Réfugiés syriens au Liban : le point de rupture de qui ?
Depuis que les réfugiés ont commencé à affluer sur le territoire libanais depuis la Syrie voisine en 2011, on a fait grand bruit du fait que le Liban serait au « point de rupture » en termes de capacité d’accueil des réfugiés.
On ne peut nier que cette minuscule nation, d’environ quatre millions de personnes, a accueilli un nombre disproportionné de réfugiés par rapport à la forteresse Europe et d’autres endroits qui ne sont pas d’un grand secours. On dénombre environ deux millions de réfugiés, enregistrés ou non, au Liban à l’heure actuelle, constituant ainsi un tiers de la population totale.
Mais voilà, quelle est la probabilité que le Liban « s’effondre » sous le poids de ses hôtes ?
Pour commencer, il faut tenir compte du fait que le gouvernement libanais est déjà peu enclin à satisfaire les besoins de ses propres citoyens, ce qui entraîne des niveaux de pauvreté quasiment astronomiques dans certaines régions et un manque de services notoire.
De toute évidence, un état absent de ce genre ne va pas se sentir obligé d’alléger le fardeau de l’existence des réfugiés pauvres, dont beaucoup finissent entassés dans des maisons louées – où plusieurs familles partagent souvent une même pièce – et des camps de tentes informels.
Dans ces derniers, les abris sont bricolés à partir de matériaux de construction, de restes de panneaux d’affichage, de bâches en plastique et de tout ce qui peut mettre un peu plus de distance entre le corps humain et les éléments. Dernièrement, lorsque j’ai visité deux camps de tentes dans la plaine de la Bekaa au Liban, près de la frontière syrienne, les réfugiés ont exprimé leur crainte de voir le meurtrier hiver dernier se répéter sous peu et ont raconté les effets pernicieux de la tempête de poussière de septembre sur leur peau et leur système respiratoire.
Un autre argument relatif au « point de rupture » tourne autour de l’idée que la pénurie chronique d’eau et d’autres ressources au Liban implique que l’afflux de réfugiés est insoutenable d’un point de vue environnemental comme financier. Cependant, comme un consultant en environnement libanais me l’a fait remarquer à Beyrouth l’autre jour, la corruption du gouvernement constitue également une pression assez lourde sur l’économie – chose que les hommes politiques libanais feraient bien de se rappeler avant de faire des réfugiés les boucs émissaires de leur propre et volontaire mauvaise gouvernance.
Pendant ce temps, les forces de sécurité ont comme par magie toute l’eau nécessaire pour tirer en direction des manifestants qui défilent contre la corruption et le sectarisme politique, comme cela est régulièrement le cas depuis le début de la crise des ordures au Liban. Il a aussi été estimé que la plaine de la Bekaa, bien qu’elle soit prétendument pleine à craquer de réfugiés, dispose de la place nécessaire pour accueillir les déchets débordant de la capitale, selon les dernières manœuvres du gouvernement visant à gérer la crise.
Fuir est préférable
Évidemment, la plaine de la Bekaa a déjà son lot d’ordures, comme les réfugiés syriens qui ont habité les décharges de la région peuvent sans doute en témoigner. Ce qui nous ramène à la question du « point de rupture » : il peut effectivement exister au Liban, mais les réfugiés semblent être relativement en droit de le revendiquer eux aussi.
Dans l’un des campements où je me suis rendue dans la ville de Majdel Anjar, où je fus aimablement escortée par deux représentants de Médecins Sans Frontières (MSF), un vieil homme de Homs avançait que le gouvernement libanais tentait activement de briser les réfugiés, pour ainsi dire, afin qu’ils fuient ailleurs.
Les deux fils de cet homme ont récemment entrepris le « périple de la mort », à savoir le voyage en bateau vers l’Europe. Ils ne pouvaient tolérer plus longtemps le traitement humiliant infligé par les autorités libanaises, a-t-il confié, ou les obligations perpétuellement changeantes imposées aux réfugiés dans le pays. Il était sans nouvelles de leurs progrès ou de leur bien-être.
De nombreux réfugiés qui m’ont parlé se sont plaints d’une nouvelle règle, mise en œuvre cette année, les obligeant à payer une cotisation annuelle de 200 dollars (environ 181 euros) pour conserver leur place au Liban. En pratique, ont affirmé certains d’entre eux, cette somme était susceptible d’atteindre 300 dollars (environ 271 euros).
L’agence onusienne pour les réfugiés, le HCR, fournit un résumé des contraintes supplémentaires auxquelles le gouvernement libanais a soumis les réfugiés : « un engagement immobilier (des copies certifiées conformes d’un contrat de location ou d’un acte immobilier) ; une attestation certifiée d’un mukhtar (chef de village) indiquant que le propriétaire possède la propriété ; un engagement notarié à ne pas travailler ; ainsi que la preuve de leurs ressources financières ou du soutien qu’ils reçoivent ».
