissi est un membre actif.
Les politologues et activistes égyptiens considèrent depuis longtemps le système individuel comme une menace pour les perspectives démocratiques égyptiennes. Après la chute de Moubarak lors du soulèvement de 2011, une nouvelle législation avait été rapidement adoptée privilégiant les partis politiques plutôt que les individus fortunés. Lors de l’élection du premier parlement égyptien de l’ère post-Moubarak fin 2011, près de 70 % des sièges avaient été alloués à des candidats représentant des listes électorales composées de représentants des partis politiques égyptiens.
Il est peu probable qu’al-Sissi compte exclusivement sur la nouvelle loi électorale pour s’assurer la docilité du parlement. Préoccupé par la manière dont de possibles fractures au sein des cercles du pouvoir pourraient nuire à son règne, al-Sissi a déjà indiqué qu’il voulait amender la constitution afin de réduire le pouvoir du parlement. Ainsi que Mada Masr l’a indiqué le mois dernier, al-Sissi a mis en garde les Égyptiens contre les pouvoirs du parlement. Il a déclaré : « la constitution a donné de vastes pouvoirs au parlement sur la base de bonnes intentions… Mais le pays ne peut pas être gouverné par de bonnes intentions ».
Exclusion de la scène politique
Il est important de noter que les élections actuelles prennent place alors que le groupe politique le plus puissant d’Égypte, les Frères musulmans, a été mis sur la touche. Les Frères musulmans ont remporté cinq élections libres consécutives en 2011 et 2012, avant qu’un coup d’État militaire ne renverse en juillet 2013 le premier président élu démocratiquement, Mohamed Morsi, issu de la confrérie, un an seulement après sa prise de fonction. Durant les deux ans et demi suivant le renversement de Morsi, les Frères musulmans ont été officiellement éliminés de la vie publique et politique du pays.
Le parti politique des Frères musulmans a été interdit et leurs membres et partisans ont fait l’objet de massacres, d’arrestations et de condamnations à mort de masse, entre autres formes de répression. La loi égyptienne interdit même les membres des Frères de se porter candidats en tant qu’indépendants.
Le gouvernement égyptien et son fidèle appareil médiatique ont répété à l’envi que le renversement de Morsi avait bénéficié d’un soutien populaire irrésistible et que l’élimination des Frères musulmans était une demande de « la nation ». Le gouvernement avance en outre que, de toute façon, les Frères musulmans avaient si peu de soutien populaire en Égypte que leur élimination de la vie politique n’a pas eu de conséquences graves sur les ambitions démocratiques du pays. Des données empiriques suggèrent que ces affirmations sont erronées.
De nombreux sondages réalisés après le coup d’État par des organismes occidentaux suggèrent que les Frères musulmans et Morsi demeurent relativement populaires et que de nombreux Égyptiens s’opposent à l’intervention militaire de 2013. Par exemple, selon un sondage réalisé après le coup d’État par Zogby Research Services, plus de la moitié des Égyptiens ont indiqué qu’ils ne soutenaient pas le renversement militaire de Morsi et 44 % ont affirmé qu’ils avaient une opinion favorable de Morsi lui-même.
Le même sondage montre que, même si leur popularité avait diminué, les Frères musulmans étaient toujours à égalité avec le mouvement Tamarrod pour le titre de groupe politique le plus populaire d’Égypte. Un autre sondage, réalisé par Pew, indique que 42 % des Égyptiens ont une opinion favorable de Mohamed Morsi un an après son renversement et emprisonnement.
D’autres groupes politiques puissants, dont le parti islamiste libéral al-Wasat et le mouvement du 6 Avril, ont aussi été disqualifiés du jeu politique. Dans une démocratie, on ne peut pas affirmer tenir des élections démocratiques après avoir éliminé la compétition.
Signe positif ?
Les Égyptiens qui assistent à la période électorale actuelle sont forts de leur expérience des élections précédentes post-coup d’État. En 2014 avait été organisé un referendum portant sur la constitution rédigée par une clique élitaire sélectionnée personnellement par le président par intérim, lui-même nommé par l’armée.
Durant ce vote, le gouvernement avait assené à la population l’idée que voter « oui » était un devoir patriotique. En parallèle, le gouvernement avait empêché quiconque de faire campagne pour le « non » - les rares âmes courageuses qui avaient essayé avaient été arrêtées. Plus tard en 2014, une parodie d’élection présidentielle avait été organisée. Après avoir éliminé tous les concurrents sérieux et aidé à orchestrer une campagne de propagande d’État hystérique, al-Sissi avait remporté 97 % des suffrages.
S’il y a donc un signe positif, c’est que de nombreux Égyptiens semblent avoir retenu des leçons importantes du passé – par exemple, il est probable que la plupart des Égyptiens savent et comprennent que les élections actuelles ne sont ni sérieuses ni démocratiques. C’est peut-être la raison pour laquelle si peu d’Égyptiens se rendent aux urnes. Malgré la propagande du gouvernement égyptien, les premiers rapports suggèrent que le taux de participation au scrutin est très bas. Dans une tentative désespérée pour augmenter la participation à la dernière minute, le gouvernement égyptien a offert lundi aux fonctionnaires un congé d’une demi-journée et assuré la gratuité des transports jusqu’aux bureaux de vote.
Que la participation aux élections soit lamentablement basse ou non, l’Égypte aura bientôt un parlement. Tôt ou tard, et peut-être plus tôt que tard, les Égyptiens réaliseront que les Frères musulmans – malgré certaines erreurs évidentes – étaient loin d’être aussi terribles que ce que leur ont dit les dirigeants militaires de l’Égypte. Au moins, durant leur brève période d’influence, les Frères musulmans avaient aidé à établir un cadre démocratique qui aurait permis de les démettre de leurs fonctions par la voie des urnes. On ne peut pas en dire autant du régime actuel.
- Dr Mohamad Elmasry est professeur adjoint au département de la communication de l’université de North Alabama.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des directrices de scrutin comptabilisent les votes lors du deuxième jour des élections parlementaires égyptiennes dans un bureau de vote de Gizeh, Égypte, le 19 octobre 2015.
Traduction de l’anglais (original).
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