Le Roméo et Juliette du Maroc : le festival du mariage d’Imilchil
AÏT AMMAR – Le voyage en voiture jusqu’à Imilchil est sans doute l’un des plus saisissants que toute âme humaine puisse entreprendre. À travers les vertes vallées luxuriantes entourées de peupliers, le voyageur emprunte des routes semi-goudronnées longeant des ravins, des rivières et des montagnes désolées, et menant au cœur de la terre amazighe.
Là, perché dans la plaine de la chaîne de montagne de l’Atlas, au cœur du Maroc, se tient chaque année le festival du mariage d’Imilchil.
Le festival, qui dure trois jours, consiste essentiellement en un souk (marché) où des milliers d’habitants de la région viennent faire des provisions de bétail, de couvertures, de meubles, de chaudrons et de casseroles. Un rituel nécessaire pour s’armer contre l’hiver, durant lequel les villages peuvent rester enneigés pendant des jours, voire des semaines.
Aussi essentiel que puisse être le souk pour de nombreux habitants, celui-ci est désormais réputé principalement pour son festival du mariage, surtout depuis que les autorités marocaines ont commencé à le promouvoir comme destination touristique hors des sentiers battus.
Le festival est imprégné de la légende du Roméo et Juliette marocain : un jeune homme et une jeune femme appartenant à deux tribus rivales (les Aït et les Aït Iazza), tombés amoureux l’un de l’autre après s’être aperçus dans les montagnes, mais interdits de se marier. Les larmes des amants, selon la légende, ont formé les lacs séparés de Tislit et Isli (un lac réellement salé). On dit qu’après cette tragédie, les anciens décidèrent qu’une fois par an, les jeunes des différentes tribus pourraient se rencontrer pour trouver leur moitié, même si cela impliquerait de franchir les frontières tribales.
Nous rencontrons Maadid Haddou, président de l’association El Kheir, qui œuvre pour le développement de la région, en train de boire son thé dans une tente du marché d’Aït Amar. Il confirme, c’est bien un conte classique de Roméo et Juliette, un vrai West Side Story. La partie relative au lac est évidemment inventée, mais le reste ? Il sourit : « qui sait ? ».
La visite de la tombe
En réalité, il existe une raison plus prosaïque derrière le fait que les jeunes de toute la région se rencontrent ici depuis des décennies. Jusqu’aux années 80, les souks de la région n’étaient pas accessibles aux femmes, explique Maadid Haddou à MEE, sauf celui d’Aït Amar. « Le corps du soufi Sidi Hmad Oulamgnni, conseiller en affaires religieuses et en disputes du quotidien, gît dans une tombe du village. Après sa mort, les hommes et les femmes ont continué à venir ici pour prier pour leur santé et prospérité et celles de leurs enfants ».
La tombe se trouvant au même endroit que le souk, les femmes ont eu l’autorisation de s’y rendre. Ainsi, le lieu est devenu le seul de la région où les hommes et les femmes des différentes tribus pouvaient se rencontrer, a ajouté Haddou.
« Si le garçon et la fille se plaisent et que leurs familles sont d’accord, ils peuvent se marier », poursuit Hadou. Ça n’arrive pas immédiatement, cependant. « Certains font connaissance ici puis se marient au cours de l’année. D’autres reviennent au festival l’année d’après pour signer officiellement leurs documents de mariage au cours d’une cérémonie. »
À cette occasion, un juge officiel se rend à Aït Amar pour légaliser les mariages et s’assurer que les filles ne sont pas mineures. Elles doivent être âgées d’au moins 18 ans, bien que l’on puisse faire des exceptions pour des filles de 16 ou 17 ans. « En venant ici, les juges épargnent aux couples un long voyage à Errachidia, Er-Rich ou Tinghir, qui se trouvent à au moins 120 kilomètres d’ici. C’est pourquoi certaines personnes prévoyant de se marier attendent le festival pour le faire. »
Le festival a lieu à la mi-octobre ; l’air se charge alors de poussière, provoquée par les mouvements de milliers de pieds foulant le sol. Dans cette foule de personnes, on peut voir les jeunes des deux sexes s’observer attentivement. Les femmes portent parfois les vêtements traditionnels de leur tribu – la tahendirt (cape) blanche ornée de pièces scintillantes de la tribu Aït Iazza, ou les manteaux sombres des Aït Brahim.
Et l’électricité fut
Marcher au milieu de la foule permet d’entrevoir des traditions centenaires, mais menacées. Prenez Rabha Boubker, par exemple, une jeune femme qui assure qu’elle ne se mariera pas de sitôt. « J’ai fait des études et je travaille comme fonctionnaire. Je veux faire carrière, c’est important pour moi. »
Elle n’est pas la seule, indique Maadid Haddou. Pour les hommes, il est de plus en plus dur de trouver une épouse, affirme-t-il. « Les femmes ont des vies difficiles ici. Elles travaillent dix-huit heures par jour, elles font tout pendant que les hommes passent leur temps au café. En 1996, la région a été connectée au réseau électrique et la télévision a fait son apparition dans les salons. Les femmes ont alors découvert qu’une existence différente était possible. Elles veulent ce genre de vie, mais les hommes ne peuvent pas toujours le leur offrir. »
Traduction de l’anglais (original)
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