Si vous vous demandez comment on est censé concilier un engagement à ne pas travailler avec un bail immobilier et les paiements annuels pour garantir son statut de réfugié, vous n’êtes pas seul. Le HCR continue : « La plupart des réfugiés ne sont pas en mesure de payer les 200 dollars de frais, ils ne peuvent pas produire les documents requis, puisque la plupart ne disposent pas des contrats de location formels ou ne peuvent démontrer qu’ils disposent de moyens financiers pour vivre au Liban ».
Naturellement, il en résulte « un sentiment croissant d’insécurité et de malaise au sein des communautés de réfugiés », où les gens se sentent « de plus en plus vulnérables aux abus compte tenu de leur situation irrégulière dans le pays ».
Et il se trouve que ce sentiment d’insécurité n’est pas vraiment injustifié. À divers endroits au Liban, des couvre-feux imposés par des groupes d’autodéfense ont parfois été appliqués uniquement aux Syriens, dans une criminalisation perverse de la condition de réfugié. À plus d’une occasion, des tentes appartenant à des réfugiés ont été réduites en cendres.
Fermer la porte
En octobre dernier, le gouvernement libanais a annoncé qu’il avait cessé d’accepter les réfugiés syriens. Le journal libanais Daily Star a cité le ministre des Affaires sociales Rashid Derbas précisant charitablement que « tout ressortissant syrien est le bienvenu, mais pas en tant que réfugié ».
Et s’il n’était pas déjà malheureusement clair que les ressortissants syriens les plus « bienvenus » sont ceux qui disposent de portefeuilles bien garnis, le Liban a dévoilé une nouvelle politique frontalière en janvier 2015, qui n’a plus rien à voir avec la politique de la porte ouverte menée précédemment. Selon les nouvelles règles, chaque Syrien doit être en possession d’un visa ou avoir un parrain libanais. Un visa touristique nécessite une réservation d’hôtel et 1 000 dollars (environ 905 euros), preuve de richesse matérielle, ce qui garantit essentiellement que les réfugiés pauvres fuyant la guerre ne peuvent pas se faufiler sous le prétexte de visiter les ruines phéniciennes, par exemple.
À Majdel Anjar, les réfugiés ainsi que le personnel de MSF ont rapporté que même les réfugiés dont les papiers étaient parfaitement en règle étaient encore harcelés par la sécurité libanaise. En outre, on m’a dit que certains noms disparaissaient du registre officiel des réfugiés, signifiant ainsi pour une habitante du camp que j’ai rencontrée et qui n’avait aucune famille au Liban qu’elle ne percevait plus son allocation mensuelle de 13,50 dollars (environ 12,22 euros) de l’ONU pour l’achat de nourriture.
Parmi les diverses autres difficultés dans le camp figuraient les livraisons en eau des ONG, lesquelles étaient fluctuantes et avaient été réduites au point qu’une famille de douze personnes recevait désormais la même quantité d’eau qu’une famille de cinq personnes. Les toilettes débordaient, faisant peser des risques pour la santé, et les maladies abondaient.
Un des travailleurs de MSF a fait remarquer que le fait même de mourir était problématique, suscitant par ses propos un gloussement des réfugiés : un homme venait de partager l’épopée qu’avait représentée la recherche d’un lieu de sépulture pour son père, qui était décédé au bord d’une route lors d’une excursion pour acheter des pommes de terre. La recherche d’un lieu de sépulture auprès de divers cheiks locaux, a expliqué le fils, l’a obligé à mettre de côté sa dignité personnelle ; l’un d’entre eux a finalement accédé à sa demande.
Le début du cycle de la vie ne survient pas non plus sans ses complications. Bien qu’il y ait plusieurs hôpitaux dans la région où le HCR couvre 75 % des coûts de l’accouchement pour les réfugiées syriennes, le reste est encore souvent au-delà de leurs capacités financières, ce qui peut entraîner la confiscation de la carte de réfugié de la mère jusqu’à ce que la facture soit payée. Dans certains cas, a noté le travailleur de MSF, le nouveau-né lui-même peut être gardé à l’hôpital le temps que les questions financières soient réglées.
En fin de compte, le gouvernement libanais peut maugréer tant qu’il veut à propos du fardeau disproportionné que constituent les réfugiés. Cependant, ce qu’il ressort réellement de l’exemple offert actuellement par le Liban, c’est que lorsque vous êtes déjà occupé à ne pas prendre soin de vos propres citoyens, il n’est pas si difficile de ne pas prendre soin de 2 millions de personnes supplémentaires.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Hassan, un réfugié syrien qui a été grièvement blessé lors de combats dans son pays natal déchiré par la guerre, est mort après avoir été amené au village libanais d’Akar. Le cousin d’Hassan a été contraint de garder le corps dans une tente pendant trois jours avant d’être finalement en mesure de trouver un lieu – et l’argent – pour l’enterrer (AA).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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